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Sénégal : Le PS à la dérive ?

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Depuis l’alliance avec Macky Sall en 2012, les conflits font rage au PS entre le camp d’Ousmane Tanor Dieng, à sa tête, et celui de Khalifa Sall… Au risque de mettre le parti à terre.

Des débats houleux, le Parti socialiste (PS) en a connu. Mais, en soixante-dix années d’existence, jamais les murs de son siège de Colobane, à Dakar, n’avaient autant tremblé que ce jour-là. Le 6 mars 2016, les militants socialistes, laissant exploser leurs divergences sur la position à adopter vis-à-vis du projet de référendum constitutionnel porté par le gouvernement, finissent par s’affronter à coups de pierres. Bilan : plusieurs blessés, des cadres du parti exfiltrés par la police et la justice saisie pour arbitrer ces règlements de comptes internes.

Si violente fût-elle, cette bataille n’est qu’un épisode parmi d’autres de la guerre ouverte que se livrent les tauliers du PS depuis l’alliance nouée avec Macky Sall en 2012. D’un côté, la direction du parti, incarnée par son inamovible secrétaire général, Ousmane Tanor Dieng, qui défend bec et ongles l’union avec le camp présidentiel. De l’autre, les frondeurs, regroupés autour du député-maire de Dakar, Khalifa Sall, qui veulent mettre un terme à ce compagnonnage aussi vite que possible.

Fracture grandissante

Au-delà du bien-fondé ou non de cette alliance, c’est désormais l’avenir du PS qui se joue. Les opposants à Tanor craignent qu’à trop suivre Macky Sall leur formation finisse par être absorbée par la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY). Ils ne digèrent pas que leur parti, qui a dominé la vie politique sénégalaise pendant près d’un demi-siècle, sous Léopold Sédar Senghor puis Abdou Diouf, soit aujourd’hui cantonné au rôle d’allié du pouvoir.

Dans l’opposition de 2000 à 2012 et aujourd’hui subordonné au bon vouloir du chef de l’État, le PS n’a plus remporté une élection seul depuis plus de vingt ans et voit ses scores électoraux fondre comme neige au soleil. Une longue période de disette qui pourrait s’étendre jusqu’en 2024, si, en 2019, Macky Sall devait être réélu.

En échange de ce soutien indéfectible au président, les contreparties paraissent pour certains bien maigres. Sur les 39 ministères que compte le gouvernement, le PS n’en contrôle que deux : l’Éducation nationale, dirigé par Serigne Mbaye Thiam, et l’Élevage, confié à Aminata Mbengue Ndiaye. Et il ne peut revendiquer plus de 15 des 125 députés que totalise la majorité présidentielle.

Pour les opposants à Tanor, ces quelques postes ne suffisent pas à justifier l’affiliation à BBY. Encore moins à « brader l’indépendance » du PS : « La stratégie d’alliance avec Macky Sall n’est pas bonne, estime Babacar Thioye Ba, le directeur de cabinet adjoint de Khalifa Sall. Nous sommes l’un des plus grands partis du pays, et notre vocation a toujours été d’exercer le pouvoir. Or cette alliance ne nous le permet pas. Si nous continuons ainsi, nous risquons de disparaître ! » Peut-être devraient-ils s’interroger sur l’influence réelle de leur formation…

La main de fer de Tanor

Dans le viseur des contestataires, un homme concentre tous les griefs : Ousmane Tanor Dieng, 70 ans, à la tête du parti depuis 1996. À les entendre, le « SG » (secrétaire général) aurait instauré une gestion ultrapersonnalisée du pouvoir et fait main basse sur les différentes instances, qu’il contrôlerait d’une main de fer, réduisant au silence toute voix dissonante.

« Il ne faut pas chercher loin les raisons de la crise qui mine notre parti : il y a une dérive autoritaire de la part de Tanor, qui empêche tout débat ou toute critique interne », s’insurge Aïssata Tall Sall, écartée de l’élection au poste de secrétaire général du PS en 2014.

Face à ces critiques acerbes, Tanor parle de procès en sorcellerie et assure ne faire que suivre les choix exprimés démocratiquement par les militants. « Ils peuvent dire ou penser ce qu’ils veulent, martèle le secrétaire général. Moi, j’applique les positions exprimées par nos coordinations, qui se sont toujours largement prononcées en faveur de notre présence dans la coalition présidentielle. »

Sa garde rapprochée rappelle également que lors des dernières grandes échéances électorales, comme le référendum constitutionnel de 2016 ou les législatives de 2017, la majorité des coordinations ont approuvé l’appartenance à BBY.

Intérêts personnels

« Il ne faut pas oublier que Tanor a récupéré le PS dans un piteux état après l’alternance de 2000 et qu’il a beaucoup fait pour le redresser, rappelle un soutien de Khalifa Sall. Mais il est aujourd’hui responsable d’une crise d’orientation politique qui met le parti en péril. » Certains détracteurs du secrétaire général en sont même à se demander s’il souhaite vraiment que sa formation lui survive.

Tous l’accusent de brader les intérêts du parti au profit de ses intérêts personnels. « Il est en fin de carrière et ne se préoccupe pas de l’avenir, résume Barthélémy Dias, maire de la commune dakaroise de Mermoz-Sacré-Cœur et fougueux lieutenant de Khalifa Sall. Il touche des millions de F CFA en échange de son ralliement à Macky Sall. »

Des propos balayés d’un revers de main par l’intéressé, lequel jouit toutefois, en tant que président du Haut Conseil des collectivités territoriales (HCCT, une institution créée par la révision constitutionnelle de 2016), du statut – et donc des avantages – de troisième personnalité de l’État.

