«Jean-Marie LE PEN (1928-2025), fondateur du Front National, une entreprise familiale d’intolérance est mort ; ce n’est pas un «détail» de l’Histoire. Grande Vigilance des Républicains face à la défaite des valeurs du cosmopolitisme !» par Amadou Bal BA
La mort d’un être humain ne peut faire l’objet d’une quelconque réjouissance ou célébration, même s’il s’agit de celle de Jean-Marie LE PEN, incarnation du diable, des forces du Chaos. On raconte dans le Saint Coran, qu’à la mort de Iblis, le grand Satan, à chaque fois, il renaissait en faisant claquer ses deux jambes. Un jour, il suggéra, pour disparaître, définitivement, que son corps soit calciné et jeté dans les rivières. Ce faisant les Hommes qui boivent l’eau ont, définitivement, logé dans leur cœur, une grande partie de la haine de Satan. En effet, Jean-Marie LE PEN nous a quittés le 7 janvier 2025, à l’âge de 96 ans, mais les idées d’intolérance pour lesquelles, il se battait, sont non seulement à la porte du pouvoir en France, ont dépassé très largement son camp politique. Ses idées sont devenues presque plus légitimes que les valeurs républicaines. Il fait noir au pays des Lumières. Ses idées d’intolérance, contraires aux valeurs républicaines d’égalité et de fraternité, ont considérablement essaimé dans le camp occidental et en particulier, avec le retour de Donald TRUMP au pouvoir. Jamais dans l’Histoire la libération d’une parole raciste décomplexée, n’a aussi grande dans ce qu’on appelle les démocraties occidentales.
Les obsèques de Jean-Marie LE PEN, mort auront lieu le samedi 11 janvier 2025 à la Trinité-sur-Mer, sa ville natale, mais ses idées sont plus que jamais vivantes. Aussi, les réactions, contrastées, sont à la mesure de cet événement qu’est sa disparition qui «ne doit pas marquer le début de sa réhabilitation. Jean-Marie Le Pen est le premier à avoir donné une caution politique à l’antisémitisme, au racisme et au négationnisme après la Guerre. Le combat contre ses idées ne s’éteint pas avec la disparition de l’homme qui les a portées», écrit Jonathan ARFI, le président du CRIF. Naturellement, les partisans des forces du Chaos, comme sa fille, Marine LE PEN qui assume son héritage, ont encensé celui parlait de «Durafour crématoire» ou du «point de détail» concernant l’holocauste ; «Beaucoup de gens qu’il aime l’attendent là-haut. Beaucoup de gens qui l’aiment le pleurent ici-bas. Un âge vénérable avait pris le guerrier, mais nous avait rendu notre père. La mort est venue nous le reprendre. Bon vent, bonne mer Papa !», écrit-elle. Les digues étant tombées, le gouvernement redoutant la censure, se montre respectueux «Il a été un acteur de la vie politique pendant 70 ans. Il a eu des propos et actions inacceptables. Mort, même l’ennemi a droit au respect. On est dans une question presque civilisationnelle», estime Sophie PRIMAS, porte-parole du gouvernement. Le président MACRON, très prudent, renvoie «au jugement de l’Histoire». Le message de François BAYROU, le Premier ministre, élogieux, a semé un grave trouble «Au-delà des polémiques qui étaient son arme préférée et des affrontements nécessaires sur le fond, JM Le Pen aura été une figure de la vie politique française. On savait, en le combattant, quel combattant il était», écrit François BAYROU, dont le gouvernement reste sous la menace d’une censure du RN. Dans cette période de perte de sens et de défaite des valeurs républicaines, les forces du Chaos triomphantes n’ont pas pris de gants, et ont fait l’éloge de l’intolérance. «C’était un animal politique et médiatique. il a marqué une partie de l’imaginaire politique ; il avait vraiment une culture impressionnante. C’est un menhir», dit Sonia MABROUK, de CNews, de la chaine de Vincent BOLLORÉ. «Aujourd’hui, il apparaît davantage comme un lanceur d’alerte qu’il a été, plutôt qu’associé à des déclarations scandaleuses. Les thèmes qu’il a portés de manière courageuse [sur l’immigration] et qui se sont imposés», dit Jérôme SAINTE-MARIE. Jean-Marie LE PEN a réussi la dédiabolisation des idées fascistes, «aujourd’hui, le super-méchant est à l’extrême gauche», dit Céline PINA.
