«Léonora MIANO, romancière franco-camerounaise de l’hybridité, dramaturge et préfacière de la transgression, en quête de la guérison de la lecture, par l’estime de soi» par Amadou Bal BA
«Léonora Miano a tout d’un vrai écrivain : talent, finesse de l’écriture, originalité du ton et sens de la provocation littéraire. Esprit cosmopolite, amatrice de la littérature mondiale, Miano est un écrivain qui regarde l’horizon avec la constance de l’oiseau migrateur. Du coup, son Afrique est mise en lambeaux, avec le souci de réinventer un univers sans tabous. Miano a le verbe haut, le sens de la formule incisive. Léonora Miano propose le langage direct, la crudité des faits», écrit, en 2006, dans Congopage, Alain MABANCKOU, un grand prêtre de la littérature sur la scène parisienne. Après les profondes blessures infligées aux racisés, la guérison ne peut se faire que par la lecture «Puisqu’on a été meurtris, l’obligation du moment est la quête de la guérison», écrit-elle dans «Rouge impératrice». Venu, le 10 octobre 2016, à 20 heures, au théâtre de l’Odéon à Paris, rencontrer notre amie, Mme Rita CORBURN-WHACK, une cinéaste américaine, spécialiste de Maya ANGELOU, c’est la première fois que je voyais, de visu, la célèbre diva de la littérature, Léonora MIANO, de la trempe de Marie N’DIAYE, Awa THIAM, Ken Bugul ou Calixthe BEYALA. «J’appartiens à une génération d’écrivains africains, mais ce n’est pas en ces termes que je pense à moi. Je suis un écrivain, et si je travaille à partir de ce que je suis (africaine donc à l’origine), il me semble surtout parler d’humanité dans mes romans», dit Léonora MIANO. En effet, la contribution littéraire de Léonora MIANO, particulièrement dense, sa réception consolidée, a été consacrée par plusieurs prix prestigieux, dont le prix le Goncourt des Lycéens pour son roman «Contours du jour qui vient», en 2006 chez Plon 2006 et le Prix Femina, en 2013, pour «La saison de l’ombre» chez Grasset. L’on notera, en particulier, qu’elle fait l’objet de plusieurs communications dans des revues et colloques. Un nombre important de travaux de recherche (thèses de doctorat, mémoires de masters, d’articles, etc.) a été déjà été publié sur sa riche et engagée contribution littéraire.
De son vrai nom, Clarisse Eléonore NDONDONGUI, Léonora MIANO, une Franco-Camerounaise, résidant au Togo depuis 2019, est née le 12 mars 1973 à Douala, au Cameroun, une ville où elle passe son enfance «Longtemps, je leur ai fait croire que nous habitions dans un arbre. Là-bas, à Douala, capitale économique du Cameroun. Ça leur a semblé plausible. Ils n’ont compris la plaisanterie que le jour où j’ai ajouté : Et juste en face, il y avait l’arbre du consulat de France. Pour eux, l’Afrique, ce n’était que la brousse», écrit-elle dans «Stardust». Après un baccalauréat, au lycée Joss de Douala en, la jeune Léonore arrive, en 1991, en France, à l’âge de 18 ans ; elle s’inscrit à l’université de Valenciennes, puis à Nanterre. «Je me souviens. Les premiers temps, je disais bonjour à chaque Noir rencontré dans la rue. C’était bête. C’était comme ça. Je n’avais pas voulu connaître ce pays. Il m’avait déjà pris tellement. Au-delà de ce qu’il est possible de restituer. Commencé à interroger le choix de mes parents de m’élever en français. La colonisation avait bon dos, pensais-je alors. En France, sous l’Occupation, même les très nombreux collabos n’étaient pas allés jusqu’à parler l’allemand à leurs enfants. La langue est la manière dont un peuple dit son être au monde. Elle est son mode de vie et de pensée. Nous appartenions à une caste enviée dont les privilèges étaient illusoires», écrit-elle dans «Stardust». Après des études en Lettres, Langues et Civilisations étrangères, Léonara se spécialise en littératures américaines et du Commonwealth. Par conséquent, Léonora MIANO, habite la frontière, elle est, dans son hybridité, sa multiappartenance, traversée par différentes cultures ; les Européens qui boivent le café et du sucre ayant généré l’esclavage, ne reconnaissent pas ces héritages lourds de sens, cette «créolisation» du monde, comme le dirait Edouard GLISSANT (Voir mon article, Médiapart, 28 février 2024) : «C’est une manière poétique de définir mon identité qui est faite d’un assemblage des choses, puisque je suis en relation avec des mondes différents. Pour les Occidentaux, la frontière