DERNIERES INFOS
S'informer devient un réel plaisir

«Coly Tenguella BA (Fin XVème – XVIème siècles), unificateur du Fouta-Toro et fondateur de la dynastie des Déniyankobé» par Amadou Bal BA –

0

La négligence a fait tomber dans l’oubli, un valeureux peul Déniyanké, Coly Tenguella Diadié BA ou «Coly Poulo», l’unificateur du Fouta-Toro au début XVIème. Cet empire «s’étendait de l’Atlantique aux confins du domaine du Songhay. Il s’est édifié à partir du royaume du Fouta-Toro où régnait, depuis le début du XVIème siècle, la dynastie des Déniyankoobé, fondée par le conquérant peul, Koli Tengela. Cet empire était alors le plus vaste du Soudan occidental» écrit Jean BOULANGUE. Coly Tenguella BA est aussi le fondateur de la dynastie peule et animiste des Déniyankobé ayant régné, presque sur presque trois siècles, sur cet Etat jusqu’en 1776, avec l’avènement de la Révolution des Torodo, un Etat théocratique. Les peuls Déniyankobé de Coly Tenguella prirent la province du Toro, restée jusqu’ici à majorité Ouolof, et repoussèrent les Maures d’une bonne partie du Fouta-Toro. Etat centralisé, le Fouta-Toro est divisé par le Satigui en 7 différentes provinces (Dimat, Toro et Halaybé, Lao, Yirlaabé et Hébbyabé, Bosséya, Damga et N’Guénar), dont les chefs sont nommés par le Roi, et doivent participer à l’effort de guerre, en cas d’agression extérieure. Coly a libéré le Namandir de la domination du Bourba de Djolof avec l’aide des Sérères qui habitaient, à l’époque, le Fouta. Cette ascension de Coly Tenguella va donc correspondre avec la lente et progressive dislocation de l’empire du Djolof habité par des Peuls et des Ouolofs. En effet, l’empire du Djolof s’effondra en 1549, avec la mort du dernier empereur du Djolof, Lélé Fouli Fak NDIAYE, tué par Amari N’Goné Sobel FALL, lors de la bataille de Danki, près de Diourbel.

On sait peu de choses sur la vie de Coly Tenguella, du moins sur les causes de sa conquête du Fouta-Toro. Coly Tenguella BA est un véritable personnage de légende autour duquel ont été brodés divers mythes. Le colonisateur français fait démarrer l’histoire du Sénégal à l’année 1365, date de l’arrivée des commerçants dieppois. Jean BOULEGUE ne s’appuie que sur les écrits de JACUQUEMIN et TEIXIERA DA MOTA. Cependant, il existe nombreuses autres sources arabes et françaises, dont les contributions de Cheikh Moussa CAMARA et Oumar KANE, ainsi que des documents inexploités de l’IFAN (Samba Alassane BA et Yaya WANE) auxquels j’ai pu accéder, révèlent donc la nécessité de réécrire l’histoire du Sénégal : «Quand la chèvre est présente, il ne faut pas bêler à la place de la chèvre» disait Amadou Hampâté BA. Les études menées sur ce personnage majeur de l’histoire du Sénégal sont souvent approximatives et redondantes. Les sources arabes transcrites en français, portugaises, françaises et ou issues des traditions orales sont parfois divergentes sur les causes de son départ du Mali, sur l’itinéraire (Guinée, Gambie) qu’il a emprunté pour arriver au Fouta-Toro, et même sur ses origines ethniques, la durée du règne ou l’ordre de succession des Satigui.

Un point est constant : son père, Tenguella BA résidait à Kingui, province de Diâra, dans le Nioro, actuel Mali. Les sources écrites portugaises ont voulu attribuer à Coly Tenguella des origines judéo-chrétiennes. Suivant Alavares d’ALAMADA, les Peuls ayant la peau claire, ce qui les prédestinait à commander les Nègres. On perçoit là toute l’idéologie qui tentait de justifier la domination coloniale. Certaines sources orales, sur lesquelles on ne va pas s’attarder, prétendent que Coly Tenguella serait un descendant du Mansa, Soundiata KEITA, de par sa mère qui s’appelle Nana KEITA. «Coly vient du pays mandingue, son nom était KEITA, qui équivaut au BA des Foulbé» écrit Samba Alassane BA.

Il est certain que Coly a fait ses premières armes en pays malinké «Dans sa jeunesse, Koli était berger, et la recherche de pâturages l’amenait à voyager loin dans la brousse. Ses camarades bergers, le prirent pour chef», note Siré Abbas SOH, dans ses «Chronique du Fouta». Son père était Peul, du clan des BA, donc originaire du Fouta-Toro, comme l’a établi Cheikh Moussa CAMARA, un spécialiste de la généalogie des familles du Fouta. Il n’est donc ni Malinké, ni Bambara. Tenguella Guédal BA, père également du guerrier Nima, était un peul, et ne descendait ni de Bilal, l’esclave et muezzin du Prophète Mohamet, ni de Soundiata KEITA.

Au début du XVIème siècle, loin des frontières actuelles artificielles héritées de la colonisation, le Mali dominait encore tous les territoires voisins, y compris le Fouta-Toro. «Les Peuls sont des alliés turbulents et versatiles qui deviennent bientôt des ennemis pour les empereurs Malinkés du Nord» écrit André ARCIN. On s’accorde à dire que Coly Tenguella BA est le fils d’un roi, à Kingui, dans le Diâra, battu et tué le 19 janvier 1512. A partir de là, nous avons des versions nuancées de cette tragédie.

Soutenu probablement par l’Empereur du Manding, Tenguella Guéda BA prêcha la révolte contre l’Askia et fit la guerre au roi de Diâra parce que celui-ci a accepté la suzeraineté du Songhaï ; c’est ce qui causa la perte du père de Coly. «L’Armée de Askia, commandée par son frère, Amar, marche contre Tenguella, et le poursuivit jusqu’à Diâra, où elle le défît et le tua en 1512. Les bandes du chef Peul (Tenguella), sous le commandement de son fils, Koly, se réfugièrent dans le Badiar, au Nord du Fouta-Djallon» écrit Maurice DELAFOSSE dans «les Noirs de l’Afrique». En effet, pour Abderrahman Al-Sadi (1596-1665) auteur de «Tarikh Es-Soudan», un document arabe popularisé par l’explorateur, linguiste, géographe et ethnologue, Heinrich BARTH (1821-1865), relatant l’histoire du Soudan jusqu’en 1656, c’est Askia Mohamed (1443-1538), premier Askia de Gao et chef des Songhaï, qui a exécuté Tenguella BA. C’est la version la plus répandue. Suivant ES-SADI, Coly s’enfuit alors du Mali, pour rejoindre le Fouta-Toro. En effet, «le 19 mars 1512, Askia El Hadji Mohammed, entreprit son expédition contre «Le Maudit», le faux prophète, Tayenda (Tenguella) et le tua à Zara. Les circonstances voulurent que, à ce moment, Kalo (Coly), le fils de Tayenda, fût en expédition et absent de son père. Quand, il apprit ce qui venait d’arriver à son père, il s’enfuit avec les troupes qu’il avait avec lui, et alla se réfugier au Fouta» écrit Abderrahm AL-SADI dans «Tarikh Es-Soudan», un texte arabe traduit par Octave HOUDAS (1840-1916). Le «Tarikh Es-Soudan» précise «qu’il (Coly) à cet endroit (Le Fouta) et, après avoir machiné une trahison contre le Sultan, réussit à s’emparer de sa personne et le mit à mort. Kalo devient un puissant sultan avec de forces considérables» mentionne «Le Tarikh Es-Soudan».

