DERNIERES INFOS
S'informer devient un réel plaisir

«Sénégal-Mauritanie, des rapports compliqués, entre attraction et répulsion», par M. Amadou Bal BA

0

Les relations entre le Sénégal et la Mauritanie sont celles d’un vieux couple qui s’entredéchire, mais unis par des intérêts communs oscillant entre amour et répulsion. Tout sent le souffre, une petite étincelle pourrait faire basculer la relation dans l’horreur. Plusieurs fois le divorce a failli être prononcé pour faute, mais mainte fois ce couple a préféré le maintien des liens conjugaux.

Le 28 janvier 2018, un jeune pêcheur de 19 ans, Fallou DIAKHATE, originaire de Guet N’DAR (Saint-Louis) a été abattu par les gardes-côtes mauritaniens, et 8 pêcheurs ont été appréhendés, puis relâché, pour avoir franchi, illégalement, les eaux territoriales mauritaniennes. Les Saint-Louis se sont enflammés ; on a craint le pire, mais les forces de l’ordre ont limité les dégâts. Les esprits se chauffés, mais la diplomatie sénégalaise qui a pris relais en la personne du président Macky SALL. L’accord signé le 9 février 2018 entre la Mauritanie et le Sénégal permettra, à partir de 2012, l’exploitation du gisement gazier offshore commun «Grand Tortue-Ahmeyim» (GTA) de 450 milliards de mètres cubes soit l’équivalent de 14% des réserves de gaz nigérianes. Idrissa SECK, un opposant, ignorant sans doute, le processus de validation des accords internationaux, a exigé qu’ils soient publiés avant leur ratification.

Il est curieux de constater que les Maures, et de longue date, interviennent dans le jeu politique sénégalais. Ainsi, les Maures, alors qu’ils sont musulmans, étaient les alliés traditionnels de la dynastie animiste et peule, des Dényankobé (Mes posts du 3 avril 2013 et du 11 mai 2013) qui a régné au Fouta-Toro du XVIème au XVIIIème siècle. État théocratique inspiré d’un idéal de justice, de compassion et d’égalité, s’opposant Allié aux Maures, Samba Guéladio Dégui s’est illustré par ses pillages, ses rançons et son autoritarisme au Fouta. En raison de ce pouvoir arbitraire et des incursions fréquentes des Maures au Fouta-Toro, en 1776, le parti des Torodos, de Thierno Souleymane BAL (Mon post du 21 juillet 2016), a renversé le dernier Satigui, Soulèye N’DIAYE, et instauré un Etat théocratique, électif, que l’on a appelé l’Almamiyat entre 1776 et 1890, pour mettre fin à l’esclavage et les rançons des Maures «Mouddo Hormaa» et pour abolir les castes ainsi que toutes formes de servitudes.

Les Maures ont pendant longtemps perturbé le jeu politique au Oualo, dont une partie a été détruite et envahie par les Trarza, et la population alla se réfugier au Cayor ou N’Diambour. Les chefs du Oualo portent le titre de Brak, et c’est une dynastie élective parmi les trois grandes familles royales. Par ailleurs, c’est pouvoir matriarcal «La loi d’hérédité comptait beaucoup dans le choix du Brak, mais l’hérédité dans le Oualo est très bizarre, elle est collatérale par les femmes. Ainsi, à la mort d’un chef ou d’un simple chef de famille, c’est le fils de sa sœur qui en hérite au détriment de ses enfants» écrit-il. Le colonisateur tenta, vainement, d’arracher le Oualo à la domination des Trarza en 1819, en 1827, 1843, 1848 et 1850. En 1833, la reine Guim-Botte, en fait N’Dieumbott M’BODJ (1800-1846), une Linguère, se maria avec un le roi Trarza, Mohamed El Habib, pour tenter de sauver son royaume. En 1835, par une action concertée des Braks du Oualo et de la France, les Maures furent vaincus, mais la paix ne sera acquise, définitivement, qu’en 1854, avec l’arrivée de FAIDHERBE (Mon post du 1er février 2018). Ely, le fils de N’Dieumbott fut considéré comme l’héritier du Oualo, il en était le maître, sa tante étant N’Daté Yalla M’BODJI. Fara Peinda, réfugié au Cayor, contesta, vainement, la prise de pouvoir par Ely.

La Mauritanie a parfois joué les bons offices ou un rôle pour apaiser les tensions. Ainsi, Cheikh Ahmadou Bamba BA (Mon post du 1er juillet 2017), après son exil au Gabon, a été arrêté à nouveau le 13 juin 1903, puis déporté en Mauritanie, dans l’une des Zaouia de Cheikh Sidya, un de ses amis, à Souet El Ma. En avril 1907, le Commissaire du gouvernement général en Mauritanie, ayant fait remarquer l’attitude correcte de Bamba depuis 4 ans et sa conduite irréprochable, demanda et obtint son retour au Sénégal. Il faut dire que la Mauritanie était la destination privilégiée des études coraniques.

En sens inverse, le Sénégal a été une sorte de mentor de la Mauritanie, avant la désignation de son gouverneur. Démobilisé le 24 décembre 1915, à la suite d’une blessure, Henri GADEN (Mon post du 8 août 2015) retourne à Saint-Louis du Sénégal, en novembre 1916, il est nommé Commissaire du gouvernement général pour le territoire civil de la Mauritanie. Par décret, la Mauritanie devient une colonie indépendante le 4 décembre 1920. Henri GADEN, gouverneur de 3e classe, depuis le 7 août 1919, devient lieutenant-gouverneur de la Mauritanie jusqu’à sa retraite (officiellement le 31 décembre 1926). Il est l’organisateur de la Mauritanie, sous la colonisation française. Henri GADEN est enterré à Saint-Louis. Il va pendant cette mission de gouverneur s’adjoindre d’éminentes personnalités d’origine mauritaniennes, comme Cheikh Saad Bouh (1846-1917), un soufi, jurisconsulte et théologien, adepte de la Quadria. Les familles FALL, nombreuses dans le Nord du Sénégal, sont de souche mauritanienne.