c’est là où la porte se ferme, un lieu de rupture, l’endroit qui protège de l’autre. Pour moi, la frontière est un lieu de médiation, là où on rencontre l’autre. Le meilleur moyen de l’habiter c’est d’accepter que ma part européenne et ma part africaine soient constamment en relation. Quand on vient d’un pays comme le Cameroun qui a été traversé par plusieurs nationalités européennes différentes, qui a deux langues officielles, où le côté disparate des populations et de leurs cultures est très visible, où il y a tellement de langues locales dont aucune n’est dominante qu’on est obligé de parler des langues étrangères pour se faire comprendre, la logique du mélange pour créer l’identité est plus évidente. On est obligé d’être dans une démarche qu’Édouard Glissant aurait appelée de «créolisation». Je crois que ma sensibilité frontalière vient de là. Être Noir en France c’est, pour la plupart, d’être marginalisé. Il n’y a pas de communauté noire, les Noirs n’ont pas pris l’habitude de se fédérer pour faire des choses concrètes ensemble», dit-elle à Africultures.
Passionnée de musique, élevée par de grands lecteurs, une mère, Chantal TANGA, professeure d’anglais et un père pharmacien, Rudolph Ngalle MIANO, décédé en 2009 ; sa sœur, Astride, est banquière en France, et Daphné travaille dans une banque au Cameroun, la jeune Léonora MIANO a très tôt accès à la riche bibliothèque parentale, qui lui fera développer dès l’enfance le goût de l’écriture. grand-père paternel, Joseph William Ngalle MIANO, a été administrateur de la France d’Outre-mer «Dans nos familles, on se targuait d’avoir travaillé avec les colons, étudié chez eux. On ne faisait que les imiter minablement. On ne construisait rien. On ne faisait que paraître. Notre élite camerounaise n’était qu’un contingent de parasites. Une armée de malades mentaux prompts à dépenser des fortunes en voyages et en restaurants, mais peu enclins à verser leurs gages aux domestiques», écrit-elle dans «Stardust». La découverte du «Cahier d’un retour au pays natal» d’Aimé CESAIRE et à l’âge de 12 ans, et celle, deux ans plus tard, de «La prochaine fois, le feu» de James BALDWIN, signeront le basculement de l’adolescente dans ce que l’écrivain appelle le chaudron afrodiasporique. Dès lors, elle recherche les textes des auteurs afrodescendants. Étonnamment absents de l’abondante bibliothèque familiale, ces derniers lui apparaissent comme un territoire caché, presque interdit. Admiratrice de Virginia WOOLF, de Janet FRAME, de William FAULKNER, de Toni MORISON, de Chester HIMES, l’autrice a aussi adoré Maryse CONDE. La parole de ces auteurs lui semble à la fois transgressive et porteuse d’outils de compréhension de soi-même. «Il s’est agi pour moi de poser un regard inhabituel sur certains sujets. L’enjeu fut de révéler ou de proposer des approches subsahariennes, méconnues à mon sens. À travers des réflexions prenant appui sur la littérature, la langue ou l’écriture de l’histoire, c’est à la réhabilitation de la conscience de soi au sud du Sahara que j’espère contribuer. Les rapports de l’Afrique subsaharienne et de la France ou le traitement réservé, dans l’Hexagone, aux personnes d’ascendance subsaharienne sont bien sûr évoqués. Dans la logique panafricaine qui est la mienne, ces questions participent d’un continuum théorique. L’Afrique subsaharienne est aussi une réalité déterritorialisée, une transversalité identitaire, historique et politique. Comme telle, elle est présente dans les espaces diasporiques», écrit, en 2016, Léonora MIANO, dans «L’Impératif transgressif». En effet, les forces du Chaos, plus que jamais, sont omnibulées par les ennemis de l’intérieur, le Grand remplacement, «Alain Finkielkraut fait de moi l’annonciatrice réjouie du «grand remplacement» et ne rate pas une occasion de me mentionner pour justifier l’effroi de ceux qui évoquent une « colonisation migratoire ». Je tiens à ne pas m’excuser d’avoir enfoncé une porte ouverte en déclarant que la société française était en mutation et que son passé colonial lui présentait la facture. De même, indiquer que les baby-boomeurs, qui ont puissamment contribué à bâtir le monde actuel, ne seront pas là pour contempler l’achèvement de leur œuvre est une lapalissade», écrit, en 2019, Léonora MIANO, dans le journal «Le Monde». Il y a un déni de blanchité pour certains.