Une autre source, non importante et très sérieuse, est «Le Tarikh El-Fettâch», entamé en 1519 par Mahmoud KATI (1468-1658), un ami de Askia Mohamed, mais achevé en 1665 par son petit-fils. Ce texte, retrouvé en 1911 par Albert BONNEL de MEZIERES (1870-1942), a été traduit en français, en 1913, par Octave HOUDAS (1840-1916) et Maurice DELAFOSSE (1870-1926). «Le Tarikh El-Fettâch» donne une autre version des faits. Le Fouta du Kingui venait d’être conquis par Coly, son père adoptif de Tenguella s’était séparé de lui, pour se porter roi, dans le Diâra, chef-lieu du Kingui, (cercle de Nioro, région de Kayes). Pour Mohamed KATI, ce n’est donc pas Askia Mohamed qui a tué Tenguella, mais Amar Komdiago, ou Koumfari Oumar, «Fari» étant un titre militaire de Gourma dans la région de Tombouctou : «C’est le 19 mars 1513 que fut tué l’imposteur, Téniedda (Tenguella) qui se prétendait être prophète et envoyé de Dieu. C’est le Kanfari, Amar Komdiago qui le tua sans que l’Askia lui eût donné l’ordre» écrit Mahmoud KATI.

Le père de Coly est décrit comme un prince puissant, valeureux, brave, doté d’envergure et enclin à la révolte. Il était venu dans le Kingui et s’y est proclamé roi. Suivant «Le Tarikh El-Fettâch», le motif de cette guerre serait une dispute entre Tenguella et Amar, «des querelles, des froissements et des rivalités» au cours desquelles, Tenguella, doté d’une armée puissante et bien entraînée, avait juré de «ruiner la capitale de son adversaire et d’en faire un désert».

Mohamed KATI donne une autre version du conflit également, à savoir qu’un Songhay partait chaque année au Fouta où il faisait du commerce. Tenguella BA ayant entendu parler de lui, l’avait capturé et confisqué ses biens. Ce Songhay s’est réfugié chez le Kurumina Fari, auprès duquel il porta plainte. A la suite de la chute de Tenguella, son vainqueur, Amar a ramassé un énorme butin et rapporta à Tindirma (cercle de Diré, région de Tombouctou), la tête de Tenguella, où elle fut enterrée.

Suivant la version de Mamadi Aïssa, s’inspirant de la tradition orale «Il y avait dans le Fouta, un prince appelé Satigui. Il marcha sur Diâra avec son armée et fit la guerre aux gens de Diâra. Mahmoudou vainquit les assaillants, les poursuivit depuis le territoire du Kingui jusqu’à celui du Fouta où il les atteignit, et les combattit dans ce pays. Mahmoudou fut tué dans cette guerre. Son armée revint à la ville, et on proclama roi son fils».

Les écrits des coloniaux sont inconsistants, mais donnent des bribes d’information sur l’itinéraire de Coly. En effet, avant d’arriver au Fouta-Toro, Coly Tenguella est passé par la Guinée, la Gambie et le Sine-Saloum. Coly avait séjourné en Guinée, dans une forteresse, dont il ne reste de nos jours que des ruines, à savoir la grotte de Guémé Sagan, dans la communauté rurale de Sinta, préfecture de Télimélé. André ARCIN est l’un des rares écrivains français, à avoir relaté cet itinéraire. Aidé par les Dialonké, les Koniagui et les Bassari, Coly Tenguella «avait réussi à acquérir une solide armée. Il avait, dit la légende, le pouvoir qui lui permettait de changer de forme et se rendre invisible, à son gré (Nibbi Nirké, en Peul). Il s’avance vers le Fouladou, mais n’entre pas dans le Mandingue. Il entra dans le massif montagneux du Fouta-Djallon et s’établit dans le Kébou, où il fonda sa capitale à Sangan, la montagne des Kan et des San. Il organisa un vaste royaume sur la plateau du Labé, un royaume des Koliyabé» écrit André ARCIN dans son «Histoire de la Guinée». C’est Donald R WRIGHT qui a décrit le passage de Coly Tenguella BA en Gambie. Coly est arrivé en Gambie escorté de ses frères Boubou, Pathé, Yéro et Laba Tenguella. Il a installé son campement sous un grand baobab (Bankere, la force), dans l’un des 12 royaumes de la Gambie, le Niumi ou Barra. A cette époque, le Niumi, un Etat vassal du Saloum, devait s’acquitter, chaque année d’un tribut lourd. Coly Tenguela, en alliance avec Amary SONKO, s’insurgea contre cette domination et attaqua le Saloum. Des descendants de Coly Tenguella, les BA, vivent encore de nos jours en Gambie.

André ARCIN a retracé le chemin suivi par Coly Tenguella à l’intérieur du Sénégal «Face à la confédération Sérère-Diola, ses guerriers eurent raison. Les Sérères furent rejetés dans leur habitat actuel, ainsi que les Diolas. Cependant, le conquérant traita avec les Sérères-Sine, et devint gendre de leur Roi, les enfants issus de son union, devant être des Guelwar» écrit-il. C’est à ce moment, que Coly Tenguella se dirigea vers le Fouta-Toro. Suivant Abdoulaye KANE, continuant sa route, Coly s’arrêta sur conseil de son guide, nommé Fouta, qui l’empêcha d’aller plus loin, son armée risquant d’être confrontée à un manque d’eau : «D’après les uns, c’est un peul, Dialalo, du nom de Oboss Diambel qui aurait suivi le perroquet, mais d’après une autre version, ce serait Fouta, le guide de Coly, qui le suit en trois étapes, jusqu’au Bosséya, où il prit quelques grappes de mil et revient jusqu’à l’endroit où il avait laissé Coly» écrit Abdoulaye KANE. Cette légende est également relatée dans par Siré Abbas SOH «Un jour que Koli était assis sous un arbre, en train de causer avec ses familiers, une perruche qui avait son nid sur cet arbre vint donner la becquée à ses petits et laisse tomber un grain de mil. Koli donna l’ordre de suivre la perruche. Un Peul alla jusqu’au bout, sans la perdre de vue. Elle les conduisit au milieu des champs du Fouta» écrit-il.

