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«Jean-Baptiste ANDREA, prix Goncourt 2023 pour son roman « Veiller sur elle ». Un roman de vision du monde, pour répandre la joie, la lumière, contre la noirceur, le Chaos» par Amadou Bal BA

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Après le Sénégalais, Mohamed M’Bougar SARR, un des plus grands succès littéraires, en vente de livres, de ces 20 dernières années (voir mes articles sur Médiapart, 28 octobre 2021 et 7 novembre 2021) et bien sûr Mme Brigitte GIRAUD, pour son roman, « Vivre Vite », (Voir mon article, Médiapart, 15 novembre 2022), c’est finalement Jean-Baptiste ANDREA, né le 4 avril 1971, à Saint-Germain-en-Laye, dans les Yvelines, en région parisienne, au 14ème tour, qui a remporté le prix Goncourt 2023, pour son roman «Veiller sur elle». De parents pieds-noirs ayant vécu en Algérie, italien, grec et turc par sa mère, espagnol des Baléares par son père, Jean-Baptiste ANDREA a grandi à Cannes. Après son bac mention très bien, Jean-Baptiste ANDREA a fréquenté l’institut Stanislas, un établissement privé catholique préparant aux grandes écoles. Il est diplômé de l’institut d’études politiques à Paris.

Passionné de cinéma, de peinture et de sculpture, Jean-Baptiste ANDREA, un grand amoureux des mots, est également habité par une ambition littéraire. En effet, après 20 ans de cinéma, et 14 refus d’éditeurs, il a été finalement accepté chez l’Iconoclaste, une maison d’édition, à la rue Jacob, à Paris 6ème, fondée, en 1997, par Sophie de SIVRET (16 juin 1958-31 mai 2023) : «Être Iconoclaste aujourd’hui, c’est choisir la beauté, le sens, une qualité d’être, face au chaos du monde», dit l’éditrice, disparue cette année. Pour Sophie de SIVRY, qui a déjà publié de grands noms (Christian BOBIN et Tahar BEN JELLOUN), Jean-Baptiste ANDREA est un auteur sorti des sentiers battus, créant la surprise, avec une vision du monde.

Jean-Baptiste ANDREA, grand admirateur d’Alexandre DUMAS (Voir mon article Médiapart, 11 août 2021), un maître du roman populaire, a une vision cinématographique du roman ; ce Goncourt est une œuvre fédératrice : «J’ai presque l’impression, de nos jours, qu’on a laissé au cinéma la prérogative de raconter des histoires ; comme s’il y avait quelque chose de vulgaire de raconter des histoires et que, forcément, cela exclurait la profondeur. Et moi, je crois tout à fait que l’on peut être populaire, mais aussi profond, et donner des niveaux de lecture différents à plusieurs générations, à plusieurs classes de lecteurs. C’est ça, pour moi, un roman», dit-il. Jeune, il avait lu «Martin Eden» de Jack LONDON, un personnage parti de rien, pour devenir finalement un grand écrivain reconnu et admiré. Il n’y a rien de plus puissant que l’art pour révéler quelqu’un et le sortir de sa condition. Jean-Baptiste ANDREA choisit, comme ses personnages toujours confrontés à des défis colossaux, parfois inaccessibles, de ne pas abdiquer, pour devenir écrivain de renom et se hisser au sommet : «J’ai connu beaucoup de gens très talentueux, qui ont malheureusement arrêté, renoncé à leur art, par lassitude, par manque de volonté. C’est terrible. Personnellement, j’ai envie de célébrer la naïveté, d’où le recours à l’enfance dans mes livres, en tant que puissance créatrice. Ce sont des êtres pour qui tout est possible», dit Jean-Baptiste ANDREA, prix Goncourt 2023.