Son roman, «Stardust», relate la période au cours de laquelle Léonora MIANO, jeune mère de 23 ans, en 1996, sans domicile ni titre de séjour, fut accueillie avec sa fille dans un centre de réinsertion et d’hébergement d’urgence, rue Crimée, dans le 19e arrondissement de Paris. C’est en fréquentant la rudesse de ses marges qu’elle a le plus intimement connu la France. Lasse de l’errance en couple, elle avait préféré se débrouiller seule. Impossible de rester auprès d’un garçon qui ne parvenait pas à devenir un homme. En une fraction de seconde, elle avait décidé de sauter sans filet. C’était le seul moyen d’empêcher la haine de s’installer là où il n’y avait déjà plus de respect. Léonora avait emmené Bliss, serrant contre son cœur la plus belle part de lui.
Remarquable et incisive préfacière, la contribution littéraire de Léonora MIANO, constituée à ce jour de romans, deux recueils de textes courts et un texte théâtral, mais, vise à resituer les peuples subsahariens et afrodescendants dans la globalité de l’expérience humaine. À travers des personnages dont elle souhaite faire saillir l’individualité, l’auteur interroge l’impact de la grande histoire sur la petite. Chacun peut s’identifier aux tribulations intimes de ses personnages, s’approprier leur voix. Les écrits de l’autrice sont traversés par de grands fédérateurs : l’identité, l’estime de soi, la traite négrière, le colonialisme, le bien-vivre ensemble, loin de toute idéalisation ou du folklore, et en particulier la place des minorités, notamment la femme, l’enfant ou le mal identitaire des diasporas africaines en Europe. «Je me considère comme un individu comme un autre, mais je me considère aussi comme un auteur noir. Je suis attachée à l’histoire qui a créé la catégorie «noir». Cela ne me dérange pas, donc, que l’on dise de moi que je suis un auteur «noir». Pour autant mon identité n’est pas soluble dans le noir. J’ai aussi une vie, une histoire propre qui influence ma sensibilité d’auteur. Tout cela forme un ensemble qui produit une littérature qui est la mienne», dit Léonora MIANO.
Dans ses préfaces, Léonora MIANO a dénoncé des aspects pernicieux et sournois du colonialisme, notamment le viol et le mépris «À propos du colonialisme, on sait tout. Du moins, le pense-t-on, et si la connaissance que l’on en a est plutôt théorique, on se représente plus ou moins le déroulement concret des choses. Il y eut une intimité du colonialisme qui ne se limita pas à son intrusion dans les aspects les plus personnels de la vie des colonisés, à la déstructuration de leur univers, ce dont les littératures des Suds ont amplement témoigné. Cette autre dimension que l’on peut qualifier de secrète puisqu’elle est encore très peu étudiée, encore moins exposée, se rapporte à l’imprégnation du vécu des colons eux-mêmes par la relation nécessairement viciée avec ceux auxquels une présence inamicale fut imposée. Il y aurait sans aucun doute bien des façons d’en prendre connaissance, bien des facettes de ce colonialisme individuel et quotidien à dévoiler. Ce « Carnet de mémoires coloniales » fait le choix d’un axe particulier. La fillette qu’elle fut autrefois et dont l’adulte qui écrit se souvient, vécut dans un monde où «Les Blancs allaient se faire des négresses» Les mots claquent, et la graphie vient aussitôt en souligner la portée. Dans le Mozambique que décrit l’ouvrage, les hommes blancs ne couchent pas avec des femmes noires. Elles