«Jon FOSSE, essayiste, romancier, dramaturge et poète norvégien, Prix Nobel de littérature» par Amadou Bal BA
Il y avait plusieurs prétendants sérieux au Prix Nobel de littérature 2023, comme Laszlo KRASZNAHORKAI, écrivain et scénariste hongrois, Loudmila OUTLITSKAIA, romancière épique, une opposante russe, Salman RUSHDIE, le britannique, un islamophobe et ses versets sataniques, Can XUE de son vrai nom DENG Xiaohua, une écrivaine chinoise, Jamaïca KINCAID née Elaine Cynthia POTTER RICHARSDON, d’Antigua-Barbuda.
Finalement, et contrairement à ces pronostics, c’est Jon FOSSE, un écrivain norvégien, né le 29 septembre 1959 à Haugesund, qui a remporté le Prix Nobel de littérature 2023, pour «ses pièces de théâtre et sa prose innovantes qui donnent de la voix à l’indicible». Écrivain prolifique, Jon FOSSE est vénéré de longue date pour son langage épuré, transcendant et une expérimentation formelle. Jon FOSSE s’est déclaré surpris du Prix Nobel, mais en même temps, il s’y s’était préparé pour «les 10 dernières années que cela pouvait arriver», dit-il. Jon FOSSE s’est déclaré « abasourdi et d’une certaine manière effrayé. Pour moi, c’est d’abord une récompense qui va à la littérature et qui se doit d’être de la littérature, sans autre considération». Les écrivains norvégiens ont reçu le prix Nobel de littérature à quatre reprises, mais Jon FOSE est le premier en 95 ans. Avant lui, les derniers récipiendaires norvégiens étaient Bjørnstjerne Martinius BJORNSON (1832-1910), en 1903, un dramaturge, en 1920, Knut PEDERSEN plus connu sous le nom de Knut HAMSUN (1859-1952), une génie littéraire et traître à sa patrie, romantique et réactionnaire, individualiste, et un nazi assumé et Sigrid UNDSET (1882-1949), une écrivaine de fiction historique qui a remporté le prix en 1928.
La vaste contribution littéraire de Jon FOSSE, passée inaperçue du grand public, déjà traduite dans une cinquantaine de langues, et très largement en langue française notamment aux éditions Christian Bourgois, Circé ou l’Arche, est un mélange de romans, d’essais, et de traductions de livres pour enfants. De nombreuses thèses en France ont déjà été soutenues notamment sur l’œuvre théâtrale de Jon FOSSE. Il a lu Annie ERNAUX (Voir mon article, Médiapart, 6 octobre 2022), écrivaine française, Prix Nobel de littérature «J’ai lu ce court roman d’Ernaux, intitulé Simple Passion (1991), et j’aime bien – c’est tout à fait normal. Mais pour moi, il est totalement impossible d’utiliser mes propres expériences de cette manière, parce que l’écriture est une question de transformation. J’écoute un univers différent du mien, et l’écriture est un moyen de s’échapper dans cet univers. C’est ce qui est génial. Je veux m’éloigner de moi-même, ne pas m’exprimer» dit-il. Le Nobel 2023, est un auteur européen, mais aussi à un écrivain profondément nordique, plutôt introverti et célébrant son terroir. En effet, Jon FOSSE écrit dans sa langue maternelle, le «Nynorsk», l’une des deux formes écrites du norvégien. L’autre est «Bokmil» utilisée à plus de 80% de la population. Par conséquent, le «Nynorsk», une langue minoritaire, avait déjà une importante et prestigieuse réputation dans la littérature norvégienne. C’est un choix politique de l’auteur, un acte de résistance contre l’usage utilitaire du langage. C’est pour lui la langue de l’enfance, passée dans un village de la côte ouest, près d’un fjord, de cette mer si séduisante dans ses romans, dans sa langue musicale, vient de populariser son combat, en érigeant la Norvège au rang de puissance culturelle mondiale.