Le Peul, répondant au nom de Fouta, un courtisan de Coly, grand chasseur et connaisseur de la brousse, revient vers Coly et lui dit «J’ai vu un pays dont les plaines sont presque entièrement inondées. C’est là le pays dans lequel on doit vivre dans la paix et l’abondance». Suivant, Siré Abbas SOH, Coly avait une armée de 999 hommes, à son arrivée au Fouta-Toro, une partie des habitants effrayés s’enfuirent vers le Diolof. Il ne resta que les Farba et le Lam-Toro ; ils étaient les chefs du pays. Devenu maître du pays, qui s’appelait Namandir (pays de l’abondance), il rebaptisa en «l’honneur de Fouta, cet homme qui l’avait découvert par son intelligence et sa bravoure» écrit Siré Abbas SOH.

L’empire Dénianké était animiste : «si la majorité de la population était fétichiste, une minorité de musulmans, remuante et active, sapait, sans cesse, l’autorité des Dénianké» écrit André ARCIN. C’est donc, en 1776 que la Révolution des Torodos, conduite par Thierno, Souleymane BAL, après 70 ans de crise dynastique des Déniyankobé, allait renverser le dernier Satigui.

I – Coly Tenguella BA, l’unificateur du Fouta-Toro

Pour quelles raisons, après le Mali, Coly Tenguella est-il venu au Fouta-Toro ?

Les raisons économiques sont, en partie, à la base de la conquête du Fouta-Toro par Coly Tenguella. En effet, il est venu au Fouta-Toro pour rechercher un territoire plus propice, où il fait bon vivre ; le Fouta regorge de mil, de maïs, de niébé, de patates douces, coton et pastèques. Hormis l’assassinat de son père, la famine commençait à sévir sur le territoire du Mandé, au Mali.

Léon FAIDHERBE (1818-1889), gouverneur du Sénégal, donne deux versions, peu plausibles, de l’émergence de Coly Tenguella BA ; il «vint avec sa famille chez les Sérères-Sine, et où il fut parfaitement accueilli par le roi, qui épousa sa sœur. Koli-Teneba, devenu ambitieux, fit, avec l’aide de son beau-frère, la conquête du Toro. Voilà donc une tradition sur l’origine des Torodo». L’autre version consiste à soutenir que Coly serait originaire du «Foula-Dougou. Koly fit la conquête de tout le pays, depuis le Damga jusqu’aux frontières du Oualo. Les Socés du Damga furent sans doute refoulé dans le Ouli. Les Oulofs, qui ne voulaient pas subir la conquête, se réfugièrent dans les pays ouolofs de la côte» dit-il. Suivant Anne RAFFENEL (1809-1858), un explorateur, Coly Tenguella, dans son long voyage, arrivé entre le Bambouk et le Fouta-Djallon, ne savait pas quelle direction prendre, quand assis sous un arbre, un oiseau laisse tomber un grain de mil d’une rare grosseur : «Peu de temps après, la perruche ayant pris son vol vers le Nord-Ouest, Koli et son armée se mirent en route pour le suivre» écrit-il. «C’est à la fin du XVème siècle que s’opéra cette émigration des Dénianké arrivant au pays des Toucousors ou Toukourols, d’où ils chassèrent la tribu des Mandingues des Soussous ou Sossés, qui étaient établie dans ce pays depuis le commencement du XIIIème siècle, c’est-à-dire moins de 200 ans. Quand les Peuls arrivèrent dans ce pays, ils étaient sous le commandement du Satiric ou Satighi Koli» écrit le docteur L. QUENTIN.

Au début du XVIème siècle, Coly Tenguella BA libère le Tékrour de dominations externes, et rebaptise le pays, Fouta-Toro, du nom de la contrée dont il est originaire. Il existe donc désormais trois pays portant le nom de Fouta : Fouta Djallon, Fouta Kingui et Fouta-Toro, s’étendant à l’époque sur une partie du territoire mauritanien et sur le Boundou.
Comment alors expliquer le succès de Coly Tenguella, qui vient d’ailleurs, pour l’unification du Fouta-Toro ?

Sur le plan interne, face aux appétits de pouvoir, aux attaques incessantes des Maures, en raison de l’insécurité générale, surgit alors un personnage hors norme, Coly Tenguella, qui a su réunifier le Fouta-Toro. En ce début du XVIème siècle, le Fouta-Toro était déchiré par des divisions et des guerres intestines secouaient en permanence les différentes royautés. Les succès militaires de Coly militaires de Coly Tenguella viennent aussi de la longue et permanente lassitude des Foutankais victimes de l’anarchie, de l’insécurité et de guerres ancestrales. En effet, le Fouta-Toro, appelé anciennement le Tékrour, étaient par diverses populations hétérogènes : Peuls, Berbères ou Maures, Malinkés, Mandingues, Soninkés, Ouolofs et Sérères. Certains royaumes, notamment les Farba de Diowol et Farmabaal, ne cessaient de se battre entre eux. De nouveaux régnants ont pris le pouvoir, après la chute des Laam Termesse, mais les Maures se livrent à des razzias incessantes et la colonisation, qui est restée côtière, tente de s’infiltrer à l’intérieur du pays. A l’époque, le Fouta-Toro était un agrégat de peuples soumis à un pouvoir monarchique, mais avec d’importantes zones de turbulences et de révoltes : «Le Tékrour atteste l’anarchie permanente, due aux guerres sans trêve, qu’affrontaient des peuples voisins, mais ennemis. Le pouvoir procédait, avant tout, de la force, le conquérant de la veille cédant la place à celui du lendemain, et ainsi de suite» écrit Yaya WANE. La conquête du Fouta a été longue, compte tenu des résistances. Les dignitaires du Fouta, bien que divisés, par orgueil et méfiance, n’ont pas cédé facilement aux assauts de Coly.

Avant les Satiguis, sept dynasties (2 arabo-berbères, 1 Malinké, 1 Soninké et 3 Peul) se sont succédées au Fouta-Toro, dénommé auparavant, Tékrour ou Namandir. Les «Dia-Ogos», des arabo-berbères, pauvres, cultivaient la terre, travaillaient le fer ; ils étaient fétichistes. Ils ont été supplantés par la dynastie mandingue, «Les Manna», puis par les Diallonké, des Peuls appelés «les Tondiong», chassés par les Sarakollé, les «Tuge», eux-mêmes vaincus par les «Lam-Termesse», enfin éliminés par les «Lam-Taga».

