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«Abdulrazak GURNAK, un tanzanien, exilé en Grande-Bretagne, Prix Nobel de Littérature» par Amadou Bal BA –

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Dans ce monde de plus en plus lepénisé et frileux, je me réjouis pleinement du Prix Nobel de littérature décerné à un Tanzanien, Abdulrazak GURNAH, né à Zanzibar le 20 décembre 1948, de langue Swahili, auteur d’une dizaine de romans, en langue anglaise, dont certains ont été traduits en langue française. L’auteur vit à Brighton, et enseigne la littérature anglaise et postcoloniale à l’université de KENT. Un de ses romans célèbres, «Paradis», traite de l’esclavage qui avait sévi à Zanzibar. Vendu par son père, esclave sur la route des caravanes, Yusuf finit cloîtré dans un jardin d’Eden au gré des caprices de sa maîtresse. Récit tumultueux d’une jeunesse africaine au début du siècle entre Zanzibar et le lac Victoria. Kaur Mohineet BOPARI est le premier à avoir publié une étude d’ensemble, en août 2021, sur les thèmes qui hantent la contribution littéraire d’Abdulrazak GURNAH, à savoir notamment les questions d’oppression, de mémoire, de race, de genre, de classe, et de solidarité. Au moment où la Françafrique plastronne, Abdulrazak GURNAH a été nobelisé pour son récit «empathique et sans compromis des effets du colonialisme et le destin des réfugiés pris entre les cultures et les continents». Pour la poétesse, Louise GLUCK, la contribution littéraire d’Abdulrazak GURNAK est d’une «beauté austère».

Maryse CONDE, Prix Nobel alternatif, N’Gugi Wa THIONG’O et Annie ERNAUX faisaient partie des nobélisables. Peu de Prix Nobel ont été attribués à des racisés. S’agissant des Prix de Nobel de la paix, sur les 118 une vingtaine sont allés aux Africains dont Albert LUTILI en 1960, à Desmond TUTU en 1984, et à Nelson MANDELA en 1993, le gynécologue congolais, Denis MUKWEGE en 2018 et le nigérian, Secrétaire des Nations Unis, Kofi ANAN, en 2001. Depuis 1901, un Prix Nobel de littérature est attribué et le premier, non européen, un bengal, à être honoré est Rabindranath TAGORE (1861-1941, en 1913, auteur de contes du Bengal et des «Offrandes lyriques». Sur 117 lauréats, Wole SOKYNKA, un écrivain nigérian, est le premier africain récipiendaire en 1986, du Prix Nobel de Littérature. Toni MORRISON (1931-2019) est la première afro-américaine, en 1993, Prix Nobel de Littéraire. Certains éminents auteurs noirs sont passés entre les mailles du filets : Aimé CESAIRE, Léopold Sédar SENGHOR, Chinua ACHEBE ou Langston HUGHES.

Ce Prix Nobel de Littérature attribué à Abdulrazak GURNAH est d’autant plus symbolique, pour un monde multiculturel, harmonieux et fraternel, qu’il est attribué à un réfugié en Grande-Bretagne, le pays du BREXIT, retranché dans une forteresse qui n’est plus une île. «Je suis un réfugié, un demandeur d’asile. J’ai débarqué à l’aéroport de Gatwick en fin d’après-midi le 23 novembre de l’an dernier. C’est un point culminant, mineur et familier de nos histoires que de quitter ce qu’on connaît pour arriver dans des lieux étranges, emportant avec soi pêle-mêle des bribes de bagages» écrit Abdulrazak GURNAK, dans «Près de la mer», prix RFI. Au moment, où à Paris, des réfugiés dont les pays ont été dévastés par la Français s’agglutinent, misérablement, aux boulevards périphériques, Abdulrazak GURNAH pose cette question redoutable : Qu’est-ce qui pousse un vieil homme à quitter son île de Zanzibar pour demander , sous une fausse identité, l’asile politique en Angleterre ? «Je savais, évidemment, que le noir c’était l’autre, le mauvais, le bestial, le perfide, inscrit au plus profond de l’être chez l’Européen même le plus civilisé, mais je ne m’attendais pas à contempler tant de noirceur sur cette page. Tomber là-dessus sans y être préparé a été pour moi un choc plus grand que d’être traité de mowicaud hila’ (moricaud hilare) par un homme qui tenait le rôle du grincheux dans un film daté» écrit-il.

