«Jacques CHEVRIER (1934-2023), professeur émérite à la Sorbonne, écrivain, ami de l’Afrique et du Sénégal» par Amadou Bal BA –
Professeur émérite et Directeur du Centre international d’études à la Sorbonne, président de l’association des écrivains de langue française, vice-président du cercle Richelieu-Senghor, consultant de l’UNESCO, Jacques CHEVRIER qui nous a quittés le 29 août 2023, est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’Afrique ; il a dirigé 62 thèses, notamment sur la réception de l’œuvre de KATEB Yacine, le projet colonial au Maghreb, les Noirs dans les textes maghrébins, l’altérité chez Mongo BETI, Joseph ZOBEL et Toni MORRISON, Sony LABOU TANSI, la littérature engagée d’Afrique de l’Ouest, l’œuvre poétique de SENGHOR, le roman gabonais, etc. L’Afrique a été absente pendant des siècles du champ littéraire occidental, et en particulier, dans les universités françaises et n’était appréhendée qu’à travers des récits de voyageurs, d’administrateurs coloniaux, de missionnaires, sous un aspect folkloriste ou désobligeant, oscillant entre une Afrique paradisiaque ou infernale. «Je suis moins optimiste que vous sur l’évolution des centres d’études francophones en France. Même l’avenir de celui que j’ai dirigé à la Sorbonne, le centre d’études francophones de Paris IV ne me semble pas particulièrement bien assuré. Il y a toujours des réticences, des résistances, la bataille n’est pas gagnée. Je trouve dommage qu’au niveau universitaire les centres ne soient pas plus nombreux. Ils ont rencontré des difficultés, on les a vus péricliter et certains ont même disparu pour une raison simple c’est qu’en France on aime bien que les choses soient officielles. Or officiellement, à ma connaissance, Il y a deux centres d’études universitaires à la Sorbonne et à Strasbourg» dit Jacques CHEVRIER. En effet, le professeur CHEVRIER a toujours étudié, défendu, avec un intérêt, une passion et une grande opiniâtreté jamais démentis, toutes les richesses des cultures ancestrales africaines, en cette période de montée dangereuse des forces du Chaos. Le professeur Jacques CHEVRIER aura donc contribué, par ses écrits et divers combats, à revaloriser la littérature et l’histoire africaine et sa contribution plus que déterminante dans le développement en France des études francophones, et il a été un précurseur de la diffusion et de l’étude des littératures africaines, à l’université et dans le monde de l’édition. «Quand j’ai commencé à travailler là-dessus, rares étaient les personnes qui s’intéressaient à l’Afrique dans cette dimension littéraire, toutes les œuvres qui s’y produisaient étaient assimilées à de l’anthropologie ou de la sociologie. J’ai voulu à travers mon livre Littérature nègre et toute une série d’ouvrages qui ont suivi, accréditer l’idée qu’il y avait une littéraire noire. J’ai durement bataillé pour introduire cette littérature francophone dans l’université française. Ça s’est passé à Rouen au lendemain des évènements de 1968. J’ai profité de ce climat de révolte culturelle pour bousculer les habitudes universitaires, créer le département et proposer aux étudiants une introduction aux littératures francophones. Je l’ai fait en dépit des réticences de certains de mes collègues. C’est le premier combat que j’ai gagné. Pour le plus grand public, la réception a été lente et progressive. Les choses ont assez évolué il faut dire» dit Jacques CHEVRIER.