Dans sa jeunesse, communiste, anarchiste et athée jouant de la musique Rock, Jon FOSSE, devenu adulte, est maintenant un auteur religieux, existentiel, calme, mystique et spirituel. Jon FOSSE est comparé à Henrik IBSEN (1828-1906) ou à Samuel BECKETT (1906-1989, voir mon article, Médiapart, 7 mars 2023) et même à George HARRISON des Beatles. En particulier, Jon FOSSE est l’écrivain catholique du silence. «J’ai très peur d’utiliser le mot «Dieu». Je le fais rarement et jamais quand je parle de ma propre écriture. Dieu est beaucoup trop pour que je parle. Quand j’arrive à écrire bien, il y a un deuxième langage muet. Ce langage silencieux dit de quoi il s’agit. Ce n’est pas l’histoire, mais vous pouvez entendre quelque chose derrière – une voix silencieuse qui parle. C’est cela qui fait bien que la littérature fonctionne bien pour moi» dit Jon FOSSE. Fortement influencé par Franz KAFKA (1883-1924), son maître à penser est Meister ECKHART (1260-1328), théologien, mystique et philosophe allemand : «Eckhart est l’écrivain qui m’a le plus influencé. Dans mon adolescence, j’étais une sorte de marxiste et athée stupide – c’était la chose normale d’être à l’époque pour les jeunes intellectuels en herbe. Mais dans le processus d’écriture, il y avait quelque chose que je ne pouvais pas tout à fait comprendre, un peu de mystère : d’où vient-il ? J’ai commencé à croire en Dieu en tant que personne, d’une certaine manière. Je me qualifie de croyant en Dieu, en tant que présence simultanément là-bas et ici. Mais comme Eckhart, je n’étais pas de dogmatique. J’ai ressenti le besoin de partager cette façon de croire avec quelqu’un d’autre, alors je suis allé aux Quakers. Vous êtes dans un cercle silencieux, et si vous avez envie d’avoir quelque chose d’important à dire, alors vous le dites. Sinon, continuez à vous taire. À un certain moment, je ne me sentais plus en besoin. J’ai senti que ma propre écriture était ma propre «réunion silencieuse» ou ma façon d’être un quaker, ma façon de prier», dit-il.
Jon FOSSE traite de nombreux thèmes, notamment l’amour, la mort, le deuil, l’amitié, la jalousie, la défiance, le voyage, une sorte d’auto-découverte de son inconscience, de son intempérie, la spiritualité, la religion et la sérénité, un théâtre du flottement, du minimalisme et de l’épure à la Samuel BECKETT. «Pour moi, écrire est un acte d’écoute. Et si j’écris bien, ce que j’écris sera nécessairement nouveau pour moi aussi. Écrire est un voyage dans l’inconnu», dit Jon FOSSE. D’une haine du théâtre comme manifestation culturelle et sociale, Jon FOSSE est passé à sa célébration comme «la plus humaine, et pour lui la plus intense, de toutes les formes d’art, apte à créer des moments d’entente émotionnelle inexplicables, du moins intellectuellement» dit-il, en 1999, dans «Essais gnostiques». En effet, désormais, Jon FOSSE ne distingue pas la poésie du théâtre : «Une pièce pour moi est beaucoup plus proche d’un poème que de n’importe quelle prose ou, disons fiction. Cela a à voir avec la concentration et l’intensité d’un jeu, ainsi qu’avec l’unité formelle dans une pièce. Je pense qu’il est possible d’écrire sous sa forme un poème parfait, et un jeu parfait, mais aucune sorte de prose n’atteindra le même niveau de précision formelle et de perfection. La meilleure définition que je connaisse d’une pièce que j’ai lue dans une interview avec Federico Garcia Lorca : une pièce est un poème qui se lève. Oui, c’est un poème qui se fait incarner par les acteurs», dit-il.
En 1983, Jon FOSSE publie son premier roman, «Rouge, noir», qui donne le coup d’envoi d’une carrière remarquablement prolifique. Ses œuvres les plus célèbres comprennent les romans «Mélancholia», qui plongent dans l’esprit d’un peintre ayant une dépression mentale; son roman «Mort et Soir», qui s’ouvre avec le moment de la naissance du protagoniste et se termine avec le dernier jour de sa vie ; et l’œuvre en sept volumes «Septologie» a été remarquée par les critiques littéraires, un livre de sérénité. «Être croyant ce n’est pas être sûr de soi, c’est n’être sûr de rien, c’est être dans un état d’étonnement où l’on distingue une lumière, c’est voir quelque chose que l’on ne comprend pas» écrit-il, en 2000, dans «Petite Sœur».