En grand communicant, Coly Tenguella, un Peul, s’est présenté aux Fountankais, non pas comme un conquérant, mais un retour au pays de ses ancêtres, afin de retrouver le Paradis perdu. Par ailleurs, le retour au Fouta, pays de ses ancêtres, est pour Coly et ses armées une réussie tentative de retrouver le paradis perdu. En effet, pour Mohamed KATI, dans son «Tarikh El-Fettach», le Nord du Mali, et notamment la dynastie des Askia, de Gao, était d’ascendance peule, des Torodos originaires du Fouta-Toro : «L’expression «Torodo» désigne proprement en Peul un individu appartement à une sorte de caste ou plutôt de parti politique qui s’est fondé au Fouta sénégalais ; chez les Maure et au Soudan pour désigner tout musulman originaire du Fouta-Toro. L’Askia El Hadji Mohammed n’était pas né au Fouta, mais sa famille était originaire de cette province» écrit dans un commentaire Octave HOUDAS.

En effet, Coly s’est présenté aux Foutankais, comme le libérateur de ses ancêtres du joug des Malinkés : «Ses frères vivaient en nomades, soumis à la tyrannie des empereurs Malinké et Songhay. Comme le Gaulois, Sigovèse entra en Germanie sous la conduite d’un aigle, Koli traversa le Ferlo à la suite d’une perruche et attaqua les Socé qui dominaient le Damga et le Boundou, peuples de nombreux Peuls. Les Ouolofs se soumirent en masse, les réfractaires étant rejetés vers l’Ouest, dans la région maritime» écrit André ARCIN. En tout cas, à son arrivée au Fouta-Toro certaines familles se rallièrent à sa cause, dont les N’DIAYE, d’ascendance Ouolof «Les N’Diaye étaient des Ouolofs et furent appelés, par la suite des Sebbé» écrit Abdoulaye KANE dans son «histoire des familles du Fouta».

Sur le plan externe, il est à noter qu’avant l’avant l’arrivée des Satigui sur le Fouta-Toro, une partie de ce territoire était sous le joug de l’Empire du Mali dont les représentants étaient les Farba. En effet, entre les XIème et XVIème siècles, le Tékrour anarchique sera finalement dominé par l’empire Soninké du Ghana, puis, par la suite annexé par l’empire mandingue du Ghana, à la suite d’une sanglante conquête. Le Ardo de Guédé et différents Farba dépendaient du Bourba de Djolof ; une partie du Fouta était donc sous la domination Ouolof. Coly Tenguella a su capter les souffrances et les espérances des Peuls qui étaient un peu partout minoritaires en Afrique Occidentale ; ils étaient persécutés au Mali, en Guinée et Fouta-Toro, dont une large partie était dominée par le Bourba du Djolof.

Si Coly Tenguella BA a vaincu et unifié le Fouta-Toro, il le doit aussi à son courage, son génie militaire. Dans sa conquête du Fouta-Toro, Coly Tenguella BA, allié des Sérères et accompagné d’une partie de sa famille, suivant Yaya WAGNE, avait une armée de 3333 hommes, dont une bonne partie se composait de ces vaillants et fidèles partisans guerriers : les «Sebbé Colyyaabé», (Tiéddo, au singulier). Les succès militaires sont dus, en grande partie, à la détermination de Coly Tenguella, un fin stratège, sa puissante armée, bien entraînée, était mobile avec des chevaux, il utilisait des arcs et des flèches. Les Foutankais, eux, se battaient souvent au couteau, au sabre ou à mains nues et à pied ; ils se déplaçaient difficilement avec leurs taureaux, moins mobiles et peu adaptés au terrain de combat. Coly a réorganisé, discipliné et hiérarchisé son armée autour de 7 commandants principaux dont les fameux Niima et Gata Coumba. Puis, il a élargi, par la suite, son commandement militaire aux descendants de certaines familles royales dont celle de Sawa Dondé. Sur le champ de bataille, Coly Tenguella a su galvaniser ses troupes en se faisant accompagner de «Bawdi Almari», tam-tams et de griots vantant la bravoure de ses «Djambarébé» (guerriers) ; un vrai guerrier peul, dans ses codes d’honneur, préfère mourir sur le terrain de combat que sur son lit. Durant les combats, les griots entonnent, notamment le «Yella», un chant de guerre. Les guerriers, abreuvés au code l’honneur de la bravoure, choisissent alors de donner leur chair aux vautours plutôt que de se rendre. Les forgerons sont mis à contribution pour fournir les armes et les pillages permettent d’assurer, efficacement la logistique et l’intendance.

Par ailleurs, pour pacifier le Fouta-Toro, Coly Tenguella épousait les filles et veuves de ses victimes, et distribuait les prébendes aux personnes ralliées à sa cause. La légende raconte que Coly demanda à ses sujets «comment son père faisait-il pour épouser ses femmes ?» ; on lui répondit : «Il payait la dot aux femmes qu’il voulait épouser». Coly rétorqua à cela : «Moi je tuerai leurs parents et les épouserai». Coly, en stratège, a donc associé ses victimes au pouvoir par les liens du mariage, et a ainsi conforté sa domination.

Cette attitude de conciliation à l’endroit des peuples conquis, rendait moins lourde la domination des Peuls et faisait participer réellement à l’exercice du pouvoir les vaincus. Cependant, Coly Tenguella sait aussi user de la force ou de méthodes déloyales, pour vaincre de certaines résistances, c’est un tueur politique. Ainsi, il a fait assassiner le Lam-Toro, après avoir conclu un traité de paix qu’il avait lui-même proposé. Il a fait assassiner le Farmabaal grâce à la trahison de son frère. Un autre Ardo a été tué à la suite de la trahison de sa femme ; il fit décapiter cette femme par la suite.

Coly Tenguella, durant son règne, eut le génie de structurer son administration pour la confier à des fidèles, notamment furent nommés : son frère Ameth Ali El Bana, chef du Toro à Guédé, neveu, Niobdi, chef des Irlabbé Hébbyabé, son fils Moussé Bassé, chef du Bossoya, son frère Ali Malliga, chef du Damga, etc. Les affaires entre particuliers étaient réglées par les chefs de province dont les décisions étaient irrévocables. Mais pour consolider son règne, il était obligé régulièrement de mener des guerres.

La conquête du Fouta n’a pas été de tout repos. Ainsi le N’Guénar a résisté, dit-on, pendant 7 ans, le Damga n’a cédé qu’au bout d’un an, le Bossoya, le Lao et le Toro n’ont été vaincus qu’après plus de 3 ans de combats acharnés. Démarrés vers 1520, la conquête et l’unification du Fouta ne seraient terminées que vers 1532.