Divers et riches thèmes structurent la contribution littéraire de Jean-Baptiste ANDREA, un auteur optimiste, d’une grande et immense espérance contre les ténèbres et le Chaos, l’amour, la vie, la mort, la jalousie, l’initiation par un passeur et l’enfance martyrisée, mais aussi le dépassement de soi, l’initiation, la littérature, comme sources d’inspiration et de sortie de sa condition. Aussi, l’auteur célèbre la lumière, la joie, le droit à la différence et la tolérance. En particulier, ayant le culte des arts, Jean-Baptiste ANDREA estime qu’un livre doit être sculpté, affiné et simplifié, et en dépit de son volume de 540 pages, son prix Goncourt, «Veiller sur la nuit», est un roman bien fluide et agréable à lire. Appréciant la sculpture, il estime que c’est un art d’écrire ; plus on avance, plus on purifie son geste : «Un musicien, un sculpteur, un peintre font exactement le même métier», dit Jean-Baptiste ANDREA.

Prix FNAC et Prix Goncourt, le roman de Jean-Baptiste ANDREA, «Veiller sur elle», publié chez l’Iconoclaste, relate l’histoire d’un jeune homme, Mimo, séparé de sa mère qui l’envoie en Italie, un pays envahi par le fascisme. C’est une dénonciation de la folie, de la tyrannie, de toute abdication à l’intelligence humaine et de notre sens critique. En effet, les romans de Jean-Baptiste ANDREA, illuminés par l’espérance, rejettent la sinistrose, la peur de l’autre, la noirceur, la violence ou le Chaos ; en effet, l’auteur plaide pour la joie, la Lumière, afin que le Bien souverain puisse jaillir en chacun d’entre nous, en ces temps sombres. «Sachant que la nuit advient, il ne faudrait pas ignorer la noirceur» dit-il. Cependant, «n’ayez pas peur, entrez dans l’Espérance», avait dit, fort justement, le Pape, Jean-Paul II.

Passeur, inspiré par l’art, l’idée de son Goncourt, «Veiller sur elle», est inspirée de l’image de la statue filmée de Paolo SARENTINO, par une association d’idées à l’image de la Piera, après des «Diables et des saints, je ne savais pas si j’écrirai encore un autre roman ; car, pour moi, chaque livre est une œuvre d’art ; ce crucifix a déclenché cette histoire», dit Jean-Baptiste ANDREA. Ce roman historique, s’étendant entre 1914 et 1986, est le récit des quarante dernières années de la vie d’un sculpteur de génie, sur son lit de mort, se remémorant les peines et les joies de son existence. Il replonge dans son enfance, dans l’atelier de son oncle sculpteur. «Sculpter, c’est très simple ; c’est juste enlever les couches d’histoires, d’anecdotes qui sont inutiles jusqu’à atteindre l’histoire qui nous concerne tous, toi et moi, et cette ville, et le pays entier, l’histoire qu’on ne peut plus réduire sans l’endommager. C’est là qu’il faut s’arrêter de frapper», écrit-il. Ce n’est ni un conte, ni une fable, mais un roman «Moi, j’écris la réalité, une forme de réalité ; j’aime la magie du quotidien qui est juste sous la surface ; c’est peut-être ce qui produit cet effet onirique ou légèrement décalé», dit Jean-Baptiste ANDREA.

Le héros du roman, Michelangelo Vitaliani, dit «Mimo», un homme maladroit et plein de défauts, est confié à un sculpteur de pierres, un oncle fortement alcoolisé. Ambitieux et talentueux, mais peu cultivé, Mimo convoite la belle aristocrate et riche héritière, Viola Orsini, une fille presque surnaturelle, fantasque, causant avec les morts et rêveuse. La rencontre entre Mimo et Viola, une merveilleuse histoire comme un conte de fées, est fortuite : Viola s’intéresse à Mimo comme un ignorant ; elle joue à lui donner des livres à lire, une sorte de transmission, comme une pisseuse, pour le faire sortir de sa condition : «Je suis devenu écrivain, parce qu’il y a, pour moi, une transmission par le livre ; parce que les livres m’ont transporté dans d’autres mondes», dit Jean-Baptiste ANDREA. Une relation intense, mais platonique ; ils sont issus de deux mondes diamétralement différents. Mimo, intelligent, en dépit du fait que tout l’oppose à Viola, aspire à ce que ce tandem se reconnaît, s’aime, et parfois se chamaille. Finalement, il se produit entre Mimo et Viola, emmuré chacun dans sa condition, la volonté de s’en échapper, mais ensemble, de se dépasser «Quand on est enfermé en soi, il est important d’avoir une personne de confiance qui est une figure de passeur» dit Jean-Baptiste ANDREA.

