«Sénégal : le cadavre d’un homme soupçonné d’être un homosexuel déterré et brûlé par une foule en délire. Urgence de relire «les Hommes purs» de Mohamed M’Bougar SARR, pour un Sénégal de tolérance et de fraternité» par Amadou Bal BA –
Dans la nuit du 28 au 29 octobre 2023, une foule en délire a déterré et brûlé le corps de Cheikh FALL, à Kaolack. Les fanatiques se sont filmés et ont exulté. Cet homme aurait être inhumé à Touba, la capitale du Mouridisme, mais sa famille avait choisi la discrétion, le cimetière de Léona Niasse, à Kaolack, à 200 km de Dakar. Peine perdue, la veille de l’enterrement, des jeunes avaient assiégé la maison du défunt, et ont fini par découvrir sa tombe. Le gouvernement du Sénégal a ouvert une enquête, qui ne suffira pas à dissoudre ce trouble grave de nos consciences, d’une cruauté et d’une grande barbarie inacceptables. En effet, un tel acte horrible avait déjà eu lieu en 2008 à Guinguinéo, dans la région Kaolack, la tombe d’un présumé homosexuel avait été profanée et vandalisée. Au Sénégal, une loi scélérate, criminalise l’homosexualité, d’une peine de prison allant d’un à cinq ans en vertu de l’article 319 du Code pénal. En France, c’est François MITTERRAND qui avait dépénalisé l’homosexualité, sur la demande de son neveu, Frédéric MITTERRAND, mais seulement en 1981.
Par ailleurs, en 2018, dans son roman, «Les Hommes purs», Mohamed M’Bougar SARR, bien avant son prix Goncourt de 2021, est le premier écrivain sénégalais, à avoir l’honneur, la grande clairvoyance et le courage de dénoncer, frontalement, l’homophobie ambiante, au Sénégal, un pays à 95% musulman. La démocratie exemplaire est sérieusement menacée par des groupes fondamentalistes, une partie de la presse, de l’ex-parti PASTEF, ainsi que des marabouts, largement financés par le Qatar et l’Arabie-Saoudite. La réception du Prix Goncourt de Mohamed M’Bougar SARR a été particulièrement agitée ; il a été attaqué brutalement et injustement par des fondamentalistes qui n’avaient même lu son roman, «La plus secrète mémoire des hommes», Prix Goncourt, 2021 (Voir mon article). Auparavant, le professeur Iba Der THIAM, coordonnateur d’ouvrages, pour la première fois, sur l’histoire du Sénégal, avait été également l’objet d’attaques ignobles, en particulier, et justement de marabouts de Kaolack, parce que leur famille n’avait pas été évoquée (Voir mon article, Médiapart, 1er novembre 2020). Il règne parfois au Sénégal, un climat de terre, digne des méthodes du PASTEF, à l’égard des intellectuels qui osent critiquer une conception rétrograde de la religion musulmane et antiafricaine. Le professeur et historien, Iba Der THIAM a été victime de ces graves procès, dignes de l’Inquisition, de procès en sorcellerie. On a tendance, pour certains, dans les réseaux sociaux ou à la presse de «déballer», de commenter des ouvrages qu’on n’a pas lus, ou de sortir de vraies citations de leur contexte. L’injure, la calomnie, la rumeur ou la critique facile sont devenues une arme de destruction massive. C’est ainsi que le livre du professeur Oumar SANKHARE, «le Coran et la culture grecque», paru en 2014, chez l’Harmattan, avait été également l’objet d’une Fatwa des intégristes religieux sénégalais. «Je ne récuse pas le Coran. Ce que je dis, c’est que ce qui se trouve dans le Coran, on le trouve déjà dans d’autres livres» dit le professeur Oumar SANKHARE (1950-2015). Pour le professeur Oumar SANKHARE, s’il paraît évident que le Coran est d’essence divine, sa formulation, en revanche, est l’œuvre d’humains marqués par l’influence de la culture grecque. Pour avoir soutenu cette thèse, le professeur Oumar SANKHARE a encouru les foudres des fondamentalistes, jusqu’à sa mort. Ils ont considéré ces idées, remettant la sacralité et l’origine divine du Coran, comme blasphématoires.
Ce roman de Mohamed M’Bougar SARR, «Les Hommes purs», que je vous invite à lire ou relire, servi par une écriture sensuelle, puissante et visuelle, inspiré d’une vidéo virale, au Sénégal, est une puissante dénonciation, de toutes les formes d’intolérance ou de conservatisme. On y voit comment le cadavre d’un homme est déterré, puis traîné hors d’un cimetière par une foule. La fascination des actes criminels diffusés par les médias, la cruauté, l’intolérance couplée de primitivisme et face à ce spectacle, font naître, chez le personnage de Ndéné Gueye, jeune professeur de lettres à l’université de Dakar, dont le père est Iman, et le Ministère de l’éducation ayant interdit d’enseigner Paul VERLAINE (1844-1896), pour la corruption de la jeunesse, se pose des questions : Qui était cet homme ? Pourquoi a-t-on exhumé son corps ? À ces questions, une seule réponse : c’était un « Góor-jigéen », disait-on, un «homme-femme». Autrement dit, un homosexuel. Ndéné se met à la recherche du passé de cet homme, et va même rencontrer sa mère. Autour de lui, dans le milieu universitaire comme au sein de sa propre famille, les suspicions et les rumeurs naissent, qui le déstabilisent, au point de troubler sa relation avec son amie Rama dont il est fortement amoureux, Rama à la bouche généreuse et à la chevelure mystérieuse. D’une plume alerte et fiévreuse, particulièrement bouleversante, un roman érudit, élégant et brillant, Mohamed M’Bougar SARR s’interroge : «comment trouver le courage d’être pleinement soi, sans se trahir ni se mentir, et quel qu’en soit le prix ? Jusqu’où peut-on être lucide, conscient de reconnaître ses véritables pensées, sentiments, désirs, pulsions, et avoir le courage de les exprimer et les vivre ouvertement en société ? Dans sa démarche humaniste et pleine de compassion, Mohamed M’Bougar SARR écrit que pleine de compassion, l’altérité : «La peur toute humaine de n’être plus admis comme homme au sein des hommes. Je peux les comprendre, et comment !» écrit-il.