Coly Tenguella établit sa capitale à Silla, suivant Yaya WANE, à Toumbéré Guingui, à côté de Kaédi, en Mauritanie, selon Cheikh Moussa CAMARA, il se transportera par la suite à Orkodiéré. Coly Tenguella BA mourut d’une fièvre, à Lamboussa, pays dont on ne connaît pas l’emplacement actuel. Yaya WANE situe sa mort en 1586.

II – Coly Tenguella, le Satigui, fondateur de la dynastie peule des Déniyankobé

Coly Tenguella est donc le fondateur de la dynastie des Déniyankobé ayant unifié le Fouta-Toro. Le mot «Déniyankobé» a été interprété de différentes manières. Pour André ARCIN, Dénianké sera issu de «Dénia», une région côtière du Maroc. En Malinké, «Dénia» est le diminutif de «Déniouma» désignant «le joli enfant» ou «l’enfant béni». En effet, pour Samba Alassane BA, Déniankobé, signifierait «chefs, une famille de guerriers venant du Dolo». Les Peuls Déniyanké sont «les habitants de «Déni», un village peul du Macina, au Mali. Ce terme est plus célèbre comme désignant la tribu peule dont étaient originaires Coly Tenguella BA et ses conquérants» écrit, en 1969, Yaya WANE, dans sa magistrale «histoire des Toucouleurs du Fouta-Toro».

Coly Tenguella a pris le titre dynastique de «Satigui». Jean-Baptiste LABAT (1663-1738) ou d’autres voyageurs emploient, par corruption du terme, le mot de «Satirique» ou «Siratic». Ce voyageur écrit que «Le milieu du lac de Cajor sépare les Etats de Jaloffes et des Foules, ou le royaume des Brac ou Satirique». Pour Yaya WANE, «Satigui»signifie «le Guide». Cheikh Moussa CAMARA pense, sans être affirmatif, que «Silatigi est, peut-être, le nom d’un ancêtre ou un titre royal».

Henri GADEN a donné l’explication la plus crédible, que je reprends à compte, à savoir que les Peuls étant des voyageurs et éleveurs, Tenguella avait pris les titres d’Ardo (chef peul), puis celui de «Saltigui», un terme mandingue, ou «Satigui» en Peul, signifiant «maître de la route» ou «chef de la migration», ou encore «celui qui ouvre le chemin», et donc celui ayant connaissance des choses pastorales et de la brousse, investi du culte des ancêtres et de leur génie.

A – La longévité et la relative bonne gouvernance de la dynastie des Déniyankobé

Coly Tenguella est resté dans la postérité en raison, notamment de la longévité de la dynastie des Déniyankobé qui ont régné sur le Fouta-Toro, du début du XVIème siècle jusqu’en 1776. Coly Tenguella a effacé le nom de diverses dynasties qui avaient gouverné, auparavant, au Fouta-Toro. Abdoulaye KANE estime que la première capitale des Déniyanké était d’abord Agnam Godo ; elle sera par la suite transférée, au gré des circonstances, notamment à Diowol et à Orkodiéré. En revanche, Moussa CAMARA dit la première capitale se situerait à Toumbéré Guingui, dans l’actuelle Mauritanie.

Ce qui a marqué les esprits ce sont les 70 dernières années du règne des Satigui, en raison des guerres de la succession au trône, qui avaient plongé le Fouta-Toro, dans le Chaos, en raisin de cette crise dynastique et des pillages. Cependant, et hormis cette période sombre, et contrairement, à une idée reçue, les Satigui des temps anciens étaient attachés à une certaine bonne gouvernance, et respectés par la population. Jean-Baptiste LABAT a décrit, avec l’aide des notes d’André BRUE (1654-1738), lors de ses différents séjours au Sénégal entre 1697 et 1720, la grande vénération dont bénéficie le Satigui auprès de la part de la population : «Rien n’est plus respectueux que la posture où ils sont quand ils viennent demander justice ; ils sont à genoux, ils ôtent leur bonnet, leurs sandales. Ils entrent dans la salle, ils se prosternent le visage contre terre, au premier pas qu’ils font. Se jettent de la poussière sur la tête, jusqu’à ce qu’ils soient arrivés à une distance où le roi et ses conseillers les puissent entendre commodément» écrit LABAT. En effet, les hautes qualités morales de certains Satigui ont été louées par les historiens. Ainsi, Guéladio Tabara est considéré comme «un homme bon, vertueux et juste» par Mohamed KATI dans son «Tarik El-Fettâch».

Si le règne de Sawa Lammou a durée entre 30 et 37 ans, c’est probablement qu’il avait fait l’unanimité, pour ses qualités morales et son leadership, fondé sur l’équité. Pendant son règne, Abou Bakr, a «interdit l’injustice» dit Mohamed KATI. Il y a eu, tout de même, en 1707, Sawa Dondé qui a été tué par son frère Bocar Siré Sawa Lammou ; celui qui a commis ce parricide sera vite chassé du pouvoir. Cheikh Moussa CAMARA dit du Satigui Boubou Moussa (1721-1731), qu’il vainquit tous ses ennemis, refusant de fréquenter les injustes, sa parole est écoutée de tous. Claude JEANNEQUIN (1601-1660) est un des rares Occidentaux à s’être rendu au Fouta-Toro, lors de son voyage en 1638, au Sénégal, du temps de Sawa Lammou. A cette époque, le Satigui régnait sur un vaste territoire composé de 19 provinces englobant tout le Fouta-Toro, mais aussi le Boundou, le Wagadou et le N’Galam. Manuel TEIXERA DA MOTA (1666-1758) a recensé 18 provinces. Claude JEANNEQUIN nous relate un témoignage inestimable, notamment sur la vie quotidienne, les règles de succession et la justice.

Lorsqu’un Satigui décède, ses enfants sont contraints de quitter, momentanément le pays. Une enquête de mœurs est alors diligentée à l’effet de savoir si le défunt avait «moralement vécu», et s’il avait «mal vécu», ses enfants sont alors bannis, à jamais du pays. Un nouveau Satigui est élu, par un conseil de notables issus de l’aristocratie peule. Si la dynastie des Déniyankobé était animiste, le Fouta-Toro était déjà islamisé, même en cas de crime grave, le marabout ou le chef de village, ne pouvait que prononcer le bannissement. La peine de mort est réservée pour les assassinats ou complots contre le Roi. Cependant, le souverain peut les commuer en exil perpétuel. Il n’y a pas d’appel, le jugement est exécuté immédiatement.

Dans ses mémoires, André BRUE, retranscrits par LABAT, fait ainsi une description du Satigui : «Le roi Siratic était alors âgé de 56 ans. Il était d’une taille médiocre assez remplie ; ses cheveux et sa barbe commençaient à grisonner, chose extraordinaire parmi les Nègres à qui cela n’arrive que dans une vieillesse assez avancée. Il avait le nez aquilin et bien fait, la bouche toute petite, de belles dents, quoiqu’il eut les yeux petits. Rien de plus simple que son habit ; car il n’avait sur ses culottes qu’une chemise de toile de coton noir, avec un bonnet de même étoffe».

