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«Mme Kang HAN, romancière et poète sud-coréenne, prix Nobel de littérature 2024, engagée contre la violence, la dictature, pour l’harmonie bouddhiste» par Amadou Bal BA

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Plusieurs noms parmi les favoris avaient été avancés, dont celui de la romancière américaine, Joyce Carol OATES. C’est finalement Kang HAN, avec plus d’une dizaine de romans, dont la végétarienne, traduits en français, qui a finalement remporté le morceau, «pour sa prose poétique qui conforte les traumatismes historiques et expose la fragilité humaine», dit l’Académie du Nobel. Première Coréenne à remporter ce prix Nobel, Kang HAN est la 18e femme sur les 116 lauréats à obtenir cette récompense. Kang HAN est également récipiendaire du Médicis étranger. La Corée a exprimé sa reconnaissance et sa fierté à l’égard de HAN Kang, «C’est une réalisation monumentale dans l’histoire de la littérature coréenne et un motif de célébration nationale pour l’ensemble de la population, un travail qui a transcendé les blessures douloureuses de notre histoire moderne pour en faire une grande œuvre littéraire», dit le président coréen YOON Suk Yeol.

Issue d’une famille de Lettrés Kang HAN est née le 27 novembre 1970 à Gwangiju, en Corée du Sud. Dans son roman, «Celui revient», HAN Kang, une écrivaine très engagée, évoque des répressions dans sa ville natale. En effet, en mai 1980 : une junte militaire a pris le pouvoir en Corée du sud quelques mois plus tôt. Après une spectaculaire manifestation d’opposants à Séoul, la ville de Gwangju résistent. La répression menée par l’armée est féroce : les civils, la foule, la jeunesse deviennent des cibles.

À l’âge de 9 ans, sa famille déménage à Séoul où elle a étudié la littérature à l’université Yonsei. Son père, Han Seung-won, un auteur célèbre, comme son frère aîné, Han Dong Rim, sont des écrivains, et son mari, est un critique littéraire. Après avoir étudié la littérature coréenne à l’université, Kang HAN a travaillé pendant trois ans dans la presse, puis a commencé à écrire à l’âge de 23 ans en 1973, en publiant des poèmes et des nouvelles. En 1998, Kang HAN a bénéficié du programme international d’écriture de l’université d’Iowa, aux États-Unis. Depuis 2013, HAN Kang enseigne l’écriture créative à l’Institut des arts de Séoul tout en poursuivant sa carrière d’écrivaine.

La contribution de Kang HAN, faite de poésie et de romans ainsi qu’un intérêt particulier à l’art et à la musique, «traduit une conscience unique des liens entre l’âme et le corps : L’œuvre de Han KANG se caractérise par cette double exposition de la douleur, une correspondance entre le traitement mental et le tourment physique, en lien étroit avec la pensée orientale» dit l’académie du prix Nobel.

I – HAN Kang et son roman sur la violence et le bouddhisme : «La végétarienne»

Kang HAN a été déjà primée du prestigieux Booker Prize, pour son roman «La végétarienne», un roman métaphorique et allégorique, relatant la révolte d’une jeune fille renonçant subitement à toute nourriture animale, et cela a été très mal compris par son entourage. En effet, l’héroïne du romane, d’une grande sensibilité, prend la violence humaine comme le centre de sa propre douleur, et pour s’y opposer, elle refuse au début de manger de la viande, puis elle bannit toute alimentation et elle se dirige petit à petit vers sa propre mort. Yonghye se nourrit de soupes et de légumes, son corps se transforme, elle veut devenir végétale. L’héroïne voulait «devenir une plante pour se sauver du côté obscur de l’être humain». Pour son roman, «La Végétarienne», HAN Kang confesse qu’elle a été obsédée durant ses années universitaires par la poésie de l’auteur coréen YI Sang, notamment par le vers «Je pense que les humains devraient être des plantes », dit-elle. En effet, dit HAN Kang, «à travers ce récit extrême, je sentais que je pouvais remettre en question (…) le difficile questionnement de l’être humain».

Comme ne l’indique pas le titre, «la végétarienne» qui est trompeur, le roman ne traite pas au fond de la nourriture, mais de la condition des femmes en Corée, du rapport explosif au sein du couple, de la misogynie «Avant qu’elle ne commençât son régime végétarien, je n’avais jamais considéré ma femme comme quelqu’un de particulier. Si je l’avais épousée, bien qu’elle fut dépourvue de tout charme remarquable, c’était parce qu’elle n’avait pas non plus de défaut notable», ainsi s’exprime, avec cynisme et froideur, le mari de Yonghye. La jeune femme, devant ces incompréhensions et tensions, est saisie de cauchemars et de troubles, et finira par être hospitalisée.

HAN Kang a su conquérir le public par son don pour des fictions délicates, sur des sujets souvent tragiques. En effet, à côté du corps martyrisé et des désirs sexuels inassouvis, et en particulier, la violence est l’un des thèmes majeurs de la contribution littéraire de HAN Kang. En effet, les femmes restent encore largement confinées dans des fonctions domestiques, de gardiennes du foyer familial. Les hommes «travaillent comme des dingues. Chacun étouffe, a soif d’oxygène. Il faut sauver les apparences, garder la face, encaisser», écrit-elle. Par conséquent, derrière les apparences d’une harmonie, faite de tranquillité et de paix dans les ménages, se cachent des déceptions et la frustration, et donc des ressentiments. HAN Kang décrit donc cette société coréenne des apparences, une violente, une brutalité sourde. Ainsi, souvent les maris violents leurs plus qu’ils ne leur font l’amour. Ainsi, dans ce roman, le viol transparaît à travers la figure du père militaire, un vétéran de la guerre du Vietnam, qui tente d’introduire, de force, de la nourriture dans la bouche de la végétarienne.