La défaite de Khalifa Sall aux législatives

De sa cellule de la prison de Rebeuss, où il est incarcéré depuis le 7 mars pour un présumé détournement de fonds à la mairie de Dakar, Khalifa Sall a bien du mal à faire entendre sa voix et à structurer la fronde. Aux dernières législatives, sa coalition, Manko Taxawu Senegaal, a perdu la bataille de Dakar face à BBY. Elle ne compte aujourd’hui que sept députés à l’Assemblée nationale – dont lui-même, même s’il n’a jamais pu siéger dans l’hémicycle.

De quoi alimenter les critiques de ses détracteurs, qui ironisent sur ce semi-échec et le poids politique du maire de Dakar. « Les dissidents ne sont que de petits prétentieux qui ne pensent qu’à leurs ambitions personnelles, tacle Abdoulaye Vilane, député de la majorité et porte-parole du PS. En réalité, ce ne sont que des incapables, comme l’ont montré les derniers scrutins. »

Présidentielle mouvementée en 2019

Ces mots doux entre socialistes ne sont probablement rien à côté du conflit violent qui se profile. Le prochain congrès, qui doit renouveler les instances dirigeantes du parti, aura normalement lieu en juin 2018. À quelques mois de l’élection présidentielle, prévue en février 2019, celui-ci sera déterminant pour le futur positionnement du PS.

Les frondeurs parviendront-ils à renverser la direction actuelle et à remettre en question l’alliance avec Macky Sall ? En tout cas, certains assument déjà leur volonté de prendre les rênes du parti. Barthélémy Dias a ainsi annoncé, fin septembre, qu’il était candidat, avec un programme clair : quitter BBY et présenter un socialiste à la présidentielle de 2019.

Pourrait-ce être Khalifa Sall ? « Enfant » du parti, le maire de Dakar a, au fil de ses années de militantisme, tissé un solide réseau de soutiens dans la capitale mais aussi dans le reste du pays. Fin octobre, l’union régionale socialiste de Kaolack, dans le Siné Saloum, a adopté une motion pour le soutenir.

Dans son entourage, on ne dément pas qu’il ait des ambitions, mais on préfère se concentrer sur sa libération. « La priorité absolue reste de le faire sortir de prison, confie l’un de ses intimes. Depuis huit mois, il est coupé du monde politique. Le pouvoir l’isole délibérément pour l’affaiblir. »

Une place confortable pour Tanor

De son côté, Ousmane Tanor Dieng semble solidement installé. S’il assure qu’il est encore trop tôt pour en parler, beaucoup sont convaincus qu’il sera candidat à sa succession. Objectif : maintenir l’alliance avec Macky Sall, dont il se dit convaincu qu’elle est bénéfique pour le PS. Soutenu par le pouvoir, il a la haute main sur les diverses nominations politiques ou administratives des cadres socialistes, dont certains lui sont devenus redevables.

« Il est difficile de se prononcer sur le rapport des forces au sein du parti, analyse l’éditorialiste Babacar Justin Ndiaye. Le mouvement de dissidence est profond et monte en puissance, mais Tanor semble indéboulonnable. Il supervise tout et a bien verrouillé le parti avec ses hommes de confiance. »

Dans les rangs de BBY, tous espèrent que le secrétaire général restera en poste. À commencer par Macky Sall, qui, ces dernières semaines, multiplie les attentions à son précieux allié, dont il loue régulièrement la fidélité. Mi-octobre, le président est allé lui présenter ses condoléances après le décès de sa sœur. Auparavant, il lui avait publiquement fait part de son « affection ».

Comme leur mentor, les membres de BBY clament d’une même voix leur volonté de voir l’alliance avec le PS perdurer. « Nous souhaitons surtout que Macky Sall soit notre seul candidat commun en 2019 », glisse un cadre de la majorité.

La fin d’un parti uni

Une telle hypothèse ne signerait-elle pas l’arrêt de mort du parti ? Depuis la première élection présidentielle, en 1963, les socialistes ont toujours présenté un candidat, que ce soit sous la bannière de l’Union progressiste sénégalaise (UPS) ou celle du PS à partir de 1976.

« Le PS n’est pas mort et il ne mourra pas s’il soutient la candidature du président, tempère le cadre de la majorité cité plus haut. Le PS reste le plus vieux parti sénégalais, avec un réseau de milliers de militants dans tous les villages du pays. »

Alors que ses adversaires n’hésitent plus à le qualifier de « fossoyeur » du parti, Ousmane Tanor Dieng, en bon routard de la politique, veille à ne pas dévoiler ses intentions trop tôt et temporise. « Le PS va mieux qu’au lendemain de notre défaite en 2000. Aujourd’hui, quoi que certains en disent, nous participons à la gestion du pays. Il y a des contestations internes, mais notre histoire en a toujours été jalonnée. Il ne faut pas dramatiser outre mesure. »

Tous ne l’entendent pourtant pas de cette oreille, et nombreux sont ceux qui s’alarment pour la survie du parti.

Sénégal : le Parti socialiste vu de l’intérieur

Dans quelques mois les élections auront lieu au sein du PS pour choisir le secrétaire général du parti.

Les 138 coordinations du parti sont implantées dans les 45 départements du pays. Chacune d’elles compte une assemblée de 200 personnes. Ce sont ces 27 600 « grands électeurs » qui voteront, mi-2018, pour choisir le secrétaire général de la formation.

D’une manière plus générale, pour appartenir au PS, il faut acheter sa carte de membre (c’est aussi ce qui permet de financer les activités du parti). En amont du dernier congrès, en 2014, plus de 35 000 cartes avaient été vendues.

 

Sources: JeuneAfrique

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