Coordonnateur du pool des avocats d’Imam Alioune Ndao dans le cadre du procès des présumés terroristes, Me Moussa Sarr demeure optimiste quant à l’innocence de son client. Dans cet entretien accordé à Libération, l’avocat soutient que le prêcheur n’est pas terroriste et ne le sera jamais.
30 ans de travaux forcés, c’est la peine qu’encourt votre client, imam Alioune Ndao. Quel commentaire vous faites du réquisitoire du parquet ?
C’est un réquisitoire d’une extrême sévérité pour quelqu’un qui n’a rien fait. Nous avons assisté aux débats à l’interrogatoire, nous n’avons pas entendu un seul fait reproché à imam Alioune Ndao. Et, nous sommes en matière pénale. On juge les gens pour des faits infractionnels, criminels ou délictuels. Et, nous n’avons pas entendu, au cours de ce procès, le parquet qui est maitre de l’accusation, indiquer en un seul instant et en présence de quelle personne pour dire ce qu’on reproche à imam Alioune Ndao. Voilà pourquoi je dis que c’est d’une extrême sévérité que rien ne justifie. Il s’agit d’un réquisitoire de soupçon qui n’est corroboré ni étayé par la moindre preuve.
Pour asseoir le crime de blanchiment de capitaux, le parquet s’est appuyé sur les 8 millions de francs Cfa que l’accusé Ibrahima Diallo avait donnés à Imam Alioune Ndao…
Le simple fait que votre ancien talibé vous confie son argent ne suffit pas pour asseoir un blanchiment. Dans la pratique socio-culturelle de notre pays, lorsqu’un talibé ou un disciple se rend au Gamou, au Magal ou au Ziarra et donne un « Hadiya » à son marabout, ce dernier présume toujours de bonne foi que ce qu’il reçoit a une origine licite. A fortiori lorsqu’un ancien disciple confie à son marabout, à son maitre coranique, de l’argent. Dans notre contexte sénégalais, cela ne peut aucunement être une infraction.
Mais Maitre, il y a également ces vidéos de djihadistes qui ont été trouvées dans l’ordinateur d’imam Alioune Ndao. Est-ce qu’il a besoin de les garder même si c’est seulement pour dire à ses talibés de ne pas s’adonner à de tels actes ?
Trouver une vidéo chez imam Alioune Ndao ou chez un autre sénégalais ne suffit pas pour établir une infraction. Cela n’a aucune connotation infractionnelle. Il est enseignant, chercheur, prêcheur et conférencier. Il a besoin d’accéder à toutes les sources du savoir. Ces vidéos, nous en avons tous. Pourquoi le procureur est allé sur internet faire ses recherches pour soutenir son réquisitoire et qu’imam Ndao ne devrait pas faire pareil pour ses enseignements, ses prêches ? C’est un faux procès. C’est un reproche insensé. Chacun parmi nous, quand il est intéressé par une question, va faire des recherches sur cette question-là. Imam Ndao est la personne indiquée pour faire des recherches. Il doit maitriser toutes les questions d’actualité et tous les savoirs qui peuvent intéresser les musulmans. Ce qui est interdit, c’est de poser un acte qui trouble l’ordre social mais, tout un chacun a le droit de se cultiver, de se former, d’aller voir les sources accessibles du savoir pour puiser le savoir.
Il est dit qu’imam a quitté le mouvement Ibadou-rahmane à cause de son radicalisme. Qu’en est-il ?
C’est inexact. Il ne rapporte pas la preuve. C’est une affirmation gratuite. Imam Alioune Ndao entretient les meilleurs relations avec le mouvement Ibadou. Il est arrivé un moment, avec ses responsabilités, il n’a plus le temps de se mouvoir. Il a un Daara énorme avec plus de 600 élèves. C’est pourquoi, il n’a plus le temps de s’activer dans ce mouvement. On peut être membre d’une association et après dire, en raison de mes charges, je ne peux plus m’activer. Il n’a jamais été exclu du mouvement Ibadou-rahmane. Le parquet est en service commandé et c’est compréhensible. Le parquet n’est pas là pour travailler à la manifestation de la vérité. Il poursuit ce qu’il avait déjà entamé depuis plusieurs années en arrêtant imam Ndao sans aucune preuve. Donc, le parquet est dans ce sillage.
L’enquête a révélé également que ses champs servaient de lieu d’endoctrinement pour les potentiels candidats au djihad.