Ce prix Goncourt, en temps où la haine est célébrée par les forces du Chaos, est un puissant éloge du droit à la différence et de la tolérance. En effet, Mimo, né pauvre, atteint de nanisme, tout petit, nabot, ne grandit pas. Cependant, ce handicap n’est pas un frein ; en dépit des quolibets, du dénuement, de la violence, Mimo a soif de revanche sur la vie ; il deviendra le plus grand sculpteur. Un prix Goncourt de fougue, d’éclats, de grâce, de beauté et de poésie. Quand on veut, on peut ; il n’y a pas de limites à nos rêves, même apparemment les plus inaccessibles.

Jean-Baptiste ANDREA, un Français aux identités multiples, n’a pas oublié le pays de ses ancêtres ; il revendique haut et fort, son multiculturalisme. En effet, l’Italie est bien présente dans ses romans : «L’Italie est le pays de mes ancêtres. Ma grand-mère est arrivée en France très jeune (vers 1930). Comme il y a eu des émeutes raciales contre les Italiens à la fin du XIXème siècle ; il y a eu même des morts, les Italiens voulaient faire oublier qu’ils étaient des Italiens. J’ai eu envie de réécrire sur ce pays, dont j’ai été coupé ; ce qui me fait fantasmer», dit-il. En ces temps troublés, par la montée des forces du Chaos ailleurs et en France, les romans de Jean-Baptiste ANDREA ont une dimension historique et politique ; ils dénoncent le Mal et célèbrent le Bien-vivre ensemble : «Ce qui permet Mussolini d’arriver au pouvoir, c’est une capitulation au quotidien sur de petites choses ; cela veut dire qu’on peut lutter contre chacun d’entre nous», dit-il. Son prix Goncourt est donc un rejet de la tyrannie, mais aussi de la misogynie.

«Des diables et des saints», son troisième roman, est récompensé en 2021 du Grand Prix RTL et du Prix Ouest-France/Étonnants voyageurs. Le héros du roman, aux doigts d’or, joue divinement bien du Beethoven dans les gares ; artiste invisible, mais doué, le public l’entend, mais passe sans le voir. Personnage à la marge, issu d’un orphelinat lugubre, il attend sa revanche sur la vie, pour être le centre de toutes les attentions. C’est un roman initiatique inspiré de la confession d’un homme qui lui a raconté l’histoire de son enfance malheureuse dans un orphelinat. Le déclic, qui fera débuter l’écriture du roman, c’est quand l’auteur entendra quelqu’un jouer du Beethoven dans une gare à Clermont-Ferrand. Un roman sombre, mais le récit se termine par une belle histoire d’amour.

«Des diables et des saints», c’est donc une histoire vraie au départ, mais devenue par la suite une création romanesque. Le héros du livre, Joe ou Joseph, quand il n’avait que 16 ans, ses parents et sa sœur disparaissent tragiquement dans un accident d’avion. Joe est recueilli dans un orphelinat vétuste, aux confins des Pyrénées. Une institution dirigée par un curé au cœur sec, cruel, exposant ses pensionnaires aux châtiments corporels, à la malnutrition et à l’isolement. Ce religieux, dans ses basses besognes, est assisté d’un légionnaire, un cerbère : les jeux sont interdits. S’agissant d’un roman initiatique, l’enfance est pleine de douleurs et de révolte ou de tentation de fugue ; cependant, la souffrance, il y a la rédemption. Dans son optimisme, les héros de Jean-Baptiste ANDREA finissent par vaincre les obstacles paraissant au départ insurmontables. En effet, Joe va s’extirper de la solitude et la transformer en création. Jadis berger sans troupeau, Joe doit enseigner, tous les samedis, le piano à Rose, dont les parents très aisés sont de généreux donateurs à ce sinistre orphelinat. Une histoire d’amour ne faisant que débuter.