ne sont jamais désignées comme femmes, et la couleur de leur peau, qui les nomme et les qualifie, efface non seulement l’identité, mais aussi l’appartenance au continent », écrit Léonora MIANO, dans la préface du «Carnet de mémoires coloniales» d’Isabela FIGUEIREDO. Il y est aussi de la blanchité, la question de la race, le seul fait d’être blanc, dans un espace colonial, même sans les compétences requises, procure d’importants privilèges. «Enfant, elle (lsabela FIGUEIREDO) sait déjà que sa race en impose et la place au-dessus du commun. Devenus des Noirs sans le savoir puisqu’ils ne se définissent pas ainsi au départ, les Subsahariens réduits en esclavage et leurs descendants nés dans les colonies du Nouveau Monde occupent l’autre bout du spectre dessiné par la race. Ils sont, par rapport au Blanc autoproclamé, le négatif absolu, celui dans les traits duquel on ne peut reconnaître son humanité. La racialisation défavorable infligée aux Noirs autorise toutes les violences, toutes les négations d’humanité. Le père d’Isabela Figueiredo, dont il est beaucoup question dans l’ouvrage, est en quelque sorte un migrant économique transformé en opérateur de la colonisation par les attributs de la race. Ce qui forge le colonisateur, c’est le principe de la supériorité raciale et les actes qui en découlent, le rapport aux autres qui en résulte. Ainsi un homme fuyant la misère que lui promet son Portugal natal – où l’ouvrier de 12 ans qu’il fut eut trois doigts broyés par la presse d’une imprimerie – se trouve-t-il propulsé tout en haut de la pyramide humaine, du fait de la suprématie blanche et du système prédateur mis en place par ses concitoyens. Un homme dont l’existence ne pesait pas lourd sur la terre de ses ancêtres, acquiert à ses propres yeux une importance toute nouvelle, un pouvoir qu’il lui faut exercer afin de l’éprouver vraiment», écrit Léonora MIANO.
En définitive, dans ses écrits, Léonora MIANO insiste sur l’héritage du colonialisme et la façon dont cet héritage se perpétue dans le processus d’invisibilisation des racisés. Ainsi, à travers sa préface sur un inédit de James BALDWIN, dont on a célébré le centenaire de sa naissance en 2024, Léonora MIANO a rappelé l’urgence de combattre le racisme, mais l’impérieuse nécessité, plus que jamais d’actualité, du bien-vivre ensemble, de la fraternité «Les textes réunis dans «La Croix de la rédemption» invitent à se plonger dans tous ses autres livres et amènent à se demander ce qu’il dirait aujourd’hui, face à un monde peu fraternel, travaillé par l’identitarisme, l’irrédentisme et le racisme. Près de quarante ans après son décès fin 1987 à Saint-Paul-de-Vence, James Baldwin apparaît comme une grande conscience du XXe siècle, une référence morale», écrit, en 2024, dans la préface, intitulée «Politique de l’amour. Pour qui doit affronter le racisme, les quelques phrases de James Baldwin que l’on se plaît à citer sont un glaive manié pour se frayer un chemin dans un environnement social et politique hostile. La parole incendiaire, proférée il y a plusieurs décennies, pourra également avoir valeur de talisman, à la manière d’une prière profane que l’on garde par-devers soi afin de repousser les forces du mal. Tel est le destin de l’œuvre d’une icône. James Baldwin est donc utile à un grand nombre, puisqu’il fournit aux uns des outils de survie et aux autres une possible rédemption.» de James BALDWIN, sur «La croix de la rédemption».