«Adieu Zanzibar», traduit en français en 2009, raconte les amours et les illusions de Martin et de Réhana, d’Amin et de Jamila, de Rashid et de Barbara. Ils sont noirs ou blancs, indiens ou arabes, chrétiens ou musulmans et tissent, de Zanzibar à Londres, autant d’histoires d’amour, d’interdit, de mémoire et d’exil. Portée par la force d’évocation et la poésie d’Abdulrazak GURNAH, cette fable désenchantée, dans laquelle résonne le destin légendaire des Atrides, a le souffle des grandes histoires.

Son œuvre s’éloigne des «descriptions stéréotypiques et ouvre notre regard à une Afrique de l’Est diverse culturellement qui est mal connue dans de nombreuses parties du monde» estime le jury de RFI. Pour ce nouveau Prix Nobel de Littérature, réfugiés venus d’Afrique, parfois des «gens talentueux et plein d’énergie» sont une richesse pour le pays d’accueil ; ils ne viennent pas «les mains vides» dit-il. «Beaucoup de ces gens qui viennent, viennent par nécessité, et aussi franchement parce qu’ils ont quelque chose à donner» précise-t-il. Nous continuerons de réclamer, dans cette France, avec son message universel, que les universités françaises ouvrent leurs portes aux études africaines et qu’une Maison d’Afrique voit enfin le jour à Paris. Il n’y aucune raison, dans cette France républicaine, que dans les sondages, les gens aux idées continuent à nous narguer. Dans un récent article, et en réponse aux arguments nauséabonds d’Eric ZEMMOUR, avec sa bulle médiatique, Jacques ATTALI a eu le mérite et le talent de rappeler tous ces étrangers qui ont fait la France, sous un titre sarcastique «ces étrangers qui détruisent la France !» il s’agit notamment de Guillaume APOLLINAIRE, Pablo PICASSO, Juan GRIS, Cristobal BALENCIAGA, Blaise CENDRARS, Lino VENTURA, Françoise GIROUD, Le Corbusier, Agnès VARDA, Milan KUNDERA, Marie CURIE, Joséphine BAKER, Louis CHEDDID, SEMBENE Ousmane, Ousmane SOW, Alioune DIOP, Ahmadou KOUROUMA, Mongo BETI, etc.

Références bibliographiques

1 – Contribution d’Abdulrazak GURNAH

GURNAH (Abdulrazak), Adieu Zanzibar, traduction de Sylvette Gleize, Paris, Galaade éditions, 2009, 282 pages ;

GURNAH (Abdulrazak), Admiring Silence, The New Press, 1996, 216 pages ;

GURNAH (Abdulrazak), Afterlives, Bloomsbury, 2020, 288 pages ;

GURNAH (Abdulrazak), By the Sea, Bloomsbury, 2002, 245 pages ;

GURNAH (Abdulrazak), Desertion, Knop Double Day Publishing Group, 2005, 271 pages ;

GURNAH (Abdulrazak), Dotties, Bloomsbury, 2016, 160 pages ;

GURNAH (Abdulrazak), Essays in African Writings, Heineman Educational Books, 1995, 184 pages ;

GURNAH (Abdulrazak), Memory of Departure, Bloomsbury, 1988 et 2016, 160 pages ;

GURNAH (Abdulrazak), Paradise, Penguin, 1995, 246 pages, en langue anglaise et en français, traduction d’Anne-Cécile Padoux, Paris, Serpent à Plume, 1999, 300 pages ;

GURNAH (Abdulrazak), Pilgrim’s Way, Jonathan Cap Ltd, 1988, 192 pages ;

GURNAH (Abdulrazak), Près de la mer, traduction de Sylvette Gleize, Paris, Galaade éditions, 2006, 313 pages ;

GURNAH (Abdulrazak), The Cambridge Companion To Salman Rushdie, Cambridge University Press, 2007, 218 pages ;

GURNAH (Abdulrazak), The Last Gift, Bloomsbury, 2014, 288 pages.

2 – Critique littéraire

BOPARI (Mohineet, Kaur), The Fiction of Abdulrazak Gurnah : Journeys Through Subalternity and Agency, Cambridge Scholars Publishing, 2021, 160 pages.

Paris, le 7 octobre 2021 par Amadou Bal BA – http://baamadou.over-blog.fr/

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