Dans «Ma Reine», son premier roman est récompensé, en 2017, du Prix Femina des lycéens, du Prix Alain-Fournier et du Prix Jacqueline de ROMILLY. Dans ce roman, le personnage Shell, du haut de ses douze ans, s’enfuit d’une station d’essence où il a grandi avec ses parents. Shell est présenté parfois comme un maladroit, blessant, bourru, bête, empoté ou désespérant : «Mais, je ne suis pas un mauvais bougre. J’ai de la gentillesse», dit-il. En effet, Shell est exclu de l’école, parce qu’il est différent des autres ; sa tête ne se développe pas aussi vite que son corps. Shell reconnaît les difficultés qu’il rencontre : «Quand je voulais dire quelque chose d’immense ça finissait toujours petit. (…). Je n’arrive pas à compter, et quand je veux écrire, toutes les lettres se mélangent, s’emberlificotent dans mon bras et sortent comme un nid de spaghetti au bout de ma plume», dit Shell. Cependant, Shell réclame de la tolérance et la compréhension des autres. eux aussi, non-exempts de défauts. La perfection n’est point de ce bas monde : «Ma tête, tout au contraire, était grande, bien plus que celle des autres. C’était le monde qui était trop petit, je ne voyais pas comment on pouvait faire rentrer quelque chose de plus grand, dans quelque chose de plus petit», dit-il. Et Shell ajoute : «Ce matin-là, j’ai compris quelque chose d’important. J’étais bizarre. Mais finalement, tout le monde était comme moi ; les autres aussi étaient leurs Malocchio, leurs cauchemars et leurs Macrets à eux ; ils se donnent juste d’autres noms», dit-il. Aussi devant ce mur d’incompréhension, Shell quitte la station d’essence de ses parents, avec un fusil, pour aller faire la guerre, mais où et laquelle ?

En définitive, Shell est l’incarnation d’un enfant tué en chacun de nous, forcé de grandir, plein d’innocence, de fraîcheur, de rêves de paix et de solitude. Une fille fantasque, Viviane, vient à sa rencontre : «Grâce à Viviane, j’étais devenu immense. J’avais touché le ciel d’une main et la terre de l’autre. Le monde avait retrouvé sa Reine ; c’est grâce à moi», s’écrit-il.

Dans «Cent millions d’années, un jour», son deuxième roman, le héros, Stan, un paléontologue, entre la France et l’Italie, convoque d’autres scientifiques, pour retrouver un monstre, peut-être dormant dans la glace. C’est un roman de folie, de recherche de gloire, mais poétique et d’espérance. En effet, Stan veut fuir la grisaille de sa vie quotidienne, son existence misérable de taupe, pour transformer sa vie morne et insipide en un feu d’artifice, en raison des blessures de l’enfance qui n’ont pas encore guéri. «Si nous ne sommes pas capables de croire à une histoire, parce qu’elle est belle, à quoi faire ce métier», s’interroge Jean-Baptiste ANDREA.

Références bibliographiques

ANDREA (Jean-Baptiste), Veiller sur elle, Paris, L’Iconoclaste, 2023, 580 pages, au prix de 22,50 euros ;

ANDREA (Jean-Baptiste), Cent millions d’années, un jour, Paris, L’Iconoclaste, 2019, 310 pages ;

ANDREA (Jean-Baptiste), Des diables et des saints, Paris, L’Iconoclaste, 2021, 219 pages ;

ANDREA (Jean-Baptiste), Ma Reine, Paris, Gallimard, 2019, 224 pages.

Istanbul, le 7 novembre 2023, par Amadou Bal BA – http://baamadou.over-blog.fr/

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