Fiabilité douteuse, tests inachevés, production limitée… Cinq semaines après l’annonce de Vladimir Poutine, le vaccin russe a du plomb dans l’aile.
« Ma fille a eu un peu de fièvre après chacune des deux injections, mais elle va bien… Notre vaccin est tout à fait efficace. » C’était le 11 août. Ce jour-là, Vladimir Poutine célèbre l’homologation de Spoutnik V, présenté comme le premier vaccin au monde disponible contre le coronavirus. Pour convaincre l’opinion, il cite même l’exemple de l’une de ses deux filles. Un détail qui en dit long sur l’enjeu, car le chef du Kremlin n’aborde jamais en public le sujet de ses enfants.
Depuis, de nombreux hauts responsables ont dû imiter la fille du président, parmi lesquels le maire de Moscou, Sergueï Sobianine, et le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou.
Imposture
Pourtant, un mois plus tard, une évidence s’impose. Spoutnik V ne tient pas ses promesses. La raison ? Il n’en est qu’au stade expérimental, plus précisément à la phase 3 de ses essais. Autrement dit, au même niveau de développement que les molécules d’AstraZeneca, de Moderna et de Pfizer aux États-Unis. Une imposture qui laisse la communauté scientifique pantoise. Y compris en Russie. « Cette violation des standards internationaux a pour objectif de servir les ambitions géopolitiques du président », souligne Anastasia Vassilieva, à la tête du syndicat Alliance des médecins.
De fait, depuis son annonce triomphante, Moscou affirme engranger les commandes. Le Brésil, le Mexique, l’Inde et l’Arabie saoudite auraient déjà signé des accords. Et une dizaine d’autres pays s’apprêteraient à franchir le pas. Le tout pour un total de 1,2 milliard de doses, la plupart produites localement. Une offre désintéressée, insistent les autorités russes. « On le fait en toute transparence, a déclaré l’ambassadeur russe auprès de l’Union européenne Vladimir Chizhov, sans préférence et sans connexion politique ou économique. »
De belles paroles qui cachent néanmoins un dessein : s’assurer le monopole du vaccin dans les pays en développement. « Ça ne garantit pas à la Russie une implantation sur ces marchés, nuance Anastasia Vassilieva. La conclusion de tels contrats lui permettra surtout de disposer de nouveaux volontaires. »
Étude controversée
Car Spoutnik V peine, il est vrai, à décoller. D’abord en raison des doutes entourant les travaux de l’Institut Gamaleya, situé à Moscou et à l’origine de sa découverte. C’est un biologiste italien, Enrico Bucci, qui a sonné l’alarme après la publication des résultats russes dans la prestigieuse revue médicale britannique The Lancet. Un article pourtant destiné à prouver l’efficacité du vaccin. Or l’étude des données fait apparaître une anomalie : le niveau des anticorps se révèle parfaitement identique chez quelques-uns des 76 patients pourtant soumis à des formules moléculaires différentes. « La probabilité pour que cela arrive est extrêmement faible », note l’Italien Enrico Bucci. De quoi alimenter le soupçon d’un « copier-coller ». Et déclencher les protestations d’une partie de la communauté scientifique. Résultat, 38 experts ont adressé au magazine une lettre pointant les irrégularités statistiques de Moscou.
Autre frein à l’expansion du vaccin russe : sa production limitée et désorganisée. Une situation liée aux tests toujours en cours. Exemple ? À Moscou, 700 personnes seulement auraient été vaccinées sur un total de 60 000 volontaires déclarés. En Crimée, une péninsule de 2 millions d’habitants, les doses acheminées permettent de pratiquer des injections sur une vingtaine de personnes. Pas davantage.
Concurrence chinoise
Enfin, dernier obstacle : la Chine. Spoutnik V rencontre sur sa route les vaccins chinois conçus par la compagnie Sinopharm et également destinés à approvisionner les pays en développement. Une concurrence qui se transforme parfois en camouflet pour la Russie. C’est le cas en Égypte, où les autorités affichent leur préférence pour les deux vaccins de Pékin en dépit des promesses de partenariat et de délocalisation faites par Moscou. « Ils sont sous la supervision de l’Organisation mondiale de la santé », a même ajouté Hossam Hosni, le chef du comité scientifique égyptien, dans une critique à peine voilée à la Russie.
Reste une question : face à la défiance suscitée par Spoutnik V, Moscou parviendra-t-il à vacciner sa population ? « Les enseignants sont menacés de perdre leur poste s’ils ne s’y soumettent pas, raconte la responsable de l’association des médecins Anastasia Vassilieva. Mais, pour le corps médical, ce sera plus compliqué. Nous connaissons la valeur des données scientifiques de notre pays et nous savons que nous pourrions avoir de mauvaises surprises avec ce vaccin d’ici deux ou trois ans. »
Le Point