Dans son histoire familiale, rien ne prédisposait Jacques CHEVRIER à s’engager pour les causes de la culture et de la littérature africaines. En effet, né le 22 août 1934, à Rueil-Malmaison, une proche banlieue parisienne, dans les Hauts-de-Seine, Jacques CHEVRIER passe une partie de son enfance à Saint-Brieuc, en Bretagne, chez ses grands-parents maternels. En 1948, son père, un fonctionnaire à Electricité de France, est affecté à Limoges. En juin 1951, il passe le concours de l’école normale de Limoges, département de la Haute-Vienne, mais ayant choisi l’option «philosophie», en 1952, il est affecté à Poitiers, département de la Vienne, et y passe en juin 1954, son deuxième baccalauréat. En 1957, il rejoint l’’école normale supérieure de Saint-Cloud, dans les Hauts-de-Seine, en région parisienne, et obtient, 1961, son agrégation de Lettres modernes, une période critique de la guerre d’Algérie, cause de son engagement anticolonialiste. En 1963, Jacques CHEVRIER est affecté au lycée d’Etat de Châlons-sur-Marne (département de la Marne) ; en 1964, il rejoint l’annexe du Lycée Henri IV, à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) dans la région parisienne, ville où sont nées ses trois premières filles. Militant de la Nouvelle Gauche, dans sa jeunesse, Jacques CHEVRIER, un anticolonialiste résolu, découvre l’Afrique à travers l’Association pour les stages et l’accueil des techniciens d’Outre-mer (ASTOM), du Ministère de la coopération, dont le but est d’orienter et former les futurs cadres africains. Jacques CHEVRIER occupera, de 1967 à 1971, un poste d’assistant en littérature comparée à Rouen, et met en programme des auteurs noirs (Aimé CESAIRE, Cheikh Hamidou KANE) et poursuit les fonctions de maître-assistant et de maître de conférences de 1971 à 1995, à l’université de Paris XII (Val-de-Marne) et devient professeur titulaire à la Sorbonne à partir de 1996. C’est pendant cette époque qu’il rencontre l’écrivain, poète et dramaturge, Jean Félix Tchicaya U TAM’SI (1931-1988) qui lui ouvre les portes de l’Afrique. Lors d’une visite à l’UNESCO au bureau de Tchicaya, Jacques FEVRIER a l’opportunité de devenir consultant pour la future université du Mali, pays dans lequel il va rencontrer Amari DIARRA, le maître-chasseur du Bélédougou, cercle de Kolokani, dans le centre du pays, avec sa tradition orale.
Dans les ambiguïtés et les servitudes du colonialisme, pendant longtemps la littérature en Afrique est le fait d’auteurs européens en mal d’exotisme, «venus puiser, sans vergogne, le pittoresque et la couleur locale réclamés par un public avide de sensations fortes» écrit Jacque CHEVIER dans «Littérature nègre». En effet, «nous étions plongés dans une sorte de désespoir, de panique. L’horizon était bouché. Nulle réforme en perspective, et les colonisateurs légitimaient notre dépendance politique encouragée par la théorie de la «table rase» ; nous n’aurions rien inventé, rien créé, rien sculpté, ni peint, ni chanté. Des danseurs ! Et, encore !» dit Léopold Sédar SENGHOR. Après avoir dénoncé les servitudes de la société coloniale, les écrivains se sont attachés à l’analyse des conflits de cultures et du malaise engendré par la quête d’une identité problématique, comme l’écrit dans «l’aventure ambiguë», Cheikh Hamidou KANE, ou du conflit entre la tradition et la modernité, comme l’ont souligné Olympe BELY-QUENUM, Seydou BADIAN, dans «Sous l’orage» ou le «sang des masques». En couronnant «Batouala» de René MARAN, les jurés du Prix Goncourt de 1921, «délivraient ipso facto son certificat de baptême à la littérature nègre. René Maran s’attache à montrer l’effet délétère de la colonisation sur la société africaine, aux structures sociales riches et complexes, disloquées au profit d’une organisation essentiellement mue par des mobiles mercantilistes, et dans laquelle les Noirs assujettis ne remplissent qu’une fonction, produire» écrit Jacques FEVRIER dans «Littératures francophones d’Afrique noire». Paul HAZOUME, Fily Dabo SISSOKO et Ousmane Socé DIOP ont valorisé le patrimoine culturel africain et les écrivains noirs de Harlem Renaissance ont accentué ce mouvement. Dans les années 50, fort de son engagement de gauche, il découvre les auteurs de la négritude, comme Léopold Sédar SENGHOR, Aimé CESAIRE, Léon-Gontran DAMAS ou Mongo BETI, dans leur révolte contre l’assimilation, et contre la politique de la table rase du colonialisme, une prise de conscience, une affirmation de l’identité des Noirs. «Je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France» écrit SENGHOR. «En 1960, au terme de près d’un siècle de domination coloniale, le continent africain s’éveille à la liberté et accède enfin à l’indépendance ; mais bien avant cette date balise, le fait littéraire y est déjà largement présent. Quelques années auparavant, en 1956, le Premier Congrès international des écrivains et artistes du monde noir a en effet rassemblé à Paris, réuni à la Sorbonne, le gratin de l’intelligentsia du monde noir. À cette prestigieuse tribune se sont succédé les délégués s’accordent pour revendiquer une «bonne décolonisation», aussi bien sur le plan culturel que politique. Il s’agit, avant toute chose, d’accorder aux «homme de culture», c’est ainsi que se désignent les intellectuels nègres, la place qui leur revient légitimement dans le processus de décolonisation dont l’aboutissement politique est désormais très proche» écrit Jacques CHEVRIER, dans «Quarante ans de littérature africaine». Les écrivains africains, dans un désir d’échapper à l’hégémonie culturelle du colonisateur, dans un souci de retour aux sources afin de renouer avec un glorieux passé constamment délégitimé, voulaient réhabiliter l’image du Nègre ; les racisés sont «les fils aînés du monde» suivant Aimé CESAIRE. «Orphée», par ses lettres de noblesse, est une réponse au racisme colonial affichant le mépris à l’égard du colonisé.
