Pourquoi Moscou a convaincu Bachar al-Assad de prendre la fuite
Les dictateurs en difficulté connaissent rarement une fin heureuse: c’est ce qu’a dû se dire Bachar al-Assad ces derniers jours, en songeant à l’exécution de Saddam Hussein, ou encore au lynchage de Mouammar Kadhafi. Et surtout, Vladimir Poutine partageait ce point de vue. Selon Bloomberg, qui a pu s’entretenir avec trois sources proches du gouvernement russes qui ont préféré l’anonymat, c’est le Kremlin qui a convaincu le dictateur syrien de ne pas s’accrocher davantage à ce qui restait de son pouvoir.
Bachar al-Assad a été convaincu par des agents russes de ne pas donner l’ordre de défendre sa capitale à tout prix, pour éviter un carnage. En échange, on lui a assuré l’asile. Sa fuite a été organisée au dernier moment, avec très peu de personnes dans la confidence: il s’est envolé avec sa famille à bord de son jet privé, sans prévenir jusqu’à ses proches conseillers, tant il craignait une trahison. L’appareil a ensuite coupé sa géolocalisation, avant d’atterrir sur la base russe de Hmeimim, sur la côte syrienne. Il a ensuite vraisemblablement rejoint Moscou via un appareil militaire russe.
La diplomatie russe a depuis confirmé la présence du dictateur syrien déchu sur son sol, tout en prenant contact avec les différents courants rebelles qui tiennent le pays.
Limiter les dégâts et rassurer les autres alliés
Une manière de “limiter les dégâts”, selon Ruslan Pukhov, directeur du Centre d’analyse des stratégies et des technologies, un groupe moscovite de réflexion sur la défense et la sécurité. Celui-ci estime que, une fois la situation militaire irrécupérable malgré les bombes russes larguées sur Alep, Poutine n’avait plus qu’une option: éviter la capture et probablement la mort à Bachar al-Assad.
Selon les sources de Bloomberg, c’est le leader russe qui a personnellement validé l’opération et assuré à son homologue qu’il serait en sécurité. Le Syrien ne sera pas livré à la Cour pénale internationale, a entretemps précisé le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov.
Selon l’analyste de Bloomberg Economics Alexander Kokcharov, en sauvant Assad, Poutine tente aussi de nuancer l’échec du soutien militaire qu’il avait garanti à son allié. De quoi rassurer les autres dictateurs proches de Moscou, au cas où ils risqueraient aussi d’être renversés: “Ils sauront que s’ils sont menacés dans leur pays d’origine, ils pourront toujours vivre confortablement dans la Russie de Poutine. Cela fait partie de l’offre du Kremlin à ses alliés géopolitiques.”
Un bouc émissaire, le temps de négocier
Assad servira aussi de bouc émissaire à l’homme fort du Kremlin: les médias russes présentent déjà le Syrien comme l’architecte de sa propre défaite, malgré les victoires des soldats russes sur le terrain.
Et maintenant, Poutine peut tenter l’autre phase de son plan pour limiter la casse: sauver ses bases en Syrie, à Hmeimim et à Tartous. Certains analystes pro-Kremlin avancent même que la chute “contrôlée” d’Assad est la preuve que Moscou a déjà conclu un accord avec les rebelles d’HTS, mais cela reste à prouver.
“Tout est mis en œuvre pour entrer en contact avec les personnes chargées d’assurer la sécurité et, bien entendu, nos militaires prennent également toutes les précautions nécessaires”, a ainsi évoqué Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin. “[…] Bien sûr, il est de la plus haute importance d’assurer la sûreté et la sécurité de nos installations.” Nul ne sait encore comment va se dérouler la transition en Syrie, et un accord avec HTS n’implique pas forcément les autres groupes armés actifs dans le pays.
L’évacuation des bases russes?
Certaines images qui viennent de Syrie laissent entendre que l’armée russe n’a pas balayé l’option d’évacuer ses bases. Des colonnes russes seraient en route vers la frontière turque, sous les regards médusés de djihadistes non affiliés à HTS. Pour l’instant, elles ne semblent toutefois pas inquiétées par ces combattants.
La flotte russe de Méditerranée a par ailleurs quitté ses ports syriens, mais resterait en lisière des eaux territoriales du pays. D’autres vaisseaux seraient sur le départ depuis la mer Baltique pour rejoindre la Méditerranée, et pourraient servir à rapatrier l’arsenal russe, au besoin.
Une tâche qui serait bien plus aisée via la mer Noire, si celle-ci n’était pas déjà un champ de bataille, où les Ukrainiens ont démontré leur capacité à frapper des navires.