Des militants de gauche ont organisé, dans certaines villes, des défilés, «pour fêter» la mort de Jean-Marie LE PEN, en raison de ses prises de parole indignes et empreintes de racisme, d’homophobie et d’antisémitisme. «Le respect de la dignité des morts et du chagrin de leurs proches n’efface pas le droit de juger leurs actes. Ceux de Jean-Marie Le Pen restent insupportables. Le combat contre l’homme est fini. Celui contre la haine, le racisme, l’islamophobie et l’antisémitisme qu’il a répandus, continue», a écrit M. Jean-Luc MELENCHON, de la France Insoumise.
La victoire idéologique de Jean-Marie LE PEN est beaucoup importante qu’on ne le croit. Depuis des siècles, deux forces s’affrontent, l’Harmonie et le Mal, la République et la Royauté, le Progrès et le Conservatisme. Jadis, les huguenots, notamment à la Saint-Barthélemy, les Juifs n’étaient pas Français jusqu’au décret Crémieux, les colonisés africains n’ont acquis la nationalité française qu’à compter de la loi Lamine GUEYE. Les ligues factieuses, comme auparavant MAC-MAHON avait failli renverser la République et l’Occupation, dans la bassesse de sa Collaboration a fini par perdre. Aucune de ces tendances conservatrices, même gravement menaçantes n’avait pu mettre par terre définitivement la République. Il faut dire que Jean-Marie LE PEN, pourtant combatif, depuis ses tortures lors de la Guerre d’Algérie, en passant par différentes conquêtes, son mouvement étant depuis 2002 constamment au deuxième tour des présidentielles, n’avait compris, et tant mieux pour la démocratie, il faut dans un système électoral uninominal à deux tours, des alliés. Ses calembours nauséabonds, comme son refus de rechercher toute acceptation minimale de légitimation, et surtout la platitude de ses propositions économiques, l’avaient conduit au mur.
Cependant, son entreprise familiale, gérée par sa fille, est devenue redoutable. Sous Jean-Marie LE PEN, les mairies frontistes avaient mal été gérées. Marine LE PEN s’est attachée à professionnaliser ses élus locaux, et surtout éviter tout propos antisémite. Son alliance avec Eric CIOTTI a dynamité la Droite, qui n’a plus de républicaine que de nom. On peut dire que le RN, devenu presque rassurant, est la première force politique de France à la suite de dissolution à la Chirac du 9 juin 2024 du président Emmanuel MACRON, de la censure du gouvernement de Michel BARNIER, et de celle François BAYROU qui va suivre. Les municipales de 2026, placées avant les présidentielles de 2027, seront un grand moment de vérité.
C’est pourtant bien les militants du RN qui ont jeté Brahima BOUARRAM, le 1er mai 1995, à la Seine, à Paris. Ce sont les mêmes qui avaient assassiné un colleur d’affiches à Marseille ; Ibrahim ALI, âgé de 17 ans, a été tué le 21 février 1995, par un colleur d’affiches du Front national, Robert LAGIER. Pour Serge KLASFELD, décoré par une mairie frontiste, le chasseur de nazi, affirme le RN aurait « évolué ». L’extrême droite, non seulement a séduit une bonne partie de la communauté juive en allant marcher avec elle lors de l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, en instrumentalisant l’islamophobie, mais a aussi réussi à conquérir les voix des Antillais, sur le terrain du droit du sol et de l’immigration, en considérant que les Africains auraient dégradé leur condition de Français. Marine LE PEN est allée, tout récemment à Mayotte. Jean-Marie LE PEN aura-t-il droit à des funérailles nationales afin que le gouvernement de BAYROU puisse échapper à la censure ?