Ces écrivains s’attachent «à valoriser les attitudes héritées du passé. Toutefois, l’univers que décrit Seydou Badian n’a rien à voir avec le mythe du bon sauvage ; car le miel et le caïlcédrat, symboles du bonheur et du malheur de la vie s’y côtoient dans les mêmes proportions qu’ailleurs. La seule différence, c’est qu’ici, les hommes ont su garder intacte la foi ancestrale qui leur permet d’exorciser, le moment venu, les démons de la démesure et restaurer l’union sacrée, l’équilibre menacé» écrit Jacques CHEVRIER. Au contraire du village, on découvre aussi qu’à la ville, incarnation de la modernité, le mensonge, la tricherie et la corruption ont supplanté les valeurs traditionnelles africaines. Certains auteurs s’engagent dans des récits autobiographiques, comme «l’enfant noir» de CAMARA Laye, «Climbié» de Bernard DADIE ou «l’étrange destin de Wangrin» de Amadou Hampâté BA. C’est l’émergence de l’individu, dans une société traditionnelle ne reconnaissant que le groupe, le clan ou la famille. «Les vrais problèmes se situent à un autre niveau ; un double projet anime les intellectuels africains ; d’une part, le besoin de renouveler leur poétique, d’autre part, le souci de mettre en œuvre un langage romantique approprié. L’écriture doit désormais prendre en charge un double désir d’universalisme et d’enracinement dans un territoire aux contours bien délimités» écrit Jacques CHEVRIER.
Compte tenu de cet intérêt particulier et cette considération que Jacques CHEVRIER porte aux colonisés, il a voulu découvrir, sur le terrain, l’Afrique et sa culture. Il a effectué de nombreuses missions en Afrique et a vécu pendant 10 ans, consultant de l’Unesco au Mali. Très engagé, à gauche, et solidaire avec les racisés, Jacques CHEVRIER a exploré et valorisé toutes les facettes riches de la littérature africaine, dans un contexte colonial, de servitude, de soumission et de dépendance, depuis les temps de l’esclavage. Trois thèmes essentiels semblent structurer les œuvres majeures de cette époque : la dénonciation des abus du colonialisme, la contestation du système colonial et enfin l’expression de la révolte souvent accompagnée de la revendication de la négritude. Jacques CHEVRIER découvre les premiers romanciers africains, comme Ferdinand OYONO, «une vie de boy» ou «ville cruelle» de Mongo BETI, qui dénoncent le système colonial, parfois satire ou ironie. Les femmes africaines ont mis du temps à se décoloniser, en 1979, avec «une si longue lettre» de Mariama BA, dénonçant notamment la polygamie : «La poule ne chante pas parmi les coqs !» dit un proverbe africain. Certains écrivains sont dans la radicalité concernant la contestation de l’ordre colonial, comme Alexandre BEYIDI alias Mongo BETI (Voir mon article, Médiapart). En effet, «le roman est un miroir promené le long de la route» écrit Stendhal. Mongo BETI a reproché CAMARA Laye, en pleine lutte pour l’indépendance, d’avoir, avec «l’enfant noir», introduit «une littérature rose», un «pittoresque de Pacotille» et d’avoir négligé la réalité du monde nègre. «Car, la réalité actuelle de l’Afrique noire, sa seule réalité profonde, c’est avant tout la colonisation et ses méfaits… Il s’ensuit qu’écrire sur l’Afrique noire, c’est prendre parti pour ou contre la colonisation. Impossible de sortir de là». Abandonnant la négritude poétique de SENGHOR, de nombreux romanciers africains, se sont engagés dans la contestation de l’ordre colonial. Ousmane SEMBENE, à travers son roman, «les bouts de bois», traitant de la grève des cheminots de 1947-1948, a violemment dénoncé la colonisation faite de racisme, de corruption des chefs traditionnels et de recours à la force brutale contre les grévistes ; c’est aussi un grand moment de fraternité humaine. Dans «le vieux nègre et la médaille» de Ferdinand OYONO, le personnage de Meka, du Sud du Cameroun, venu un 14 juillet, pour la récompense d’une médaille, ses deux de ses fils étant morts à la guerre, est confronté à des malentendus et mésaventures. Brutalisé et maltraité, il perd sa médaille et se retrouve en prison. Le discours officiel du colonisateur est de «civiliser les Africains», mais c’est incontestablement un projet répressif, de domination et d’exploitation.