Vous avez vu une seule fois le procureur poser une question sur cela ? Aucune question n’a été posée sur les champs parce que le procureur sait que ça n’existe pas. C’est la manipulation des enquêteurs. Ce sont des affabulations qui n’existent que dans leur imaginaire. Une accusation aussi grave, si elle était fondée, le procureur poserait une question sur ça. C’est pour vous dire que tout ce procès relève de la manipulation. C’est une tentative de diabolisation. Imam Ndao n’est pas connu par l’écrasante majorité des accusés. Seules quatre personnes le connaissent sur les 29 accusés. En plus, si imam était terroriste, ses femmes, ses enfants, ses neveux et ses talibés seraient impliqués. De tous les accusés qui étaient partis au Nigéria ou au Mali, il n’y pas un ressortissant de Kaolack. J’estime que l’Etat du Sénégal pouvait nous épargner de ce procès. C’est un faux procès. Voilà un procès où il n’y a pas de fait.
Est-ce à dire que vous pensez comme vos autres confrères qui soutiennent que ce procès est organisé pour plaire à l’occident ?
Je l’ai déjà dit. Je me suis évertué depuis plusieurs semaines à démontrer qu’imam Ndao n’est dans le dossier du fait de l’Etat que pour plaire aux occidentaux. Parce que quand des présumés djihadistes sont arrêtés, on estime que tant qu’il n’y a pas un imam qu’on va présenter éventuellement comme le cerveau ou l’idéologue, le dossier n’est pas complet. Donc, c’est un puzzle fictif où il faut avoir toute la chaine idéale d’un groupement djihadiste. C’est pourquoi on l’a mis dedans. Et ça, c’est l’Etat.
Vous conviendrez avec moi que la menace terroriste est réelle et nul ne peut affirmer péremptoirement que le Sénégal va y échapper…
La menace terroriste est réelle. Nous sommes tous d’accord que le terrorisme est un défi auquel nous devons faire face. C’est un défi global. Personne ne peut dire, qu’elle sera à l’abri. Maintenant, ce rôle de prévention et de renseignement relève de l’Etat. Et, je pense que notre Etat est suffisamment outillé pour travailler de concert avec tous les citoyens. Tous les citoyens doivent être en mode veille et alerte pour renseigner l’Etat. La meilleure arme contre ce fléau qui est le terrorisme, c’est que tous les citoyens prennent conscience de sa gravité et de collaborer avec les services de renseignements et les services de sécurité. Donc, nous sommes tous interpellés. Nous avons un pays bien organisé pour pouvoir faire face à cela mais, ce n’est pas parce que c’est une menace mondiale qu’on dit qu’elle est chez nous. Nous devons nous organiser pour que cela n’arrive jamais. Nous avons tous une responsabilité pour aider l’Etat à conjurer ce mal que je dénonce avec la plus vigoureuse énergie. Je suis foncièrement contre le terrorisme et la violence, quel que soit le motif, d’où qu’il vienne.
Après le réquisitoire du parquet, quels sont les éléments que vous allez mettre sur la balance pour sauver votre client ?
Je ne ferai pas comme l’autre qui confond plaidoyer et plaidoirie. Il appartient au parquet qui est maitre des poursuites de rapporter la preuve de l’existence des faits qui sont reprochés à imam Alioune Ndao. On ne peut pas faire une inversion de la charge de la preuve. Ce n’est pas à Alioune Ndao où son conseil de rapporter la preuve qu’il n’a rien fait. En droit pénal, c’est le maitre des poursuites, qui impute des faits à quelqu’un, qui rapporte la preuve incontestable que ces faits sont imputables à imam Ndao. Ce que le procureur n’a pas fait. C’est devant la Chambre criminelle que je vais démontrer, avec preuve à l’appui, que tout ce que le parquet reproche à Alioune Ndao ne tient pas. Et, je le ferai devant la Chambre criminelle. Donc, je ne plaide pas en dehors du tribunal.
Avez-vous l’espoir que votre client s’en sortira ?
Je reste optimiste que le droit sera dit. Il n’y a pas de preuves articulées contre imam Alioune Ndao. Avant de condamner, il faut avoir une preuve irréfutable et incontestable. Cela n’ayant pas été rapporté par le parquet, je reste confiant. Je pense qu’imam Alioune ne sera pas condamné. Le droit pénal, c’est la certitude. Même le doute profite à l’accusé. Je suis resté sur ma faim. Ce que j’attendais ce sont des preuves apportées par le parquet pour asseoir ses accusations.