A l’époque, sans aucune emprise sur le Sénégal morcelé entre différents royaumes, les Français avaient établi des liens de coopération mutuellement avantageux avec le Fouta-Toro : «Laborieux, ils cultivent leurs terres avec soin, font de récoltes abondantes, de gros et petits mils, de coton, de tabac, de pois, et ils élèvent une quantité prodigieuse de bestiaux, de toutes espèces. (..) C’est dans leur pays que la Compagnie tire les plus beaux cuirs à meilleur marché. Ils aiment la chasse, et sont forts adroits», écrit LABAT. Les Européens achetaient aux Satigui de la gomme arabique et des défenses d’éléphant, et devaient s’acquitter de droits de douane (coutumes) pour faire du commerce au Fouta-Toro.

Il subsiste de graves incertitudes sur la datation, la durée et l’ordre du règne des différents Satigui, dont celui de Coly Tenguella, ainsi que le nombre des rois Satiguis. Ainsi, s’il est certain que le père de Coly, Tenguella, été tué le 19 janvier 1493, au Mali, David ROBINSON situe le règne de Coly Tenguella entre 1495 et 1512 (17 ans). En revanche, pour Oumar KANE la dynastie des Satigui s’étend entre 1512 et 1537 (25 ans). La durée du règne des Satigui est également entourée de graves flottements. En effet, Abdoulaye KANE a recensé 19 Satigui, dont les quatre premiers sont Guéladio Tabara, Ndiaye Houlèye, Sawa Lammou et Yéro Diam II. Sans établir de datation, Abdoulaye KANE estime que la durée totale du règne des Satigui serait de 243 années et 45 jours. Le plus court règne est de 45 jours pour Anta Coumba et les plus longs de 30 ans, respectivement pour Sawa Dondé, Guéladio Dondé et Soulèye N’DIAYE 1er. Abdoulaye KANE n’attribue que 2 ans au pouvoir pour Sawa Lammou, pourtant un des piliers de cette dynastie. Le manuscrit de Thierno Ciwol que cite Maurice DELAFOSSE, dans les «Chroniques du Fouta» de Ciré Abass SOH indique les Satigui auraient régné pendant 378 ans, pour Ciré Abass, cette durée serait de 381 ans. Ciré Abass SOH recense 22 Satigui, sans une date précise, et Maurice DELAFOSSE en a trouvé 28, pour un total de 264 années au pouvoir, si l’on compte «entre l’avènement de Koli, en 1512, au plutôt et celui de l’Imam Abdelkader en 1776» écrit-il dans ses notes. Les plus longs règnes sont attribués, respectivement, à Sawa Lammou 37 ans, Bocar Tabakali 33 ans et Laba 27 ans. Pour Abdoulaye KANE les 25 Satigui ont régné pour 313 ans.

Le Capitaine STEFF et Samba Alassane BA, ont fourni des listes incomplètes de Satigui et sans datation. Pour Oumar KANE aussi, la dynastie Déniyankobé, des Peuls Yalalbé ou Saybobé, a régné sur le Fouta-Toro, de 1512 environ à 1776, soit pendant 264 ans, si nous admettons que le Fouta-Toro a été conquis par Coly dès 1512, c’est-à-dire juste après la mort de son père Tenguella.

Le «Tarikh Es-Soudan» de ES-SADI, un contemporain des Satigui, et Cheikh Moussa CAMARA l’a repris à son compte, indique le premier successeur de Coly Tenguella, c’est son fils, Yéro Diam : «A sa mort, Kalo eut pour successeur son fils, Yoroyim (Yéro Diam). Quand ce dernier mourut, il fut remplacé par Kalaya-Tabara, un homme éminent, bon, juste et dont l’équité n’eût de pareil, excepté Kanka Moussa. A sa mort, c’est Kota, le fils de Yoroyim qui prit le pouvoir. Il eût lui-même pour successeur, son frère, Sanba-Lâm (Sawa Lammou), qui s’appliqua à faire régner la justice, et régna 37 ans. C’est son fils Abou-Bekr qui prit le pouvoir» note le «Tarikh Es-Soudan».

Cheikh Moussa CAMARA estime que Yéro Diam n’était pas le fils, mais le frère de Coly Tenguella : «Tenguella était le père de Coly, de Yéro Tenguella qu’on appelait Yéro Diam et Yéro Sarki. Il était aussi le père de Guéladio Tabara et Nima» écrit-il dans son «Florilège». Cheikh Moussa CAMARA a établi un ordre de succession suivant : Yéro Diam, Gata Yéro Diam, Sawa Lammou, Bocar Sawa Lammou (1640-1669), Ciré Sawa Lammou (1669-1702, devenu aveugle, Samba Bocar Sawa Lammou (1702-1707), Guéladio Bocar ou Guéladio Diégui (1710-1718), Boubou Moussa (1721-1731), Konko Boubou Moussa, Soulèye Boubou Moussa, Ciré Boubou Moussa, Bocar Boubou Moussa, Boubou Guayssiri ou Boubou Mody Bocar Sawa Lammou (1747-1749). Konko Boubou Moussa entre en conflit avec Samba Guéladio Diégui qui l’aurait assassiné, par un pêcheur de Dondou, appelé Boubou BOYE. Ce fut la lente descente dans les enfers de la dynastie des Déniyankobé. Samba Guéladio Diégui est le premier à faire appel aux Maures, dans cette guerre de succession. Pendant cette époque, André BRUE vend des armes aux Cayor et à tous les protagonistes de la guerre de succession des Satigui. A la mort de Samba Guéladio, à Diam Wélli, Konko Boubou Moussa se convertit à l’Islam et abdique à ses fonctions de Satigui. Soulèye N’DIAYE ou Soulèye Boubou (1745-1751), en raison de l’insécurité générale et de l’avancée de l’Islam perd toute estime de la population, mais il continue sa lutte contre certains Peuls, les Saybobé. Aly Mamoudou LY, appelé Thierno Mollé de Thilogne, est tué entre N’Douloumadji Founébé et N’Douloumadji Dembbé. Les Foutankais, las de ces désordres et de la famine, iront se réfugier au Boundou, au Diolof ou au Saloum.

Yaya WANE, se fondant sur la tradition orale, «Les Tarikh El Futiyu», des textes en Ajami, transcrivant le Peul en arabe, établis par des marabouts savants du Fouta-Toro, estime que le premier Satigui serait Labba Tenguella, succédant à son père pour trois ans, et Coly Tenguella n’a été intronisé qu’en deuxième position. Yaya WANE établit une liste de 27 Satiguis ayant régné sur le Fouta «Ce qui représente plus de quatre siècles, si l’on tient compte des quelques 64 années qu’aura durée le règne du fondateur de la dynastie. Or, ces quatre siècles de pouvoir des Déniankobé constituent presque le double de l’approximation la plus répandue, qui limite la présence des Satigi, soit au plus, à deux siècles et demi» écrit Yaya WANE.