Indications bibliographiques
I – Contributions de Jon FOSSE
FOSSE (Jon), Au tomber de la nuit, traduction de Terje Sinding, Strasbourg, Circé, 2016, 92 pages ;
FOSSE (Jon), Chant de la nuit, traduction de Terje Sinding, Montpellier, Maison Antoine Vitez, 2001, 101 pages ;
FOSSE (Jon), Et la nuit chante ; Hiver, traduction de Terje Sinding, Paris, L’Arche, 2003, 168 pages ;
FOSSE (Jon), Insomnie, traduction de Terje Sinding, Strasbourg, Circé, 2009, 92 pages ;
FOSSE (Jon), Je suis le vent, suivi de les jours s’en vont, traduction de Terje Sinding, Paris, L’Arche, 2010, 138 pages ;
FOSSE (Jon), Jeune fille sur canapé ; Ses yeux, traduction de Mariane Segol-Samoy, Paris, l’Arche, 2020, pages ;
FOSSE (Jon), Kant suivi de Noir et humide ; Si lentement ; Petite soeur, traduction de Terje Sinding, Paris, L’Arche, 2009, 61 pages ;
FOSSE (Jon), L’autre nom : Septologie I-II, traduction de Jean-Baptiste Coursaud, Paris, Christian Bourgois, 2021, 430 pages ;
FOSSE (Jon), La remise à bateaux, traduction de Terje Sinding, Belval, Circé, 2007, 153 pages ;
FOSSE (Jon), Le manuscrit des chiens II Quelle merveile, traduction de Terje Sinding, Paris, L’Arche, 2010, 45 pages ;
FOSSE (Jon), Le manuscrit des chiens, traduction de Terje Sinding, Paris, L’Arche, 2002, 42 pages ;
FOSSE (Jon), Les rêves d’Olay, traduction de Terje Sinding, Strasbourg, Circé, 2014, 92 pages ;
FOSSE (Jon), Matin et soir, roman, traduction de Terje Sinding, Belval, Circé, 2003, 122 pages ;
FOSSE (Jon), Rouge, noir, traduction de Terje Sinding, Belval, Circé, 2003, 122 pages ;
FOSSE (Jon), Melancholia II, traduction de Terje Sinding, Strasbourg, Circé, 2002, 119 pages ;
FOSSE (Jon), Quelqu’un va venir, Montpellier, Sous Pied sous terre, 2002, 48 pages ;
FOSSE (Jon), Rêve d’automne ; Violet ; Vivre dans le secret, traduction de Terje Sinding, Paris, Arche, 2005, 184 pages ;
FOSSE (Jon), Visites ; Suivi de variations sur la mort, traduction de Terje Sinding, Paris, L’Arche, 2002, 185 pages.
II – Autres références
BOTELLA (Julien), Dramaturgies du diaphane : enjeux esthétiques et politiques d’un paradigme, du symbolisme au néosymbolisme, de Maeterlinck, à Noren, Foss et Lygre, thèse sous la direction d’Arnaud Ryckner, Paris III, La Sorbonne, 2019, 297 pages ;
DOUTEY (Nicolas), «Le flottement, Jon Fosse», Agon, 24 juillet 2008 ;
DOYLE (Martin), «Nobel Price in Literature 2023 : Norwegian Author Jon Fosse Wins», The Irish Times, 5 octobre 2023 ;
EMRE (Merve) «Jon FOSSE’S Search For Peace», The New Yorker Interview, 13 novembre 2022 ;
LUCAS (Lucille), La parole dans le théâtre de Jon Fosse : silence, vide et obsessions, mémoire sous la direction de Joseph Danan, Paris, Sorbonne, 2014, 122 pages ;
MARSHALL (Alex) ALTER (Alexandra), «Jon Fosse, Norwegian Author, Received Nobel Price in Literature», The New York Times, 5 octobre 2023 ;
NERSON (Jacques), «Le théâtre de Jon Fosse ? On dirait un sketch d’inconnus», L’Obs, 5 octobre 2023 ;
OLTERMANN (Philipp), «Jon Fosse Nobel Price», The Guardian, 5 octobre 2023 ;
RAFIS (Vincent), Que la mort vit : sur les théâtres de Jon Fosse, Sarah Kane et Rodriguo Garcia, thèse sous la direction de Giovanni Careri, Université d’Utrecht, 2012, 227 pages ;
TERJE (Sinding), traducteur, Le nom texte de Jon Fosse, mise en scène de Christian Colin, Strasbourg, théâtre national, 2002, 39 pages ;
VERDICKT (Remo), ROOTOOFT (Emiel), «A Second, Silent Langage : Conversation with Jon FOSSE», LARB, Los Angeles Review of Books, 31 décembre 2022.
Paris, le 5 octobre 2023, par Amadou Bal BA – http://baamadou.over-blog.fr/