«Le Soudan, une riche et glorieuse histoire un pays regorgeant d’or et de pétrole, mais une tragédie depuis l’indépendance : Comment s’en sortir ?» par Amadou Bal BA
A l’initiative de Denise NDZAKOU et de Louna, j’ai été le 19 décembre 2024, à la Sorbonne, au Centre de Censier-Daubenton, à Paris 5eme sur le Soudan. Une rencontre riche de renseignements et d’échanges, au moment où certains préfèrent détourner le regard devant la dramaturgie. En effet, depuis 2023, pas moins de 150 000 personnes sont mortes à la suite d’affrontements entre deux chefs de clans au Soudan. Après la guerre meurtrière du Darfour, la scission entre le Nord et le Sud, les Soudanais continuent presque depuis l’indépendance à s’entretuer, avec un flot incessant de réfugiés, 3,1 millions de déplacées, qui sont essentiellement accueillis non pas par l’Occident, comme ils le font croire, mais les pays du tiers-monde, en particulier l’Ouganda. «Le Soudan n’existe plus. Le divorce a été prononcé, le pays séparé en deux. Et ces deux Soudans font partie de ces pays coincés entre la géographie de la guerre et de la faim. Si les médias nous ont appris un ensemble de mots comme séparation du Sud-Soudan, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide au Darfour, nous sommes encore loin de comprendre ces réalités complexes», écrit Guillaume LAVALLEE.
Le Soudan, riche de son histoire glorieuse, est pour moi, une grande source d’étonnement de l’Afrique. Contrairement à la fumeuse théorie de la «découverte», l’histoire du Soudan remonte du fond des âges comme en témoignent de nombreux pyramides et sites historiques. «Le fait que le sol de l’Égypte et de l’Éthiopie a formé le lieu de sépulture de civilisations très anciennes est bien connu de tous. On a émis l’hypothèse qu’on devrait aussi voir en lui le véritable berceau de la civilisation même de l’humanité. Ces questions m’intéressent vivement depuis de longues années, et mon intérêt s’accrut encore lorsque, pendant l’hiver de 1900, je fis la découverte d’objets néolithiques, au cours de mon voyage dans le Soudan anglo-égyptien», écrit, en 1912, Henry WELLCOME.
Le Funj avait fondé en 1504, le Sultanat de Sennar, en absorbant le royaume d’Abdallah JAMMA. Le nom «Soudan» dérive de l’expression arabe «Bilâd as-Sûdân», «le pays des Noirs», qui désignait l’ensemble de l’Afrique Saharienne à l’époque médiévale. Dans l’Antiquité, le Soudan fut le siège de nombreuses civilisations depuis le troisième millénaire avant J. C. Ainsi, les royaumes successifs de Kerma, d’environ 2500 à 1500 avant J.-C., s’épanouirent dans le pays et entretinrent des rapports avec l’Égypte pharaonique voisine. Au XVe siècle avant J.-C., le pharaon égyptien Thoutmosis Ier conquit le Soudan, qui resta sous domination égyptienne pendant quatre siècles. Ensuite, le premier millénaire avant J.-C. voit se développer les fameux royaumes de Napata, puis de Méroé, dominés par les dynasties dites des «pharaons noirs». En 21 avant J.-C., la Nubie devint une province romaine et, au IVe siècle de notre ère, Ezanas, le roi d’Axoum, en Éthiopie, détruisit le royaume de Méroé. Puis, à partir du VIe siècle de notre ère, plusieurs royaumes nubiens se tournèrent vers le christianisme. Ces entités perdurèrent jusqu’au XIVe siècle, avant d’entamer un déclin progressif face à l’avancée de l’Islam.
Méhémet ALI (1769-1849), sultan égyptien d’origine grecque, avait envahi le Soudan, entre 1820 et 1824, par cupidité pour faire main basse sur ses richesses. La Nubie, le plus ancien des États africains, pays des royaumes de Kerma ou pays de Koush, de Napata et Méroé, voisine de l’Égypte antique, un pont entre l’Afrique noire et la Méditerranée, le Soudan, un pays résilient et souffrant, dans sa vaste et longue dramaturgie est bien méconnu du reste du monde. «Les géographes de l’Antiquité ne nous ont laissé sur le Soudan que des rapports confus ; les géographes arabes ne nous guère ajouté que des fables», écrit, en 1856, le comte Stanislas DESCAYRAC de LAUTURUS (1826-1868).
Pendant longtemps, le Nil, donc l’Egypte et le Soudan, ont été des ponts entre l’Europe et l’Afrique «L’Afrique n’est séparée de l’Europe que par la Méditerranée, qui a été le centre le plus important du commerce maritime, dans l’Antiquité et pour le Moyen-âge», écrit Henry WELLCOME. Colonisé par les Britanniques de 1899 à 1955, le Soudan, bien avant le Ghana, est indépendant le 1er janvier 1956. Par ailleurs, c’est un gros mensonge des Occidentaux de faire croire que le Soudan, comme les autres pays africains, serait pauvre. Société pastorale et agricole, dont les vestiges dont les vestiges archéologiques remontent au IIIème millénaire avant J-C, le Soudan, grand producteur de coton, de ressources agricoles, premier exportateur mondial de bovins et de caprins, regorge en pétrole et en or. C’est là peut-être une des sources de ses malheurs, dans un pays pluriethnique (Arabes, chrétiens et animistes).