David ROBINSON a établi un travail rigoureux avec une datation sur la base d’une liste de 37 Satigui entre 1495 et 1776, soit 281 ans, de longévité pour cette dynastie. Il est vrai que certains Satigui ont été, plusieurs fois au pouvoir, comme Boubacar Ciré (3 fois) Boubou Moussa (3 fois), Konko Boubou Moussa (2 fois), Samba Guéladio Diégui (2 fois), Soulèye N’DIAYE, l’Ancien (3 fois). Pour David ROBINSON, c’est Laba Tenguella, son frère qui a pris le pouvoir de 1532 à 1535. Yéro Diam, le fils de Coly, a pris, par la suite, le relais de 1535 à 1539, Guéladio Bambi de 1539-1563, Guéladio Tabara de 1563 à 1579, Guéladio Gayssiri de 1579 à 1580, Yéro Diam Coly, de 1580 à 1586, Diadié Garmi en 1586, Gata Coumba de 1586 à 1600, Sawa Lammou de 1600 à 1640 (30 ans), Bocar Tabakaly de 1640 à 1649, Ciré Takaly de 1669 à 1702, Samba Boly de 1702 à 1707, Samba Dondou de 1707 à 1709, Boubacar Ciré Sawa Lammou de 1709 à 1710, Guéladio Diégui de 1710 à 1718, Boubacar Ciré (Second règne) de 1718 à 1721, Boubou Moussa (1er règne) de 1718 à 1722, Boubacar Ciré (3ème règne) de 1722 à 1723, Boubou Moussa (2ème règne) de 1723 à 1724, Samba Ciré Sawa Lammou, en 1724, Boubou Moussa (3èmerègne) de 1724 à 1725, Samba Guéladio Diégui (1er règne) de 1725 à 1726, Konko Boubou Moussa (1er règne) de 1726 à 1738, Samba Guéladio Diégui (2èmerègne) de 1738 à 1740, Konko Boubou Moussa (2ème règne) de 1741 à 1743, Soulèye N’DIAYE, l’Ancien, (1er règne) de 1743 à 1747, Boubacar Guayssiri.

B – Splendeur et décadence de la dynastie des Déniyankobé

La dynastie des Déniyankobé est héréditaire ou gérontocratique. Cette incertitude des règles de succession aura, par la suite, de lourdes conséquences sur sa survie : «Au début le pouvoir est certainement héréditaire, c’est-à-dire dévolu du père au fils aîné, ou bien de l’aîné au cadet. Mais la famille de Coly s’élargissant par la suite, il est probable que le pouvoir aura subi d’importantes rotations, puisqu’il aura pu être transmissible à l’aîné de l’ensemble des descendants mâles du premier Satigui ; ce qui équivaut, en somme, à une sorte de monarchie gérontocratique tournante» écrit Yaya WANE.

La famille royale, au cours d’un conseil privé, désigne le plus âgé ou le valeureux. C’est à ce titre que Laba Tenguella en raison de ses nombreuses victoires dont celle contre les Ouolof qui attaquaient le Fouta-Toro, a été désigné Satigui. Labba fut tué à Agnam, par un Damel qui avait fait une incursion dans le Fouta-Toro. Samba Tenguella, frère de Coly, succéda à Labba ; il n’a rien changé aux règles de gouvernement établies par Coly. Samba Tenguella a continué de livrer bataille aux Maures et aux Ouolof qui voulaient assujettir le Fouta. Mais les Satigui sont, en général, des souverains fainéants et pillards. Samba Tenguella fut vaincu et tué au cours d’une de ses expéditions. Guéladio Tabara, fils de Coly, succéda alors à Samba, son oncle. Il mourut de maladie et fut remplacé par Sawa Lammou qui n’a régné que deux ans, pour être remplacé par son fils, Ciré Sawa Lammou ; ce dernier a régné pendant 30 ans sur le Fouta-Toro. Bokar Samba Lammou fut nommé Satigui, en remplacement de son père et régna pendant 20 ans et fut remplacé par Guéladio Dikoui, qui lui-même, à sa mort, a été remplacé par Guéladio Diégui (père de Samba Guéladio Diégui). En raison de sa très grande sévérité, Guéladio Diégui s’aliéna du soutien du Fouta et d’une bonne partie de sa famille royale. A la suite d’une révolte, Guéladio Diégui fut destitué au profit de Birame Boubou Moussa.

Guéladio Diégui qui était réfugié à Tiabou, près de Bakel, y mourut et la même nuit, le Satigui Birame Boubou Moussa succomba de maladie à Toumbéré Guingué, la capitale des Satigui. Boubou Moussa prit alors le pouvoir.

Boubou Moussa a régné pendant 23 ans, et a eu un réel soutien populaire en raison de la paix et la justice qui régnaient dans le pays. Cependant, de grandes dissensions eurent lieu concernant le partage du pouvoir. En effet, il distribua toutes les charges aux différents princes, sauf à Samba Guéladio Diégui ; celui-ci, absent du pays lors de la distribution des charges, se trouva affligé qu’aucune place ne lui avait été réservée et entra donc en conflit contre son oncle pourtant légitimement nommé Satigui.

Au sein de la dynastie des Satigui, le nom de Samba Guéladio Dégui nous est parvenu, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, Samba Guéladio a soulevé la question de la Justice. L’histoire de Samba Guéladio Dégui est liée à des règles de succession qui ont, à un certain moment donné, mal fonctionné sous le règne de Boubou Moussa. Boubou Moussa, neveu de Guéladio Diégui. Boubou Moussa a opéré un changement dans le fonctionnement du royaume de Fouta-Toro qui va déclencher une guerre de succession et faire entrer Samba Guéladio Diégui en scène. En effet, il a eu la malencontreuse idée de créer des charges qu’il réserve aux dignitaires Déniyankobé et aux percepteurs d’impôts. Toutes les charges furent distribuées sans en réserver aucune pour Samba Guéladio Diégui, fils de son oncle Guéladio Dégui, ancien Satigui. Samba alla réclamer au Roi sa part, mais celui-ci lui répondit que la distribution est déjà faite, mais qu’il pouvait prendre tout ce qui est nécessaire pour vivre. Victime de l’usurpation du pouvoir par son oncle, le récit magnifie ce prince peul qui mena une longue guerre de succession pour le royaume des Déniankobé. «La fascination qu’exerce l’épopée de Samba Guéladio sur des générations de chercheurs est due beaucoup plus à l’ambiguïté du personnage qu’à l’originalité de la geste» écrivent Lilyan KESTELOOT et Bassirou DIENG dans «Les épopées d’Afrique noire».