Dans ce roman, «Les hommes purs», au-delà des faits révoltants rapportés, on s’émeut avec l’auteur qui sait nous faire ressentir : rumeurs, bêtises et sauvageries de la foule, odeurs, couleurs, sensation des peaux et des regards ; un roman questionnant et convoquant nos sens. Là se trouve la puissance de ce récit : nous apprend des choses promptes à nous révolter contre toutes les formes d’intolérance, de violence, de cruauté primaire, ou d’injustice, à ne jamais accepter ou se taire devant l’inacceptable. Mohamed M’Bougar SARR s’insurge contre le fondamentalisme religieux, son obscurantisme «Ils savent que, tant qu’ils continueront à mentir, ils continueront à mourir. L’enfer sur terre. Pas pour tous non, mais pour les “góor-jigéen” au Sénégal. Refuser d’accepter la mort de ceux qu’on a perdus, c’est le plus beau, le plus durable monument qu’on puisse leur élever» écrit Mohamed M’Bougar SARR. Les purs hommes, «C’est parce qu’ils sont aussi seuls, aussi fragiles, aussi dérisoires que tous les hommes devant la fatalité de la violence humaine qu’ils sont des hommes comme les autres. Ce sont de purs hommes parce que à n’importe quel moment la bêtise humaine peut les tuer, les soumettre à la violence en s’abritant sous un des nombreux masques dévoyés qu’elle utilise pour s’exprimer : culture, religion, pouvoir, richesse, gloire… les seuls au Sénégal à qui on refuse une tombe. Les seuls à qui on refuse à la fois la mort et la vie», dit Mohamed M’Bougar SARR. Ceux qui s’attaquent à ces homosexuels sont-ils aussi irréprochables dans leur vie morale et religieuse ?
En définitive, je demande et exige une dépénalisation de l’homosexualité ; ce sont aussi des Sénégalais à part entière ne devant plus subir ces actes barbares d’un autre âge. Je crois aussi, qu’il faudrait cesser ces graves violences et ces dérives ethnicistes dans la société sénégalaise. On a souvent prétendu que le Sénégal est un pays stable, de paix, de tolérance, de la Téranga (Hospitalité). Cela reste vrai en grande partie ; cependant, des signaux inquiétants commencent à se manifester. Il faudrait éteindre ces incendies, sans délai. Je me souviens, en 1989, lors des massacres de Sénégalais en Mauritanie, avoir vu un jeune, les mains baignant dans le sang, dire «Je viens d’égorger un commerçant maure» cela m’a fait froid au dos, dans un pays que l’on croyait profondément accueillant et pacifique. Je suis resté claustré dans ma maison, plusieurs semaines, avec des cauchemars. Les graves violences en 2021 et 2023, au nom du «droit à la résistance» et ayant conduit à brûler les archives de l’université de Dakar, ont curieusement été applaudies par des «intellectuels» qui font désormais l’apologie de la violence et des régimes militaires. Certains appellent sur leur page Facebook, ouvertement, à un coup d’Etat militaire, d’autres pratiquent à haute dose, en faisant diffuser, dans les groupes Whatshapp, des listes de prétendus Peuls, dans le gouvernement du président Macky SALL. Cela est grave dans un pays métissé où tout se mélange. Amadou BA, le candidat de Benno, descendant, comme moi de Thierno Sileymane BAL, a été considéré comme «Guinéen».
Je crois qu’il est temps de remettre les pendules à l’heure, le Sénégal est, et doit rester, une démocratie exemplaire, de paix, de fraternité et de tolérance. Ce geste, imbécile et d’une grande cruauté, ne peut être rattaché à l’Islam tel que l’avaient enseigné mes ancêtres Thierno Sileymane BAL et les Almamy du Fouta-Toro au XIXÈME siècle, un Islam de paix de tolérance et de fraternité. J’appelle particulièrement tous les Sénégalais à défendre avec vigueur la démocratie sénégalaise avec. En fait ces mouvements barbares notamment le groupe Walfadjiri ou l’aurore, le PASTEF maintenant interdit, comme certains marabouts du Sénégal sont financés par le Qatar ou l’Arabie Saoudite qui encourage le fondamentalisme à travers le monde.
Indications bibliographiques
SARR (Mohamed, M’Bougar), Des hommes purs, Paris, Philippe Rey, 2018, 192 pages ;
BA (Amadou, Bal), «Iba Der THIAM (1937-2020), un éminent historien», Médiapart, 1er novembre 2020 ;
BA (Amadou, Bal), «Mohamed M’Bougar Sarr, Prix Goncourt 2021», Médiapart, 28 octobre 2021 ;
BA (Amadou, Bal), «Réception du Prix Goncourt de M’Bougar Sarr», Médiapart, 7 novembre 2021 ;
BA (Amadou, Bal), «Satigui contre Almamy», Médiapart, 5 mars 2022.
Paris, le 30 octobre 2023, par Amadou Bal BA – http://baamadou.over-blog.fr/