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Michel PICCOLI (1925-2020) un artiste frondeur, peu conventionnel, génial et militant de la Fraternité» par Amadou Bal BA –

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«Michel Piccoli s’est éteint le 12 mai dans les bras de sa femme Ludivine et de ses jeunes enfants Inord et Missia, des suites d’un accident cérébral», indique un communiqué de Gilles JACOB, ami de l’acteur et ancien président du Festival de Cannes.

Michel PICCOLI, acteur, homme de théâtre, producteur et réalisateur, est mort le 12 mai 2020 mais on ne l’a su que le 18 mai 2020. Pourtant cet artiste frondeur, peu conventionnel, dans ses 94 ans d’existence, nous a étonné par son génie et sa grande créativité.

Pour Michel PICCOLI l’art doit rester une passion, si l’on veut réussir dans cette voie. La diversité, loin d’être un danger ou une menace et n’en déplaise aux adversaires du multiculturalisme, est une formidable source de créativité et d’enrichissement. En effet, Michel PICCOLI est né le 27 décembre 1925, d’un père italien, Henri PICCOLI, et d’une mère française, Marcelle EXPERT-BESANCON : «Je suis né par hasard. Par hasard et par compensation. Mes parents, avant moi, avaient un enfant, un garçon, mais qui n’a pas survécu. Ce frère aîné disparu avait été une passion pour ma mère, et à la suite de cette perte, elle s’était dit qu’elle n’aurait plus jamais d’avoir une famille, autrement dit d’avoir un autre enfant. Ma mère m’a tout fabriqué. Ce n’est pas confortable d’avoir à penser comme un enfant de substitution» dit-il. Ses grands-parents étaient une famille aisée, mais déclassée «Mon grand-père maternel avait été un homme d’affaires fort riche, il avait possédé une usine de peinture du côté de la Place d’Italie. Ce grand-père aurait tout perdu dans la crise qui a précédé la Première guerre mondiale. Toute sa vie, ma mère a ressassé cette ruine» dit-il. Michel PICCOLI prétend ne rien savoir de son père «Du côté de mon père, on ne m’a rien dit de sa famille d’origine italienne. Je ne sais pas grand-chose de son passé et n’ai aucune idée des circonstances de sa rencontre avec ma mère» dit l’artiste. Son père était violoniste ; il «était membre de l’orchestre Colonne, un troisième violon dans cette formation où il a joué pendant 50 ans. Il travaillait tout le temps. Quand les vacances arrivaient, ce n’était pas pour se reposer. Nous allions à Dieppe, où mes parents louaient tous les étés la même maison, car mon père jouaient dans l’orchestre du casino, devant un public qui ne l’écoutait guère» dit-il. Sa mère avait fait des études sérieuses de piano «Elle aurait souhaité être soliste, une virtuose, mais elle n’y est pas parvenue. Elle est devenue professeure de musique» dit-il. Ses parents habitaient un trois pièces, derrière la mairie du 13ème arrondissement de Paris et son lit était dans le salon, sans intimité il avoue «j’en ai été malheureux, mais mon enfance s’est déroulée sans que j’aie jamais eu la moindre inimitié» dit-il. Michel PICCOLI n’ayant pas pu jouer au piano est passé au violon. Aussi, ses parents ses parents qui exerçait la musique, sans joie ni passion n’ont pas été son modèle artistique. C’est le frère de son père, résidant à Sceaux, dans la banlieue parisienne, également violoniste et sa femme pianiste qui l’ont incité à devenir artiste «J’adorais leur rendre visite. J’échappais, un moment, à un environnement pesant. J’aimais l’ambiance qui émanait de mon oncle, que je trouvais radieux» dit-il.

Michel PICCOLI a donc vécu une enfance solitaire et ennuyeuse. Sa vocation n’est donc pas venue de la fréquentation avec ses parents, d’un de ses enseignants : «Le déclic décisif, ce fut ce professeur merveilleux, à Paris, à la fin de la guerre. Il était remplaçant et était habillé comme une espèce d’artiste. J’étais passionné par cet homme qui n’avait pas l’air du tout sérieux. Sa parole était captivante. Il nous racontait des histoires passionnantes. Je le trouvais extraordinaire. Ses cours étaient sublimes» dit-il. Le théâtre ce fut d’abord le désir de fuir, d’aller ailleurs. Michel PICCOLI rate son bac et ses parents le somment, désormais de se prendre en charge.