Par conséquent, la diaspora africaine, son identité, l’estime de soi et le bien-vivre ensemble sont fortement présents dans ses écrits. Ainsi, dans «Ce qu’il faut dire», trois textes de forme libre, un livre d’une brûlante actualité, Léonara MIANO aborde les questions d’assignation sociale et raciale, la façon dont la couleur de peau pourrait constituer un problème pour celui qui dit l’autre Noir, et la perception par certains de l’immigration, autrefois économique sur le sol français, comme étant une menace, ce qui, selon elle, alimenterait les discours identitaires et extrémistes. En effet, Léonora MIANO, remporte le Grand prix littéraire de l’Afrique noire pour l’ensemble de son œuvre, ainsi que le prix Seligmann contre le racisme 2012 pour «Écrits pour la parole» un texte sur le bien-vivre ensemble : «Ça m’a surtout touchée pour ce texte-là parce que quand il a été monté au théâtre récemment, il a été taxé de raciste. Ce prix vient nous mettre du baume au cœur. C’est une parole qui est très libre et souvent inhabituelle. En lisant le communiqué de presse du prix Seligmann, j’ai eu le sentiment qu’il y a des gens qui pouvaient comprendre ma démarche et l’objectif derrières. Évidemment, ce n’est pas pour bêtement agresser les gens, c’est pour entamer une conversation que ce pays n’a pas forcément envie d’avoir mais qui me semble nécessaire», dit Léonora MIANO à Africultures.
«L’impératrice rouge» sur le thème du grand remplacement à l’envers, est un sujet d’une grande actualité. Le lieu : Katiopa, un continent africain prospère et autarcique, presque entièrement unifié, comme de futurs États-Unis d’Afrique, où les Sinistrés de la vieille Europe sont venus trouver refuge. L’époque : un peu plus d’un siècle après le nôtre. Tout commence par une histoire d’amour entre Boya, qui enseigne à l’université, et Illunga, le chef de l’État. Une histoire interdite, contre nature, et qui menace de devenir une affaire d’État. Car Boya s’est rapprochée, par ses recherches, des Fulasi, descendants d’immigrés français qui avaient quitté leur pays au cours du XXIème siècle, s’estimant envahis par les migrants. Afin de préserver leur identité européenne, certains s’étaient dirigés vers le pré carré subsaharien où l’on parlait leur langue, où ils étaient encore révérés et où ils pouvaient vivre entre eux. Mais leur descendance ne jouit plus de son pouvoir d’antan : appauvrie et dépassée, elle s’est repliée sur son identité.
Le chef de l’État, comme son ministre de l’intérieur et de la défense, sont des partisans d’expulser ces populations inassimilables, auxquelles Boya préconise de tendre la main.
Dans son féminisme engagé, Léonora MIANO dénonce l’homme veule et lâche et fait l’éloge de la Femme, debout, et héroïne du quotidien. Il ne s’agit seulement pour les femmes afrodescendantes, gouvernantes, combattantes, bâtisseuses, mères et épouses, de lutter contre le patriarcat, mais aussi Léonora MIANO, dans «L’autre, langue des femmes», les exhorte à un double défi : «de se connaître et de se penser hors de toute comparaison avec l’être de sexe masculin» mais aussi d’adapter leur contexte à l’époque contemporaine «sans se dénaturer». Par ailleurs, l’autrice refuse les étiquettes : «Pour moi, dès qu’on dépasse la question biologique, le féminin et le masculin sont des constructions sociales et culturelles. Lorsqu’on décrit les caractéristiques de la littérature dite féminine, on se rend compte que bien des hommes ont une sensibilité féminine. En réalité, il n’y a que deux sortes de littérature : la bonne et la mauvaise. Laissons les étiquettes aux commerçants et aux esprits sans imagination !», dit-elle à Alain MABANCKOU. Dans «Volcanique, une anthologie du désir», la parole est donnée à douze sur leurs fantasmes sexuels : Fabienne KANOR, Nathalie ETOKE, Gisèle PINEAU, Nafissatou DIA DIOUF, Marie DO, Elizabeth TCHOUNGUI, Gaël OCTAVIA, Hemley BOUM, Gilda GONFIER.
La femme, comme la violence, occupent une haute place dans les écrits de Léonora MIANO «Je prends tout sur moi. Ni toi ni aucun de ceux qui t’ont précédé n’aviez le pouvoir de me faire perdre la tête. Vous n’avez fait que bénéficier de la rente accumulée par les hommes un siècle après l’autre. Un capital constitué en donnant aux femmes l’obsession de l’amour. Pas celui d’elles-mêmes», écrit Léonara MIANO, «La foufoune not so in love ces jours-ci», distribué à Avignon. La contribution littéraire de Léonora MIANO cohérente sur le fond, comme la forme, et bien travaillée. Entre les bons et les mauvais romans, Léonora MIANO se situe dans l’ambition de l’excellence. «Comme en jazz, la performance consiste à rester en harmonie avec le thème, à ne pas faire de fausses notes (contrairement à ce qu’on croit), tout en exprimant une originalité propre. Un roman est une composition dont les ingrédients sont le réel et l’imaginaire, l’instrument étant la langue» dit Léonora MIANO.