Plus sérieusement, depuis cette dissolution hasardeuse du 9 juin 2024, la composition de chaque gouvernement est concocté pour plaire au RN. L’Algérie avait sombré dans une guerre civile à la suite de la victoire du FILS. En France, on estime, comme à la veille de 1940, rien ne peut arriver de dommageable à la France républicaine. Dans cette victoire du populisme, lors de ses vœux du 31 décembre 2024, à la Nation, le président Emmanuel MACRON, n’a pas écarté l’idée de faire recours au référendum. On pense à la question de l’immigration et au droit du sol. Dans une grande bassesse, comme en 1940, les attentats contre les racisés pleuvent : les déchéances de nationalité, le refus des préfectures d’accorder des rendez-vous aux personnes en situation régulière, pour les faire basculer dans l’illégalité, l’expulsion vers des pays tiers dont ils n’ont pas la nationalité. D’autres projets fusent pour plaire au RN : la suppression de l’aide médicale, comme l’aide juridictionnelle en fait perçue par les avocats pour les obligations de quitter le territoire, des perspectives de tests de français renforcés en vue de l’obtention d’une carte de résident, etc. «Marine Le Pen sourit. Le nouveau visage du Front national, c’est le sien. Ce sourire masque une ambition folle : arriver au pouvoir, en brisant la droite et en prenant sa place. La diabolisation a vécu», écrit Romain ROSSO.
Qui était donc Jean-Marie LE PEN, dont l’héritage est très lourd en matière d’atteintes graves au principe d’égalité, de non-discrimination ?
«Mes grands-parents ne savaient pas lire, mais surent donner une vie décente à leurs enfants. Ma paysanne de mère était élégante et fière, mon père, patron pêcheur taciturne, avait navigué pendant la Grande Guerre, à treize ans, mousse sur un cap-hornier, ces cathédrales de toile et de bois qui affrontaient les quarantièmes rugissants. À la maison, il n’y avait pas l’eau courante, mais on aimait sa famille, son pays et Dieu – et la Bretagne aussi, avec ses îles, ses navires. L’instituteur et le curé nous apprenaient à les chanter ensemble. En somme, j’étais un petit Breton heureux dans la grande France. Le père est mort, la France était blessée, des curés m’ont dégoûté de Dieu. Le petit Breton avait grandi, la France a rapetissé. Pour la relever, j’ai choisi le combat politique», écrit Jean-Marie LE PEN, dans le tome I de ses mémoires.
Jean-Marie LE PEN est né le 20 juin 1928 à La Trinité-sur-Mer, dans le Morbihan. Fils de Jean LE PEN (1901-1942) et d’Anne-Marie HERVE (1904-1965), il est un ancien responsable de la Corporation des étudiants en droit. En 1953, il s’engage pour la guerre coloniale en Indochine, en qualité de sous-lieutenant au premier bataillon étranger de parachutistes. De retour en France, il devient est secrétaire général de l’Union de la défense de la jeunesse française de Pierre POUJADE (1920-2003), un syndicaliste d’extrême droite, défendant les artisans et commerçants, qui seraient menacés par la grande distribution. En janvier 1956, il est élu député poujadiste de Paris. En septembre 1956, il s’engage dans le premier régiment parachutiste en Algérie et fonde en août 1957, le Front national des combattants et se serait livré à des actes de tortures, suivant Fabrice RICEPUTI. Auparavant, Pierre VIDAL-NAQUET (1930-2006), un historien, avait fait état d’un rapport du commissaire principal d’Alger René GILLE, selon lequel un Algérien, Abdennour YAHIAOUI, 17 ans, lui affirma avoir été, en février 1957, torturé à l’électricité et à l’eau et aussi fouetté au nerf de bœuf sur ordre et en présence du lieutenant LE PEN. En 1958, réélu député de Paris, apparenté au Centre national des indépendants et des paysans, il se bat à fond, pour l’Algérie française. En 1962, battu aux législatives, il fonde, en 1963, avec ses amis Pierre DURAND (1933-1994) et Léon GAULTIER (1915-1997), un ancien Waffen SS, la Société d’études et de relations publiques) début 1963. Lors de la présidentielle de 1965, Jean-Marie LE PEN, directeur de campagne électorale de Jean-Louis TIXIER-VIGNACOUR (1907-1989), un avocat et ancien secrétaire général à l’information de 1940 à 1941 sous Vichy. Après cet échec, le RN n’avait pas, jusqu’aux municipales de 1983, à Dreux, avec Jean-Pierre STIRBOIS (1945-1988), pu franchir la barre des 1% ; il a brisé le plafond de verre en obtenant 17%.