Comment imam Ndao vit sa situation carcérale ?
Imam Ndao est un bon croyant. On discute tout le temps. Il accueille sa situation comme quelque chose relevant de la volonté divine. Et, il le prend positivement. Il est serein, il est calme. Il n’a rien à se reprocher. Donc, depuis la nuit des temps jusqu’à nos jours, il y a toujours eu des accusations. Serigne Touba a été accusé par les colons de faire la guerre sainte alors que c’est inexact. Donc, en tout état de cause, quelle que soit la durée de la nuit, il fera jour. Il n’a aucune rancune, aucun ressentiment vis-à-vis de personne. Il garde toute sa confiance à la justice. Et, le président de la Chambre criminelle a dirigé avec brio les débats et nous avons toute notre confiance en ce pouvoir judiciaire qui est symbolisé, incarné et représenté par la Chambre.
Est-ce que son Daara continue toujours d’être fonctionnel ?
Le Daara fonctionne. Imam n’est pas un terroriste, il ne l’a jamais été et il ne le sera jamais. Imam est fondamentalement contre le djihad violent. Il l’a dit et réitéré. Et l’Etat du Sénégal sait mieux que quiconque qu’il n’est pas un djihadiste. Imam est pour le débat d’idées. Il a une culture encyclopédique, pour ne pas dire c’est un savant. Sa place n’est pas en prison. On n’a besoin de lui à son Daara. Vous avez vu dans le monde un djihadiste qui est pour l’école française ? Il a pris une partie de sa parcelle pour donner à l’Etat pour qu’il construise une école française. Et avant cela, il avait prêté pendant trois ans des salles de classe à l’Etat du Sénégal dans le Daara.
L’actualité nationale est marquée par la crise universitaire avec la mort de l’étudiant Fallou Sène. Quel est votre point de vue sur cette situation ?
La situation de l’école, que ce soit l’école élémentaire, secondaire et universitaire, est désastreuse et regrettable. L’école de manière générale est une sur-priorité dans un Etat à fortiori un pays sous-développé. Le premier capital d’un pays qui veut se développer, c’est le capital humain. Et, le capital humain a besoin de deux choses : la santé et l’éducation. Et, nous constatons dans notre pays, malheureusement, que l’Etat ne se soucie pas de la santé comme de l’éducation. On fait des dépenses inutiles dans d’autres secteurs qui n’ont aucun intérêt. Il faudrait que l’Etat revoie sa politique éducative et sanitaire si vraiment nous voulons faire du Sénégal, dans les années à venir, un pays émergent ou un pays développé. Maintenant, le cas de l’étudiant, ce n’est pas la première fois. Une seule personne tuée est une perte pour notre pays à fortiori un jeune à la fleur de l’âge. Et nous n’avons pas besoin de cela. Nous avons les moyens de l’éviter. Il faut que l’Etat du Sénégal arrête d’utiliser la force lorsque les étudiants revendiquent. Le milieu estudiantin est un milieu par essence de dialogue, de la réflexion, de la discussion. C’est l’espace où on prépare l’élite de demain. Mais, nous constatons que l’Etat du Sénégal a toujours apporté une réponse violente à la revendication pacifique et légitime des étudiants. C’est regrettable.
Le problème des retards de bourse est récurrent. Que doit faire l’Etat pour le résoudre ?
L’Etat doit prendre la mesure de la gravité actes qu’il pose, assumer ses responsabilités et mettre un terme à cela. L’Etat n’a qu’à mettre en place un dispositif qui lui permet d’éviter de telles situations. C’est-à-dire d’éviter les retards de bourses et d’autres questions liées au monde universitaire où à défaut, quand les problèmes se poseront, que l’Etat mette en avant le dialogue et la concertation. La violence ne sert à rien. On n’en a pas besoin. Et nous demandons à l’Etat de renoncer définitivement à l’usage de la violence dans l’espace universitaire en respectant les franchises universitaires. Egalement, il faut que l’Etat prenne ses responsabilité pour que cette question récurrente de retard de bourses qui dure presque une trentaine d’années soit réglée. C’est inadmissible et inacceptable que des bourses de 18 mille francs ou 36 mille francs fassent l’objet d’un retard.
par Aliou Diouf ( Liberation)