Dans son livre «l’arbre palabres», Jacques CHEVRIER a salué la richesse du patrimoine oral traditionnel africain composé notamment de contes, épopées, chants et proverbes ou l’Afrique du «Grand parler» suivant Amadou Hampâté BA. Suivant Jacques CHEVRIER, en matière de contes, les mots assonances et allitérations, le recours à la comparaison ou la métaphore, le symbolisme, la parodie ou l’exagération, sont des procédés destinés à frapper l’imagination de l’auteur, afin de mieux retenir son attention. Il a été fortement influencé par Birago DIOP, Bernard DADIE, Amadou Hampâté BA, CAMARA Laye et Geneviève CALAME-GRIAULE. Le système colonial avait une conception réductrice de la civilisation africaine qui serait une société sans écriture. La tradition domine la littérature africaine. Même Léopold Sédar SENGHOR, soupçonné d’être conciliant ou complaisant avec le colonisateur, a tenu à se justifier «La vérité est que j’ai surtout lu, plus exactement écouté, transcris et commenté des poèmes négro-africains. Si l’on veut trouver des maîtres, il serait sage de les chercher du côté de l’Afrique» écrit le président-poète dans «Ethiopiques». SENGHOR a rendu hommage à Marône, la poétesse de Joal, comme à Ngâ, sa nourrice, dont les contes enchantèrent le temps béni du «Royaume d’enfance». Le nigérien Boubou HAMA, comme le malien, Amadou Hampâté BA, ont fait l’apologie de la tradition. Certains auteurs, comme Frantz FANON, appellent à la liquidation de la tradition, un culte du passé. Mais cet amour-répulsion, cette haine et fascination, sont ambigus, comme en témoigne Tiécoura, dans «le Soleil des indépendances», un personnage de KOUROUMA, un violeur et féticheur «Tiécoura, dans la réalité est un bipède effrayant, répugnant et sauvage.» écrit Ahmadou KOUROUMA. L’Africain reste profondément superstitieux et donc attaché à certaines croyances ancestrales. «Le monde entier tient dans l’œuf que la terre désirerait» tel est le symbole et le nom de Béhanzin. «L’homme est la parole de sa bouche» dit un dicton Bambara. La noix de cola est supposée conférer à la parole de la force en s’imprégnant de ses sucs, des qualités de pondération et de maîtrise. Fumer la pipe, n’est pas seulement un plaisir, c’est aussi donner à la parole son maximum de perfection et d’efficacité «La manipulation de la parole, n’est en aucune façon le fruit du hasard, mais fait l’objet de soins constants dans le processus d’éducation et de perfectionnement des individus» écrit Jacques CHEVRIER. Il existe une gamme de spécialistes de la parole : bardes, musiciens, chanteurs, généalogistes, conteurs, griots, etc. Associé à la vie de tous les jours, dans une société essentiellement rurale, l’individu agit et parle dans certains cercles notamment de la famille, du quartier, du village ou à l’occasion de la chasse, des travaux champêtres, à la tombée de la nuit, autour du feu de bois, les corps et les esprits étant en repos ; ce qui favorise le rapprochement des ancêtres disparus avec les vivants. La parole est ainsi diffusée lors des temps forts de la vie du groupe (Naissance, mariage, récoltes, cérémonies festives ou funéraires, etc.). «La parole est comme l’eau du marigot» dit un dicton Mossi ; elle forme un tout et ne peut être divisée ; «Fade est le riz sans sauce, plat le récit sans mensonge, ennuyeux le monde sans griot» dit un dicton Peul.