C’est François MITTERRAND qui a reçu à l’Élysée, Jean-Marie LE PEN, et l’a fait inviter, pour la première fois à la télévision, le 13 février 1984, chez Antenne 2, pour «casser la droite»,. La Gauche ayant rétabli la proportionnelle, en 1986, le RN obtient 34 députés et en 1987, Jean-Marie LE PEN qualifie les chambres à gaz de «point de détail de l’histoire de la Deuxième guerre mondiale». Il obtient 14,4% des voix à la présidentielle de 1988 et 15% en 1988, mais il est lâché par Bruno MAIGRET. C’est aucun doute, en 2002, que Jean-Marie LE PEN, qualifié au deuxième des présidentielles, Lionel JOSPIN étant éliminé au premier tour, que la donne politique a considérablement changé.
Jean-Marie LE PEN, disparu le 7 janvier 2025, mais ses idées sont plus que jamais vivaces. Il avait épousé, en 1960, Pierrette LALANNE qui a lui a donné trois filles : Marie-Caroline, Yann et Marine. Le couple a divorcé en 1987. Jean-Marie LE PEN a été marié une seconde fois en 1991, à Jany PASCHOS. Il est le grand-père de Marion MARECHAL-LE PEN, et le parrain de l’une des filles de l’humoriste, Dieudonné. Marine LE PEN, a repris le parti en 2011 et en a exclu son père. Après une période tumultueuse, ils se sont réconciliés. Dans la progression du Front national rebaptisé Rassemblement national, Marine LE PEN, sans abandonner les idées de son père, recherche la respectabilité, à rassurer, en évitant les dérapages verbaux, en vue de conquérir le pouvoir. Ce toilettage, ce cosmétique, sans renier l’intolérance au cœur de son projet politique, lui a, pour l’instant, réussi : «Le Pen, ça l’est autrement avec Marine Le Pen. La présidente du FN ne correspond pas à la caricature d’extrême droite que le vieux leader incarnait et se plaisait parfois à interpréter en multipliant outrances et provocations. Ces dernières années, la fille du chef a plutôt bravé les préjugés et la culture de la paranoïa des caciques du Front, en conseillant de ménager les journalistes. Un travail médiatique de longue haleine dont elle a tiré des bénéfices pendant la bataille de la succession, en rejetant les extrémistes du côté des partisans de Bruno Gollnisch», écrit Romain ROSSO, dans «La face cachée de Marine Le Pen».
Dans cette période sombre, après avoir célébré le Bicentenaire de la Déclaration des droits de l’Homme, mais aussi ce magnifique centenaire des JO de Paris, comment en est-on arrivé là ?
«Comprendre, c’est en distinguer et donc résister aux amalgames simplificateurs», écrit Pierre ROSANVALLON. Les partis de gauche (Mitterrand, Hollande), comme de droite (Sarkozy, Rotailleau, Fillon, Darmanin, Pécresse, Ciotti, de Villiers) comme en particulier la Macronie, ont une lourde responsabilité dans cette grave défaite de la pensée et des valeurs républicaines.
Les électeurs, en juin 2024, ont montré que les républicains peuvent encore faire barrage aux fachos. Les racisés, en particulier, au centre de la tension, devraient mobilisés et vigilants. «Je refuse de désespérer, parce que désespérer, c’est refuser la vie. Il faut garder la foi», dit Aimé CESAIRE.
Références bibliographiques
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RICEPUTI (Fabrice), Le Pen et la torture, Alger 1957, l’histoire contre l’oubli, Paris, Le Passager clandestin, en partenariat avec Médiapart, 2023, 144 pages ;
ROSANVALLON (Pierre), Le siècle du populisme : histoire, théorie, critique, Paris, Seuil, 2020, 288 pages ;
ROSSO (Romain), La face cachée de Marine Le Pen, Paris, Flammarion enquête, 2011, 300 pages ;
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Paris, le 7 janvier 2025, par Amadou Bal BA