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Tunisie : l’UE réclame une enquête, après des accusations de viols sur des migrantes perpétrés par la police

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Le journal britannique The Guardian dénonce, dans un article, les viols dont sont victimes de nombreuses femmes migrantes en Tunisie, et commis par les forces de l’ordre. Des révélations qui ont poussé la Commission européenne à demander une enquête sur les faits.

« La Tunisie est un pays souverain. Lorsqu’il y a des allégations d’actes répréhensibles concernant ses forces de sécurité (…) nous attendons qu’elle enquête dûment sur ces cas ». Mardi 24 septembre, l’Union européenne (UE), par la voix d’une des porte-parole de la Commission Ana Pisonero, a réclamé une enquête aux autorités tunisiennes après la publication d’un article du Guardian. Le journal britannique relate des témoignages accusant les forces de l’ordre tunisiennes de violences sexuelles, dont des viols, sur des femmes migrantes.

Selon la fondatrice d’une association de santé à Sfax (centre-est) – qui a requis l’anonymat – des centaines de femmes migrantes subsahariennes ont été violées par les forces de sécurité tunisiennes au cours de ces 18 derniers mois. « Nous sommes violées en grand nombre ; ils [la Garde nationale] nous prennent tout », a raconté Marie, une Ivoirienne agressée par des policiers dans la banlieue de Sfax, au journal britannique.

Moussa a vu, lui, des femmes se faire violer sous ses yeux. Le Guinéen de 28 ans et son groupe ont été interceptés en mer, avant d’être emmenés à des centaines de kilomètres de Sfax. Peu après leur arrivée à 2h du matin dans une base de la Garde nationale, « les forces de sécurité tunisiennes ont commencé à violer méthodiquement les femmes », raconte-t-il. « Il y avait une petite maison à l’extérieur et toutes les heures environ, ils prenaient deux ou trois femmes de la base et les violaient là-bas ». « On les entendait crier, appeler à l’aide. Ils ne se souciaient pas d’avoir 100 témoins ».

Le quotidien affirme également que des officiers collaborent avec des passeurs pour organiser des traversées de la Méditerranée. « La Garde nationale organise les départs de bateaux en Méditerranée, atteste Youssef, un passeur. Ils les regardent aller à l’eau, les interceptent, récupèrent le moteur et nous les revendent ».

Interrogées par The Guardian, les autorités tunisiennes contestent des allégations « fausses et sans fondement », et soutiennent que leurs forces de sécurité opèrent avec « professionnalisme pour faire respecter l’État de droit sur [le] territoire, tout en respectant pleinement les principes et normes internationaux ».

« Une situation difficile »
Ces publications alimentent une nouvelle fois la controverse face à l’accord migratoire signé en juillet 2023 entre l’UE et la Tunisie. Depuis cette date, la gestion de l’immigration dans le pays est en partie financée par des fonds européens, d’un montant de 105 millions d’euros.

Interpellée par le journal britannique sur son financement au regard de ces accusations de viols, la Commission n’a pas répondu sur le fond mais insisté sur le fait que son financement pour les programmes de migration en Tunisie était acheminé « via des organisations internationales, des États membres de l’UE et des ONG présentes sur le terrain ». Des « experts indépendants chargés de vérifier le respect du principe de ‘ne pas nuire ‘ dans le cadre des programmes financés par l’UE » seront aussi dépêchés sur place, a-t-elle fait savoir.

En mai, la Commission européenne avait déjà reconnu une « situation difficile », après une enquête journalistique documentant la manière dont des dizaines de milliers de migrants ont été arrêtés et abandonnés en plein désert au Maroc, en Tunisie et en Mauritanie.

Signé pour faire baisser le nombre d’arrivées de migrants en provenance de Tunisie – en 2023, plus de 150 000 personnes, dont une majorité depuis les côtes tunisiennes, ont gagné l’Italie après une traversée de la Méditerranée – ce « partenariat stratégique » suscite régulièrement des critiques d’ONG et d’élus de gauche, qui dénoncent l’autoritarisme du président tunisien Kaïs Saïed et les atteintes aux droits humains dont sont victimes les migrants subsahariens dans le pays.

InfoMigrants a reçu quantité de témoignages faisant état des conditions déplorables dans lesquelles les exilés vivent en Tunisie. Chassés des centres villes, une grande partie sont installés dans des camps informels le long d’une route reliant Sfax à Jebeniana. Sans aucune assistance de l’État, la vie s’y organise de manière anarchique, sans eau potable ni sanitaires et dans un climat de violence de plus en plus alarmant. De nombreuses personnes ont été blessées à l’arme blanche ou à feu lors d’affrontements communautaires ou par des Tunisiens. D’autres souffrent de maladies graves telles que le choléra ou la typhoïde.

« Les femmes ont aussi été fouettées »
Des témoignages d’abandons aux frontières avec l’Algérie et la Libye sont aussi régulièrement dévoilés. John* a par exemple été arrêté avec sa femme dans une rue de Tunis fin août. Avec une centaine d’autres Subsahariens, le Sierra-Léonais de 24 ans a été envoyé dans le désert, à la frontière algérienne, avec très peu d’eau et de nourriture. Pendant une semaine, le groupe, au sein duquel se trouvaient des femmes et des enfants, a survécu difficilement dans le désert, à la merci des intempéries.

Sur des vidéos transmises par John à InfoMigrants, on peut voir des personnes complétement éreintées, accablées par la chaleur en plein désert. L’un des extraits montre un homme se lécher le bras pour tenter de s’hydrater, un autre un jeune enfant dormir à même le sol contre sa mère.

En juillet 2023, une photo prise dans le désert près de la Libye avait suscité un immense émoi. On y voyait les corps d’une femme et de sa fille de six ans, tout près d’elle. Elles s’appelaient Fati et Marie, et vivaient depuis plusieurs années en Tunisie avant d’être raflées par les autorités tunisiennes. Comme elles, une centaine de personnes sont mortes de faim et de soif dans le désert à cette période.

Huit mois après cet été meurtrier, en avril 2024, la médiatrice de l’UE Emily O’Reilly, a annoncé l’ouverture d’une enquête sur la manière dont la Commission s’assure du respect des droits de l’Homme, en lien avec son accord avec la Tunisie. Ses conclusions sont attendues dans les prochaines semaines.

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