Dans la cosmogonie africaine, «au commencement du monde était la Parole», dit un dicton Bambara. Le monde animalier introduit des formes de contestation du pouvoir : le lièvre est rusé, calculateur, la tortue représente la sagesse et la pondération, et l’araignée, une figure de vantard, souvent dupe. Pour cette littérature élitaire dominée par les paraboles, le colloque de Niamey de 1967, sous l’égide de l’Unesco, a solidement proclamé l’éminente dignité de la littérature traditionnelle, dans le même temps où il en annonçait le dépérissement «A une civilisation de l’oralité se substitue progressivement une civilisation de l’écriture dont l’émergence est attestée par l’apparition de la littérature négro-africaine de langue française. Partagés entre la réhabilitation, plus ou moins nuancée, de la tradition et de la dénonciation du système colonial, la plupart des romans africains font une place importante à l’autobiographie, réelle ou fictive, dans laquelle prédomine le thème de l’homme de deux mondes dans la littérature africaine» écrit-il dans la «littérature nègre». Robert DELAVIGNETTE, un administrateur colonial progressiste disait en 1946 «Je n’ai fait qu’ouvrir la voie dans l’Afrique rurale qui offre maintenant aux romanciers la richesse de ses caractères, ses superstitions, ses peurs, ses tares inévitables, mais aussi ses danses, ses chants, son génie à la fois sédentaire et migrateur et son pouvoir vital d’aimer» écrit-il dans «les paysans noirs». dan Aussi, Jacques CHEVRIER a créé, en 2004, doté d’une somme de 5000 Francs suisses, le Prix Ahmadou KOUROUMA, décerné chaque année au salon littéraire de Genève. En 1926, il y avait un Grand Prix des Colonies, devenu en 1961, le Grand Prix Littéraire d’Afrique Noire. Jacques CHEVRIER, avec ce Prix Ahmadou KOUROUMA est allé à la découverte de la littérature africaine, à travers une sorte de Prix Goncourt africanisé. En effet, «Le soleil des indépendances» de Ahmadou KOUROUMA a été pour lui une révélation, un roman ayant introduit des termes malinké et une littérature orale dans ses écrits. KOUROUMA est le premier à dire que le Roi est nu, a donc dénoncé l’imposture du système néocolonial ; à la passion de la négritude, succède le temps de la désillusion, du désenchantement des indépendances africaines factices faites de corruption, de violence, de népotisme, de dictature, et de perpétuation de l’Empire colonial. Ahmadou KOUROUMA aussi a introduit dans la littérature africaine une écriture personnelle, celle d’une liberté de ton, une oralité, un roman novateur, c’est le premier texte postcolonial dénonçant l’imposture des indépendances et qui a contribué efficacement, à révolutionner la prose romanesque africaine et à bousculer les sacro-saintes règles du français académique. Afin de réhabiliter les cultures et la parole des colonisés, Jacques CHEVRIER, comme Maryse CONDE, a estimé qu’écrire, c’est indéniablement témoigner et participer du mouvement de cette parole en mutation constante de la tradition orale à sa mise en scène et en crise dans les écritures hégémoniques.
Disparu le 29 août 2023, Jacques CHEVRIER avait quatre filles : Isabelle CHEVRIER, Anne CHEVRIER, Catherine MULLER, née CHEVRIER, et Françoise FRETAS, née CHEVRIER, à qui il a dédié, en 2005, son ouvrage «L’arbre à palabres». Jacques CHEVRIER avait douze petits-enfants. Il a été inhumé, le 4 septembre 2023, au cimetière de Lanhélin, à Mesnil-Roc’h, en Ile et Vilaine, région de Bretagne.