Par conséquent, la «Végétarienne», est un roman culte, permettant de bien entrer dans la contribution littéraire de HAN Kang, une œuvre envoûtante, sensuelle, libératrice, mais aussi troublante, destructrice, angoissante, qui ne laisse jamais indifférent. «Beaucoup de choses alimentent mon écriture. Tout d’abord, il y a les choses que je vois, que j’entends, que je sens, que je touche et que je goûte. Il y a aussi mes rêves, parfois des cauchemars, et mes rêveries. Ensuite, il y a mes souvenirs privés, bien qu’ils n’apparaissent pas directement dans ma fiction. Et surtout, il y a les questions fondamentales qui me hantent depuis longtemps», dit HAN Kang.

L’univers littéraire de HAN Kang s’inscrit dans un contexte de libéralisation politique de la Corée dans les années 90, une transition démocratique vers un libéralisme sauvage, parfois marqué par une violence à l’égard des fragiles. HAN Kang reste bien ancrée dans sa culture bouddhiste, contemplative, proche du chamanisme.

II – HAN Kang et son roman fantastique, «Les impossibles adieux»

Son roman, «Impossibles adieux», est inspiré du massacre de plus de 30 000 civils, entre 1948 et 1949, parce que soupçonnés d’être d’obédience communiste. «Il y avait un ordre du gouvernement militaire américain, il fallait empêcher le communisme de gagner du terrain», écrit Kang HAN. Il fallait donc exterminer «les rouges», massacrer des familles complètes, brûler en entier des villages. Dans ce roman, sur l’île de Jeju, en Corée du Sud, une femme affronte ses angoisses présentes et le souvenir des violences politiques du XXᵉ siècle. «Jusqu’au milieu des années 90, la dictature militaire avait fait de cette histoire un sujet tabou. Dans le dialecte de l’île, il y a un mot qui désigne «garder le silence», et qui a toujours accompagné le récit de Jeju. La seule façon pour moi d’approcher ce massacre, c’était de transpercer ce silence», dit Kang HAN. Ce roman lui est inspiré par sa décision, en 1996, de tout plaquer pour passer quatre mois seule sur une île volcanique, Jeju, réputée pour ses paysages à couper le souffle. «Impossibles adieux» est un condensé de beauté éclatante et mélancolique avec des traces de violences passées, jusqu’ici occultées et niées. «Je crois qu’écrire un roman basé sur un événement historique ne consiste pas seulement à raconter des événements passés mais aussi à explorer la nature humaine», dit HAN Kang.

Par conséquent, «Impossibles adieux» est un roman bouleversant de délicatesse et de finesse qui se déploie comme une gigantesque métaphore de la difficulté d’accès à la vérité, sur ce gigantesque massacre. C’est là le principe de ce roman, les trois femmes sont liées par l’invisible et le non-dit : un rêve, le récit du massacre de Jeju, l’amour qu’elles se portent. Les personnages, les vivants comme les morts sont tous ensevelis sous la neige, réelle ou symbolique. En effet, c’est au cœur d’une nuit noire peuplée de -mauvais rêves que Gyeongha, la narratrice, reprend paradoxalement goût à la vie. À force de réfléchir aux dispositions de son testament, la jeune femme quitte son lit, sa mélancolie, et se remet en mouvement. Elle sort un instant du tableau de son cauchemar et reprend l’écriture difficile d’un ouvrage sur un ancien massacre : la mort, la neige, l’eau, de mystérieux troncs d’arbre la hantent toutes les nuits. Dans un grand désordre de l’âme, entre fantastique et existentielle, intime et historique, le lecteur glisse, insensiblement, d’un monde à l’autre. Un puissant réquisitoire, pour la mémoire, contre l’oubli. «Dès que ma conscience se délite, un rêve se précipite sur moi», dit l’héroïne.

Le roman fantastique, «les impossibles adieux», témoigne d’une prose fine et précise, un puissant du songe et de l’imaginaire, une peinture implacable de la cruauté humaine, de la violence souvent présente dans les romans de HAN Kang. C’est un roman entre une démarche magique et un cauchemar historique «C’est vrai, j’ai toujours été curieuse de la nature humaine depuis que je suis enfant. Peut-être parce qu’elle m’a fait du mal. Vous savez, c’est comme lorsque vous avez un endroit douloureux sur le corps et que vous ne pouvez pas vous empêcher de le toucher, de le gratter ou simplement d’y pense», dit HAN Kang.

Références bibliographiques

HAN (Kang), Blanc, traduction d’Un-Jin Chong et Jacques Batilliot, Paris, Serpents à Plumes, 2019, 94 pages ;

HAN (Kang), Celui qui revient, traduction d’Un-Jin Chong et Jacques Batilliot, La Tour d’Aigues, Serpent à Plumes, La société du Moulin, 2016, 232 pages ;

HAN (Kang), Impossibles adieux, traduction de Kyungran Choi et Pierre Bisiou, Paris, Bernard Grasset, 2023, 329 pages ;

HAN (Kang), La végétarienne, traduction d’Un-Jin Chong et Jacques Batilliot, Paris, Le Livre de 2016, 211 pages ;

HAN (Kang), Leçons de grec, traduction de Jeong Eun-Jin et Jacques Batilliot, Paris, Points, 2019, 187 pages ;

HAN (Kang), Les chiens au soleil couchant, traduction de Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet, Paris, Zulma, 2013, livre numérique ;

HAN (Kang), Pars, le vent se lève, traduction de Geneviève Roux-Faucard et Tae-Yeon Lee, Fuveau, Decrescenzo, 2014, 356 pages.

Paris, le 10 octobre 2024, par Amadou Bal BA

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