Taillé à l’échelle d’un mini-continent, quatre fois et demie la France, le Soudan, avec ses 1,88 million de Kilomètres carrés et ses 48 millions d’habitants, est structuré autour du Nil et de ses affluents. Terre de passage, largement ouverte sur les neuf pays de son voisinage : l’Égypte, la Libye, le Tchad, la République centrafricaine, la République Démocratique du Congo, l’Ouganda, le Kenya, l’Éthiopie, l’Érythrée, le Soudan, en plus de ses ressources minières (or et pétrole), sa position l’expose à tous les dangers et à toutes les convoitises.
Premier pays indépendant d’Afrique, bien avant le Ghana, depuis le 1er janvier 1956, le Soudan est perpétuellement en guerre. Jadis, le combat entre nordistes et sudistes avait abouti, en 2011, à la partition du pays. Omar EL-BACHIR (Voir mon article, Médiapart, 12 avril 2019), resté au pouvoir de 1989 à 2019, a finalement été chassé, après quatre mois de manifestations, par la population ; il est emprisonné depuis lors, dans une prison militaire. Il a été trouvé dans son palais présidentiel 113 millions de dollars en liquide.
La République du Soudan du Sud, la partie la plus déshéritée, est sous la coupe américano-israélienne, des multinationales et divers groupes prédateurs. Depuis lors, les combats opposant l’armée régulière dirigée par Abdel Fattah AL-BURHANE, président du Conseil de souveraineté depuis 2021, à Mohamed Hamdan DOGOLO, alias Hemeti, des milices arabes du Darfour, ont mis le pays, à feu et à sang.
Comment s’en sortir ?
Je suis persuadé que l’Afrique n’est pas frappée par une prétendue malédiction de Cham. Le seul chemin qui vaille, ce n’est pas une question utopique, c’est la paix, seule susceptible d’assurer une coopération profitable à tous, comme l’ont fait les Européens, après les guerres napoléoniennes, les Première et Deuxième guerres mondiales, les pays lusophones d’Afrique (Guinée-Bissau, Cap-Vert, Angola) maintenant stables et prospères. Une paix en Afrique, aussi bien pour les Chinois, les Russes que les Occidentaux, c’est une Afrique qui entreprend de gigantesques travaux d’infrastructures et de reconstruction, comme l’a fait le Sénégal de Macky SALL. Personne d’autre ne pourra sauver le Soudan que les Soudanais. Ceux qui profitent des richesses du Soudan vont vous parler des Russes, des Chinois ou des Occidentaux, ceux-là mêmes qui sont l’incarnation du malheur des Soudanais. Le peuple soudanais s’était révolté contre Omar El-BACHIR et l’a chassé en moins de 4 mois. Ces seigneurs de la guerre peuvent subir le même sort. Contre la détermination d’un peuple à recouvrer sa dignité, sa liberté, aucun char ne peut rien. Le communisme n’est pas tombé en raison de la guerre des étoiles. Les Soudanais devront prendre en main leur destin et chasser les sanguinaires, instrumentalisés par les autres. C’est par le peuple que mon Sénégal, dans la paix, arrive à congédier ses dirigeants qui ont manqué à leur parole. Déjà trois alternances chez ce «Grand petit pays» (Voir mon article Médiapart, 31 décembre 2021), qu’est mon cher Sénégal (Voir mon article, Médiapart). C’est donc possible la démocratie dans un pays du tiers-monde. Les régimes militaires du Mali, du Burkina Faso, comme de la Guinée, s’enlisent dans des périodes transitoires qui s’éternisent.
On parle souvent de «panafricanisme», depuis Kwame NKRUMA (Voir mon article, Médiapart, 27 avril 2022). Là aussi l’histoire des Européens est édifiante, le nationalisme dans les Balkans, a été meurtrier, et plein de haine dangereuse. L’intégration de certains États, comme la Roumanie et la Hongrie, a apaisé les tensions ethniques dans ces pays. Je suis convaincu que si les Occidentaux avaient intégré les Russes au sein de l’Union européenne, qui avaient commencé à entamer le chemin du libéralisme (Voir mon article, Médiapart, 13 mars 2022), et les Ukrainiens, il n’y aurait pas eu cette guerre meurtrière, sans issue, comme l’ont été les autres guerres locales de notre temps (Afghanistan, Libye, Irak). A mon sens, le panafricanisme, tel que le conçoit Ousmane SONKO, le chef du gouvernement sénégalais, dit de rupture, c’est un slogan creux à la SANKARA ou à la Sékou TOURE. Là aussi, nous avons à apprendre des Européens, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, ont très vite compris qu’en dépit des haines et des massacres, que les produits agricoles de la France et les biens industriels de l’Allemagne, ainsi que la paix et le respect de l’État de droit, peuvent être les locomotives de la construction européenne. Jadis, l’université de Dakar était panafricaine de 1957 à 1968, date de la fameuse grève des étudiants. Ce creuset panafricain, par l’éducation, avait contribué à décloisonner les relations entre Africains. Aucun chef d’État africain ne renoncera, volontairement et immédiatement, à son poste, pour un pouvoir supranational. Tel que la CEDEAO a été conçue, en dehors de la libre circulation des personnes et une Cour de justice, c’est un échec cuisant, à la suite notamment de la crise malienne. Je crois que le panafricanisme, et donc la paix et la prospérité ne viendront en Afrique, qu’à travers de grands projets, comme l’ont fait les Occidentaux : l’éducation, les langues communes (Anglais, français, Swahili, Peul parlé dans 27 pays africains et arabes), agriculture, monnaie et défense commune, recherches, début industrialisation (énergies propres comme le solaire, désalinisation et grands bassins de rétention pour l’agriculture, assainissement, ports et aéroports, édition, réseaux de communication sécurisés hors de portée des pays étrangers qui surveillent les Africains, etc.).
Références bibliographiques
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Paris, le 19 décembre 2024, par Amadou Bal BA