Ensuite, Samba Guéladio Diégui concentre, à tout seul, les valeurs culturelles d’une époque : celles de l’Islam, mais aussi de l’animisme et de la féodalité des Peuls. «Le génie créateur d’un peuple se manifeste de différentes façons, mais reflète toujours dans ses manifestations la culture de ce peuple» écrit le professeur Amadou LY.

Samba affirme son indépendance, exhibe sa bravoure, indomptable, invincible et orgueilleux, il veut incarner l’indépendance du Fouta-Toro. Ceux que chantent les griots doivent se signaler par leur courage, leur intelligence, leur droiture, leur sens de l’honneur. En effet, le père Jean-Pierre LABAT fait remarquer le souci d’indépendance de Samba Guéladio : «La première chose qu’il fit, dès qu’il fut monté au trône, fut de chasser les Maures tous les endroits de ses Etats où il était établi, comme le seul moyen de conserver le Royaume de ses ancêtres». Chassé du trône, et sa mère humiliée, dans une version tirée des manuels scolaires, Samba séjourne dans un village, dans une contrée terrorisée par un monstre, «le Tiamaba», un redoutable caïman ou le «Guinârou», un animal mythique, alors qu’il n’avait que 6 ans, et épouse la fille du Roi. Suivant une autre version du capitaine STEFF, n’ayant pas réussi à détrôner son oncle Boumoussa qui l’avait écarté, injustement, des charges princières, Samba Guéladio s’exile, pendant plus de sept ans, chez les Maures, dans le Macina. Les habitants de ce pays manquaient d’eau et ne possédaient qu’une seule source gardée par un lion, le «Niamara Dallal» à qui il fallait sacrifier, une fois toutes les trois semaines, une jeune fille. Arrivé dans la contrée, Samba fut hébergé par une pauvre femme qui lui servit une eau de mauvaise qualité et lui raconta le calvaire du village. Samba Guéladio tua le lion, SENGHOR parle de «M’Bardi Lalo», un lion, et coupa sa patte droite comme preuve. Le roi maure, Ellène Ben Zikri, promit une forte récompense à celui qui a tué le lion. Samba prouva que c’est lui qui avait tué le lion. Les hypocrites jaloux de la soudaine notoriété du nouveau venu, ont demandé au roi maure de soumettre Samba à une autre épreuve : débarrasser les Maures de Birama Gouroury, fils de Ardo Gouroury, roi du Macina, qui venait souvent piller les vaches blanches des Maures. Une version, proposée par Blaise CENDRARS (1887-1961), tirée de la tradition orale, les principaux personnages de la légende sont : le griot, Séwi Mallal, le captif Doungourou, Oummoulatôma, le cheval de Samba, Boussalarbi, le fusil magique, la mère de Samba N’Diorgual est une infirme en référence à la légende de Soundiata KEITA. En toile de fond on retrouve la contestation de la légitimité du pouvoir de l’oncle de Samba et réclame aux Maures une armée pour reconquérir le pouvoir.

Enfin, il est reproché à Samba Guéladio d’avoir fait assassiner son oncle Boubou Moussa, réintroduit le désordre et le chaos au Fouta-Toro, à travers son alliance avec les Maures. «Les cris d’alerte des hommes, les pleurs de femmes et des enfants, et les chansons des griots» apprirent aux Foutankais la disparition de leur vénéré Satigui, Boumoussa. Samba Guéladio entre à Gallé en triomphateur et se proclame Satigui, sans une intronisation de l’assemblée des notables. Depuis lors, on a coutume de dire, il est comme un lion au milieu d’un troupeau de moutons, sans berger. «Gniwa ala Gayanoko» disent les Peuls, en d’autres termes : «L’éléphant n’a pas de berger». Ivre de joie, Samba se livre à son activité favorite : le pillage. Il rançonne les Foutankais, sont devenus ses sujets. Samba a la gâchette facile. Il tue ceux qui lui résistent ou portent atteinte à son honneur. Il va même jusqu’à assassiner Guéladio Hindé, un très fidèle compagnon qu’il avait surpris avec sa femme. Mais ce meurtre annonce la fin du règne de Samba Guéladio et le déclin du règne des Déniyankobé.

Cependant, et sans nul doute, c’est la poussée de l’Islam qui a donné un coup de grâce à la dynastie des Déniyankobé : «Pendant longtemps, ces derniers (les Marabouts), vécurent misérables et de la charité publique pour ainsi dire, se contentant, comme tout marabout, de faire des prières et de mépriser les travailleurs» écrit le docteur QUENTIN.

En effet, les Déniyankobé sont des Peuls païens. Or, l’Islam ne cesse de progresser, sous l’effet de grandes confréries Quadriaya et Tidjiana, soutenues par les Touaregs qui veulent étendre et sécuriser leur commerce à toute l’Afrique occidentale : «Les Déniyanké eurent bientôt le tort, qu’ils avaient eu, de leur laisser prendre tant d’influence dans le pays et voulurent, mais trop tard, les traiter en esclaves. Peu à peu, le nombre de fidèles augmenta, et pendant deux ans, leur marabout tint en échec l’armée du Siratic» écrit L. QUENTIN.

En définitive, la dernière période de pouvoir des Satiguis aura été plutôt conciliante à l’égard de l’Islam. Certains Satiguis, abjurant le paganisme, se convertirent à l’Islam, comme Silèye N’DIAYE, le Jeune. Ils concédèrent de gigantesques propriétés terriennes, notamment à Thierno Sidiki DAFF à Kanel et Séno-Palél. Ils ont même donné pour épouse, leur propre fille richement doté, à Tapsirou Hamat WANE de Kanel. L’Islam, une religion ancienne au Fouta-Toro, commence à prendre de l’ampleur, les Musulmans devenant progressivement majoritaires, prennent conscience de leurs forces, et se révoltent contre le pouvoir arbitraire et les graves injustices des Satiguis. La guerre entre le parti des Torodo et les Satiguis, commencée vers 1750, allait durer plus de 26 ans. En effet,la Révolution menée par Thierno Souleymane BAL en 1776 a eu raison de la dynastie des Satiguis. Un Etat théocratique, fondé par Thierno Sileymane BAL, basé sur des règles de succession transparentes, sur la bonne gouvernance, et dont le souverain prenait le titre d’Almamy, vint alors remplacer la dynastie fondée par Coly Tenguella.

En dépit, de cette chute des Déniyankobé, le souvenir de leur règne est encore resté vivace et gravé à jamais dans le souvenir des Foutankobé.

Pour la bibliographie merci de consulter Médiapart ou mon blog.

Paris le 1er avril 2013, actualisé, le 15 novembre 2020, par Amadou Bal BA – http://baamadou.over-blog.fr/

laissez un commentaire