Indications bibliographiques
I – Contributions de Jacques CHEVRIER
CHEVRIER (Jacques) et autres, Autour d’Edouard Glissant : lectures, épreuves ; extension d’une poétique de la relation, Pessac, PUF de Bordeaux, 2022, 367 pages ;
CHEVRIER (Jacques), «Calixthe Beyala, l’Africaine», Francofonia université de Cadiz, janvier-février 1997, n°4, pages 61-70 ;
CHEVRIER (Jacques), «De Boccace à Tchicaya U Tam’Si», Notre Librairie, numéro spécial sur la nouvelle, octobre-décembre 1992, n°111, pages 4-7 ;
CHEVRIER (Jacques), «L’émergence de l’écriture, un écrivain co-fondateur, Camara Laye», Notre Librairie, juillet-septembre 1987, n°88-89, pages 64-73 ;
CHEVRIER (Jacques), «L’histoire du Grand Prix Littéraire d’Afrique Noire», entretien avec Laréus GANGOUEUS et Ralphanie Mawana KONGO, L’Afrique des idées, 4 juin 2014 ;
CHEVRIER (Jacques), «L’image de la mère dans l’œuvre de Calixthe Beyala», Francofonia université de Cadiz, 2002, n°11, pages 13-23 ;
CHEVRIER (Jacques), «L’itinéraire de la contestation en Afrique noire», Le Monde diplomatique, mai 1975, page 24 ;
CHEVRIER (Jacques), «La poule ne chante plus parmi les coqs ! décrète un proverbe», Aux frontières des deux genres, 2003, pages 289-296 ;
CHEVRIER (Jacques), «Le roman africain dans tous ses états», Notre Librairie, janvier-mars 1985, n°78, pages 37-45 ;
CHEVRIER (Jacques), «Les littératures africaines dans le champ de la recherche comparatiste», Précis de littérature comparée, 1989, pages 215-242 ;
CHEVRIER (Jacques), «Les romans coloniaux, paradis ou enfer ?», Notre Librairie, octobre-décembre 1987, n°90, pages 61-72 ;
CHEVRIER (Jacques), «Permanence de la tradition dans la littérature africaine», Notre Librairie, juillet-septembre 1978, n°42-43, pages 77-91 ;
CHEVRIER (Jacques), «Quarante ans de littérature africaine : de la Sorbonne à Barbès», Cahiers de l’association internationale des études africaines, 2007, n°59, pages, 89-95 ;
CHEVRIER (Jacques), «Roman et société en Afrique noire», Production littéraire et situations de contacts interethniques, Nice, Institut d’études et de recherches interethniques et interculturelles, 1974, pages 158-168 ;
CHEVRIER (Jacques), «Sembène Ousmane, écrivain», L’Afrique Littéraire et artistique, 2ème trimestre 1985, n°76, pages 12-16 ;
CHEVRIER (Jacques), 784 proverbes et dictons du poitevins, Paris, Geste, 2019, 180 pages ;
CHEVRIER (Jacques), Anthologie africaine d’expression française, Paris, Hâtier, 2002, tome I, le roman et la nouvelle, 268 pages, tome II, la poésie, 224 pages ;
CHEVRIER (Jacques), Gabriel Okoundji : poète des deux fleuves, Libourne (Pyrénées-Atlantiques), La Cheminante, 2014, 203 pages ;
CHEVRIER (Jacques), GASQUY-RESCH (Yannick), JOUBERT (Jean-Louis), Ecrivains francophones du XXème siècle, Paris, Ellipses, 2001, 208 pages ;
CHEVRIER (Jacques), GOHIER (Christiane), BOUCHARD (Yvon) GROSSMANN, «La construction de l’identité professionnelle de l’enseignant dans le curriculum en formation des maîtres : l’évaluation examinée», Les dossiers des sciences de l’éducation, 2001, n°6, pages 93-104 ;
CHEVRIER (Jacques), Insultes, jurons et gros mots, Paris, Geste, 2004, 149 pages ;
CHEVRIER (Jacques), L’arbre à palabres : essai sur les contes et récits traditionnels Afrique noire, Paris, Hâtier, 2005, 383 pages ;
CHEVRIER (Jacques), La littérature nègre, Afrique, Antilles, Madagascar, Paris, Armand Colin, 2003, 300 pages ;
CHEVRIER (Jacques), Le lecteur d’Afrique, Paris, Champion, 2005, 600 pages ;
CHEVRIER (Jacques), Le Mali, Paris, Larousse, collection beauté du monde, 1980, 580 pages ;
CHEVRIER (Jacques), Le monde noir, Paris, Hâtier, 1996, 159 pages ;
CHEVRIER (Jacques), Le temps et l’éternité, thèse sous la direction de Claude Bruaire, Paris, La Sorbonne, Lille, ARNT, 1981, 105 et 108 pages ;
CHEVRIER (Jacques), Les Blancs vus par les Africains, Lausanne, éditions Favre, 1988, 213 pages ;
CHEVRIER (Jacques), Les grands écrivains d’Afrique noire et de Maghreb, Paris, Jeune Afrique, 1984, 117 pages ;
CHEVRIER (Jacques), Littérature africaine, histoire et grands thèmes, Paris, Hâtier, 1994, 447 pages ;
CHEVRIER (Jacques), Littératures francophones d’Afrique noire, Aix-en-Provence, Edisud, collection les écritures du Sud, 2006, 215 pages ;
CHEVRIER (Jacques), Une vie de Boy, Oyono : analyse critique, Paris, Hâtier, 1977, 79 pages ;
CHEVRIER (Jacques), William Sassine, écrivain de la marginalité, Toronto, éditions du Gref, 1995, 336 pages.