A la prestance de grand ténébreux, robuste et à la voix ensorceleuse, Michel PICCOLI avait toujours aimé séduire, étonner, vivre dans l’illusion et s’inventer des identités successives il a toujours refusé la routine. Enfant timide et réservé, il s’essaie au théâtre, à 9 ans, à Compiègne, «les habits neufs de l’empereur» un conte d’Andersen. Le jeune Michel s’aperçoit ainsi du pouvoir de séduction que l’artiste peu exercer le public. Michel PICCOLI est habité, intense et passionné pour son art : «Parvenir à étonner les gens par mon travail sans prétention, avec simplicité, aura été mon idéal. Je suis un éternel enfant, heureux de raconter une histoire. Donner à vivre un texte provoque en moi un plaisir inouï, et j’ai toujours été émerveillé de vivre ce métier extravagant. Faire l’acteur est tellement étrange ! D’abord il faut beaucoup travailler, ensuite il faut se mettre à jouer et que cela ne soit plus vécu comme un travail» dit-il.

Véritable lieu de mémoire du cinéma français, sensuel et séducteur, provocateur et ne recherchant jamais la bonne grâce des critiques, Michel PICCOLI aura travaillé pendant plus de 20 ans avec Luis BUNUEL. Bon vivant, drôle et provocateur, ils vont tourner six autres films : «Le Journal d’une femme de chambre » (1964), «Belle de jour» (1967), «La Voie lactée» (1969), «Le Charme discret de la bourgeoisie» (1972), «Le Fantôme de la liberté» (1974) et «Cet obscur objet du désir» (1977). Michel PICCOLI fait ses débuts, au cinéma, en 1945, dans «les sortilèges», un film de Christian-Jacque. Il prend aussi des cours de théâtre chez Andrée BAUER-THERAUD, puis au cours Simon. C’est Louis DAQUIN, un cinéaste communiste qui lui donne sa chance, dans «le point du jour». Michel PICCOLI, acteur mythique du cinéma français, figure charismatique et mystérieuse, est au cœur de films inoubliables. C’est le «Mépris» de Jean-Luc GODARD, aux côtés de Brigitte BARDOT qui l’a rendu célèbre. Dans «le Mépris » c’est Jean-Luc GODARD déguisé en Michel PICCOLI «Le mépris est une œuvre entièrement autobiographique de Godard, autobiographique de ce moment de sa vie. Il raconte un moment de douleur, de mise en question de soi-même vis-à-vis de l’amour, de la littérature, du cinéma, de l’argent. Je pense que c’était un moment d’inquiétude tout à fait particulier de la vie de Godard» dit Michel PICCOLI à propos du «Mépris». Pour FRITZ LANG, si GODARD a choisi Michel PICCOLI, c’est aussi parce que c’est un «homme vivant, cherchant sa vocation, son âme véritable et souffrant». Michel PICCOLI collaborera, notamment avec Jean RENOIR, Jacques AUDIBERTI, Marco FERRERI et Claude SAUTET (Max et les ferrailleurs, les choses de la vie) : «S’il y a un homme qui n’est jamais blasé, c’est bien Michel Piccoli. Pourtant ses états de services l’autoriseraient à prendre du recul, en se contentant de vivre de sa rente symbolique. Il n’en est rien, car cela n’est pas son genre. Michel Piccoli garde en lui une capacité d’étonnement presque enfantine qui force l’admiration» écrit Serge TOUBIANA dans «Le Temps de voir».

Michel PICCOLI, qui n’avait pas sa langue dans la poche, savait interpeler notre conscience ; c’était un homme de progrès et de gauche ; il n’avait jamais renié ses engagements. Humaniste, Michel PICCOLI était curieux des êtres et des choses, l’autre est toujours un sujet d’intérêt et de passion, et jamais de stigmatisation. Bon vivant,

«J’ai vécu dans mes rêves. On voudrait que ça ne s’arrête jamais et cela va s’arrêter ; c’est très difficile» disait Michel PICCOLI, toujours passionné pour son art, même après si une longue et brillante carrière.

Michel PICCOLI fait partie des hommes et femmes dans ce pays qui se sont toujours battus pour la Fraternité et le bien-vivre ensemble. Aussi, je m’incline, très respectueusement, devant sa mémoire.

Références

PICCOLI (Michel), J’ai vécu dans mes rêves, entretien avec Gilles Jacob, Paris, Grasset, 2015, 160 pages ;

LORRAIN François-Guillaume, «Michel Piccoli, le dernier géant du cinéma français», Le Point du 18 mai 2020 ;

MARQUES (Sandrine), «Michel Piccoli, légendaire acteur de cinéma et de théâtre» Le Monde, du 18 mai 2020 ;

MERCIER (Anne-Sophie), Piccoli derrière l’écran, Paris, Allary, 2020, 139 pages.

Paris, le 18 mai 2020 par Amadou Bal BA – http://baamadou.over-blog.fr/

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