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Coronavirus; une morsure de chauve-souris à l’origine de l’épidémie ?

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Une double épidémie. Alors que le nombre de contaminations au coronavirus Covid-19 dépasse, jeudi 19 février, les 75 000 cas (en anglais), c’est une véritable nuée de fausses informations qui se répand sur les réseaux sociaux autour des origines du virus. Pas de soupe à la chauve-souris au menu pour cette fois, mais une morsure du mammifère nocturne dans un laboratoire dont aurait été victime un biologiste chinois. C’est l’hypothèse relayée par l’entrepreneur et chroniqueur Alexis Poulin, citant un tweet d’Ezra Cheung, journaliste pour le New York Times et CNN.

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Le document cité dans le tweet d’Ezra Cheung a été rédigé par Xiao Botao et Xiao Lei, chercheurs à l’université de technologie de Chine méridionale pour le premier et à l’université de science et de technologie de Wuhan pour le second. Il s’agit d’une prépublication (en anglais) d’un article à paraître : aussi, son contenu reste succinct et les deux chercheurs n’ont pas répondu aux sollicitations de franceinfo. Il se situe dans la lignée de plusieurs études ayant mis au jour les similarités frappantes entre le Covid-19 et d’autres formes de coronavirus localisées chez la chauve-souris rhinolophus affinis évoluant dans les provinces du Yunnan et du Zheijiang.

Un laboratoire situé à proximité du marché de Wuhan
Le marché de Wuhan est vite apparu comme le point de départ potentiel de l’épidémie car 27 des 41 premières victimes le fréquentaient. Mais Xiao Botoa et Xiao Lei s’interrogent car les chauves-souris suspectées n’y sont ni commercialisées ni mangées. Est-il alors seulement possible qu’elles aient pu parcourir les 900 km séparant leur habitat naturel de la ville de Wuhan ? « La probabilité était très faible », supposent les chercheurs. Selon eux, la contamination pourrait provenir d’un laboratoire situé… à moins de 280 m du marché, carte à l’appui – si Google Maps ne le référence pas, le site de cartographie chinois Baidu Maps confirme bien sa localisation.

A partir de 2012, l’équipe du Centre pour le contrôle et la prévention des maladies de Wuhan a abrité et étudié des chauves-souris, effectuant notamment des prélèvements de tissus afin de séquencer leur génome. D’après Xiao Botoa et Xiao Lei, « les échantillons de tissus [des chauves-souris] et les déchets contaminés constituaient une source de pathogènes ». « Il est plausible que le virus se soit diffusé à partir de cet endroit et ait contaminé plusieurs des premiers patients de cette épidémie », affirment-ils, précisant que leur hypothèse manque aujourd’hui de preuves.

Le centre de recherche suspecté par les deux chercheurs n’est toutefois pas totalement inconnu. En 2017, l’agence de presse officielle Chine nouvelle y avait effectué le portrait du scientifique Tian Jun-Hua et de ses étonnantes recherches en virologie (en mandarin). A partir de 2012, il se rend à plusieurs reprises dans une grotte pour capturer ces mammifères, sans mesure de protection particulière. De l’urine de chauve-souris aurait un jour atterri sur sa tête et il aurait alors décidé de se mettre lui-même en quarantaine pour 14 jours, raconte-t-il à l’agence de presse Chine nouvelle. Une autre fois, il aurait été touché par des gouttes de sang provenant d’une chauve-souris – mais rien ne dit qu’il s’agit d’une morsure. Là aussi, par chance, il n’a pas été victime d’une contamination.

Les faits mentionnés dans le tweet sont donc antérieurs à 2017 et sans rapport avec l’épidémie de Covid-19 qui sévit actuellement. Néanmoins, à l’aune de ces exemples, les chercheurs Xiao Botao et Xiao Lei suspectent ce laboratoire d’avoir pu causer une fuite du virus du fait de mesures de sécurité a priori douteuses et de la proximité étonnante du centre avec le marché de Wuhan.

« Ils ont voulu faire du buzz »
Problème : rien ne confirme dans cet article que des recherches en virolologie sur les chauves-souris ont toujours lieu dans le Centre de contrôle et de prévention des maladies de Wuhan. Le directeur du département des zoonoses du laboratoire, Zhang Yong-Zhen, dément d’ailleurs la poursuite de ces recherches : « Nos recherches sur les chauves-souris à Wuhan ont été réalisées il y a 7 ans », a-t-il affirmé à Sciences et Avenir.

De plus, plusieurs experts français, contactés par franceinfo, ont refusé de commenter ce qui ne reste qu’une hypothèse. « Le travail de relecture par les revues [qui consiste en une validation par d’autres scientifiques] prend en général 15 jours à deux mois », explique à franceinfo le médecin microbiologiste Bruno Pozzetto du CHU de Saint-Etienne. Pour Frédéric Keck, directeur de recherche au CNRS au laboratoire d’anthropologie sociale, « impossible de confirmer une telle publication : elle n’est pas passée par le comité de lecture d’une revue scientifique [et] dispose de très peu de preuves », affirme-t-il à franceinfo.

Un point de vue que partage Isabelle Imbert, enseignante-chercheuse à l’université Aix-Marseille et spécialiste du coronavirus. « C’est du grand n’importe quoi. Le seul [document] utilisé est une carte Google ! » tonne la scientifique, qui doute de la pertinence des références utilisées dans la démonstration. D’autant qu' »ils ne se mouillent pas », souligne-t-elle face aux nombreux conditionnels de l’article.

Ils jouent bien avec les mots lorsqu’ils affirment que ‘le coronavirus meurtrier provient probablement d’un laboratoire’ alors même qu’ils affirment qu’ils manquent de ‘preuves solides’.

La chercheuse va plus loin et met en cause l’absence de contrôle des plateformes de partage scientifiques telles que ResearchGate, hébergeur de l’article en question. Selon elle, « ces sites, ce sont des Twitter de la science. Il n’y a pas de contrôle ». « Ils ont voulu faire le buzz », conclut Isabelle Imbert.

Quand on fait des découvertes scientifiques, on doit les étayer avec des expériences et des arguments.

Cela étant, pour Bruno Pozzetto, médecin microbiologiste au CHU de Saint-Etienne, il s’agit d’une « hypothèse crédible » : la proximité du laboratoire avec le marché de Wuhan est une « coïncidence troublante ». « Les défauts de confinement en laboratoire, ça existe », reconnaît-il. Et Bruno Pozzetto de juger à propos de la prépublication de Xiao Botao et Xiao Lei : « Ce n’est pas une publication qui démontre, c’est plus un éditorial, ça n’a pas forcément sa place dans un journal scientifique. »

Le rôle des chercheurs est de faire des hypothèses. Mais il faut être extrêmement prudent et ne pas faire d’affirmations gratuites
Bruno Pozzetto

Une chose est sûre, le virus de la chauve-souris n’est pas en mesure de se fixer sur les récepteurs humains : un « hôte intermédiaire » a sans doute causé sa transmission aux êtres humains, sans avoir encore été identifié avec certitude. Un temps suspecté, le serpent a été écarté des hypothèses de transmission du Covid-19. En revanche, c’est un petit mammifère à écailles qui attire aujourd’hui l’attention des scientifiques : le pangolin. Mais cette piste reste à confirmer et celle-ci n’a pas non plus fait l’objet d’une publication scientifique validée par des pairs.

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