II – Autres références
ANOZIC (Sunday, O.), Sociologie du roman africain, Paris, Aubier, 1970, 268 pages ;
BISANSWA (Justin, K), KAVWAHIREHI (Kasereka), «Liminaire», Savoirs et poétiques du roman francophone, automne 2006, n°82, pages 2-14 ;
CALAME-GRIAULE (Geneviève), La parole des Dogons, Paris, Gallimard, 1965, 589 pages ;
CALAME-GRIAULE (Geneviève), Langages et cultures africaines ; essai d’ethnolinguistique, Paris, François Maspero, 1977, 364 pages ;
CAMARA (Laye), Le maître de la parole : Kouma Lafolo, Paris, Plon, 1978, 315 pages ;
CANA (Franck), «Invité Jacques Chevrier, professeur émérite de la Sorbonne», Ziana TV, la chaîne de la diaspora africaine, série Livres hebdo, 10 octobre 2014, durée 23 minutes et 33 secondes ;
DELAVIGNETTE (Robert), Les paysans noirs, Paris, Stock, 1946, 262 pages ;
DEVESA (Jean-Michel), «L’Afrique à l’identité sans passé d’Alain Mabanckou, d’un continent fantôme à l’autre», Afrique contemporaine, 2012, Vol I, n°241, pages 93-110 ;
DIOP (Papa, Samba), Enseigner le monde noir : Mélanges offerts au professeur Jacques Chevrier, Paris, Maisonneuve et Larose, 2003, 609 pages ;
DIOP (Papa, Samba), Discours nationaliste et identité ethnique à travers le roman sénégalais, Paris, Harmattan, 2003, 190 pages ;
KANE (Mohamadou), Le roman africain et traditions, thèse sous la direction de Roger Mercier, Université Charles de Gaulle, Lille, ARNT, 1979, 826 pages ;
MATLASELO MOLUMELI (Jamary), «Littératures d’Afrique noire, des langues aux livres», Présence Africaine, 1997, Vol 2, n°156, pages 243-248 ;
MOURALIS (Bernard), Littérature et développement : essai sur le statut, la fonction, et la représentation de la littérature négro-africaine, Paris, Silex, 1984, 572 pages ;
MUDIMBE (Vimby, Yoka), Entre les eaux, un prêtre, la révolution, Paris, Présence africaine, 1973, 184 pages ;
N’DIAYE (Christiane), «De l’écrit à l’oral : la transformation des classiques du roman africain, la littérature africaine et ses discours», Etudes françaises, 2001, Vol 37, n°2, pages 45-61 ;
NGUESSAN-LARROUX (Béatrice), «Eléments pour une approche de l’espace dans le roman africain», Littératures, 1993, Vol 28, pages 155-166 ;
SEYDOU (Christiane), Silamaka et Pullori : récit épique peul, raconté par Tindyi, Paris, Armand Colin, 1972, 277 pages ;
SOUBIAS (Pierre), «Ecrire Senghor : les romanciers noirs, héritiers, liquidateurs», L’espace et ses représentations en Afrique, 2004, pages 53-67.
Paris, le 31 août 2023, par Amadou Bal BA – http://baamadou.over-blog.fr/