En 1900 le Sénégal comptait 800 000 habitants, sa population est estimée, en 2012, 15 millions d’habitants. Ces données résultent, en partie, de l’accueil des réfugiés de pays voisins. Ainsi, en avril 1989, des évènements tragiques ont opposé le Sénégal à la Mauritanie avec plusieurs morts. On estime que 500 000 Sénégalais vivaient en Mauritanie. De 1960 à 1986, la Mauritanie a bénéficié des installations portuaires du Sénégal. La population mauritanienne a quadruplé en moins de 30 ans, avec une forte concentration à Nouakchott. Déjà en 1973, la Mauritanie avait expulsé, massivement, des Sénégalais. En octobre 1987, une prétendue tentative de coup d’Etat, avait provoqué l’exécution de nombreux officiers peuls.

A Diawara, deux Sénégalais sont tués lors d’un accrochage. A partir là un enchaînement de violences et de massacres allait conduire à la présence au Sénégal de plus de 100 000 réfugiés peuls. Il faut dire que les Soninké, loyalistes, ont été largement épargnés. Ce lourd contentieux a conduit à une spoliation de terres cultivées par les Sénégalais de l’autre côté de la frontière et une spoliation des commerçants maures. Les deux pays ont des intérêts communs : d’une part, la Mauritanie fournit au Sénégal, notamment pour la Tabaski, du bétail suffisant, et d’autre part, la Mauritanie, qui a sa monnaie nationale, le Ouguiya, a intérêt à avoir de ses commerçants, le F.C.FA, convertible en euros. La pêche et le gaz s’ajoutent aux politiques de coopération. Ajoutons à cela que les frontières sont artificielles, ce sont les mêmes populations Peules et Soninkés qui vivent de part et d’autre.

La Gambie, Etat pendant longtemps instable, a généré l’afflux de nombreux réfugiés du Sénégal. La Gambie, une banane dans la bouche du Sénégal, point de passage commode pour la Casamance enclavée, a toujours refusé la construction de ponts sur son fleuve. La chute de Yaya JAMMEH pacifiera sans doute les relations entre les deux pays.

La relation avec la Guinée-Bissau, base arrière des indépendantistes casamançais est compliquée. Etat instable, en raison d’une guerre d’indépendance violente et de l’instabilité gouvernementale, la Guinée-Bissau, avait, de surcroît un litige frontalier avec le Sénégal, concernant le plateau continental. Les deux pays, pour déterminer, avec exactitude leur frontière maritime, ont fait recours à un arbitrage international. En effet, la décision d’arbitrage du 31 juillet 1989, passée inaperçue, est importante pour le Sénégal, en raison du gaz et du pétrole dans cette zone. Le tribunal arbitral a validé la règle de la succession d’Etats pour les frontières maritimes ; ce qui est, en l’espèce, à l’avantage du Sénégal. Il ne faut pas oublier que bien des gens suspectent la Guinée-Bissau d’abriter des barons de la drogue.

La relation du Sénégal avec le Mali, pays enclavé, a été empoisonnée, dès le départ, la fédération avortée du Mali, Lamine GUEYE, originaire du Mali n’ayant pas été retenu à la présidence de cette institution. Même sous la colonisation, la guerre sainte d’El Hadji Omar TALL (1787-1864), a été interprétée, en 1968, par un écrivain malien, Yambo OUOLOGUEM (1940-2017), comme étant une colonisation des musulmans sur les animistes Dogons. Il faut dire, auparavant, lors des bombardements, en 1890, de Louis ARCHINARD (1850-1932), contre les djihadistes, les Foutankais, sont revenus au Sénégal, en passant par la Mauritanie, dont mes ancêtres.

Le conflit entre le Sénégal et Guinée de Sékou TOURE, s’est déroulé, presque exclusivement, sur les ondes de radios des deux pays (1958-1980). En effet, Sékou TOURE a voté NON au référendum du 28 septembre 1958, son pays est devenu indépendant, sans la coopération avec la France, le président Léopold Sédar SENGHOR, favorable à la France, a négocié l’indépendance. Jacques FOCCART a tenté, à plusieurs reprises, de liquider, physiquement Sékou TOURE, avec la complicité du Sénégal ; ce qui n’a pas arrangé la relation entre les pays. Le Sénégal a accueilli en conséquence de nombreux réfugiés mauritaniens.

Finalement, la diplomatie a prévalu, dans ces relations parfois compliquée entre le Sénégal et ses voisins. La paix, la négociation sont préférables dans nos Etats faibles ; une journée de guerre est égale à 10 années de contreperformances. Cependant, la question des droits de l’homme reste un enjeu majeur. En effet, la Mauritanie a été condamnée, sévèrement et à plusieurs reprises par la Commission africaine des droits de l’Homme. Ce pays, ayant parfois la gâchette facile, la poudrière peut, à tout moment, exploser. Abdoulaye WADE, opposant d’Abdou DIOUF, lors de la crise de 1989 avait recommandé de faire sauter les parachutistes sur Sélibaby, en Mauritanie.

Paris, le 22 février 2018, par M. Amadou Bal BA

laissez un commentaire