La relation mère-enfant, est traitée dans «Ces âmes chagrines». Né dans l’Hexagone, Antoine Kingué, dit Snow, n’arrive pas à surmonter la rancœur qu’il nourrit envers sa mère, coupable de ne l’avoir pas assez aimé. Elle l’a laissé en pension alors qu’il n’avait que sept ans et envoyé passer les grandes vacances seul au Mboasu, ce pays subsaharien où il ne s’est jamais senti à sa place. Par ailleurs, il est persuadé que son frère Maxime a reçu plus d’affection que lui. Pour se venger de cette enfance malheureuse, Snow fait payer ceux qui l’ont fait souffrir, rêve de devenir une vedette adulée, une star dont la vie serait enfin brillante et facile. Quand son frère lui annonce son retour au pays avec leur mère, Snow voit son univers s’effondrer. Sans plus personne sur qui passer sa rage, il se retrouve face à lui-même.
Léonora MIANO dénonce la violence, comme les instrumentalisations au service des pouvoirs despotiques. En effet, les romans, «l’Intérieur de la nuit» et les «Aubes écarlates», ont pour décor, Mboa, un petit état imaginaire d’Afrique équatoriale. Les faits relatés sont donc fictifs, mais évoquent des événements tristement contemporains en Ouganda ou en République démocratique du Congo : des luttes intestines pour prendre le pouvoir mettent la région à feu et à sang, des enfants sont kidnappés pour devenir des enfants-soldats et des combattants plus féroces les uns que les autres terrorisent les populations. «L’essentiel du roman se déroule dans l’imagination et dans la mémoire de l’enfant qui s’adresse en pensée à sa mère, cependant qu’elle traverse un pays envahi par les sectes religieuses pour la retrouver. Histoire et histoire se confondent, et on finit par comprendre que la fillette est une métonymie de cette génération d’enfants livrés à eux-mêmes, et que la mère métaphorise une Afrique en perte de repères», dit Léonore MIANO, pour son roman, «Contours du jour qui vient».
La question de la traite négrière est l’un des thèmes majeurs de ses écrits. «La saison de l’ombre met en scène indignés et collabos, comme on ne disait pas à l’époque, en montrant, c’est là sa force, la façon dont un système fabrique, à l’échelle d’un village et d’un bout de côte africaine, sa propre hiérarchie de salauds, de héros, de témoins silencieux : un monde où se côtoient ceux qui ont «combattu l’oppression » et ceux qui ont su lui survivre», écrit, en 2013, Catherine SIMON du journal Le Monde. En effet, dans ce roman, nous sommes en Afrique subsaharienne, quelque part à l’intérieur des terres, dans le clan Mulungo. Les fils aînés ont disparu, leurs mères sont regroupées à l’écart. Quel malheur vient de s’abattre sur le village ? Où sont les garçons ? Au cours d’une quête initiatique et périlleuse, les émissaires du clan, le chef Mukano, et trois mères courageuses vont comprendre que leurs voisins, les Bwele, les ont capturés et vendus aux étrangers venus du Nord par les eaux. Dans ce roman puissant, Léonora MIANO revient sur la traite négrière pour faire entendre la voix de celles et ceux à qui elle a volé un être cher. L’histoire de l’Afrique subsaharienne s’y drape dans une prose magnifique et mystérieuse, imprégnée du mysticisme, de croyances, et de l’obligation d’inventer pour survivre. «Il s’est passé la chose suivante : des humains ont pensé tirer parti du commerce d’autres humains. Et des humains ont souffert l’arrachement des leurs, la violence de leurs voisins. Voilà ce que propose «La saison de l’ombre» : le point de vue subsaharien sur une des nombreuses défaites de l’humanité, mais aussi, sur les fragiles triomphes de l’humanité. Une histoire de mort, de vie après la mort», écrit Léonora MIANO.
Références bibliographiques
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Paris, le 12 janvier 2025 par Amadou Bal BA