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Felwine Sarr : « Non, l’Afrique n’est pas sous perfusion »

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L’Afrique contre la pauvreté (3/6). L’économiste sénégalais rappelle que les capitaux rapatriés par les migrants sont supérieurs à l’aide publique au développement et aux investissements étrangers.

Felwine Sarr a peu de goût pour les grand-messes du G7, telles que celle organisée par la France à Biarritz, du samedi 24 au lundi 26 août. Ces enceintes, estime-t-il, renvoient trop souvent l’Afrique à ses défaillances en se gardant bien de creuser les causes réelles qui conduisent le continent à occuper inexorablement la queue des classements établis par les institutions internationales. L’économiste sénégalais ne nie pas les difficultés mais s’interroge sur ce discours compassionnel des grandes puissances qui consiste à ne décrire l’Afrique qu’à travers ses manques.

Les flux de capitaux rapatriés par les migrants africains sont supérieurs à l’aide publique au développement et aux investissements étrangers, rappelle-t-il pour corriger l’idée d’une Afrique « sous perfusion ». Ce sont d’abord les Africains qui aident les Africains. L’auteur d’Afrotopia (éd. Philippe Rey, 2016) juge indispensable que les gouvernements africains s’approprient les politiques de réduction de la pauvreté, aujourd’hui formatées par d’autres.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Felwine Sarr, humaniste et coauteur du rapport sur la restitution du patrimoine africain

La France a placé la réduction des inégalités parmi les priorités du G7. Est-ce une bonne initiative ?

Il est heureux d’être sorti du mythe d’une croissance économique qui apporterait par elle-même le bien-être au plus grand nombre. Pour autant, aborder la question des inégalités uniquement à l’échelle d’un pays me semble très insuffisant. On ne peut ignorer que la répartition inégale des richesses dans le monde est liée aux règles de l’économie globale et du commerce international.

Comment un pays peut-il assurer à sa population l’accès aux services essentiels lorsqu’il lui est impossible de vendre ses matières premières à un prix juste ou lorsque les firmes multinationales présentes sur son sol ne paient pas leurs impôts ? Ne pas parler de ces sujets lorsqu’on prétend vouloir réduire les inégalités ne peut conduire qu’à des discours incantatoires.

N’est-ce pas décharger un peu rapidement les gouvernements africains de leurs responsabilités ?

Il ne s’agit de nier ni les difficultés du continent, ni les responsabilités des gouvernements. Leur mauvaise gouvernance et la corruption sont souvent mises en avant pour justifier la situation. Personne ne dira qu’il ne faut pas davantage de transparence et de meilleure gestion des ressources.

Mais j’appelle à regarder les choses de manière plus globale. Les G7 comme les G20 entretiennent une politique de la compassion : l’Afrique est le continent qu’il faut aider, la dernière frontière obscure de l’humanité, vers laquelle se penchent tous les bons Samaritains. C’est un rapport irrespectueux et hypocrite, car une part des difficultés du continent vient de la relation asymétrique entretenue par les grandes puissances qui pillent les ressources autant qu’elles peuvent.

Et ce sont d’abord les Africains qui aident les Africains. Les transferts de capitaux des migrants sont supérieurs à l’aide publique au développement et aux investissements étrangers. Pourtant, le discours dominant met en avant une Afrique sous perfusion. Les G7 sont d’abord une occasion pour les pays membres du club de réaffirmer leur puissance et leur vision du monde, en donnant des leçons aux autres. Nous devons apprendre à faire un monde commun dans le respect mutuel.

Vous déplorez le regard stigmatisant porté sur l’Afrique…

Les Occidentaux jugent l’Afrique à travers une projection de leurs valeurs et de leur modèle de développement, comme s’il était le seul. Or il est nécessaire de repenser les cadres à travers lesquels les sociétés sont analysées, tout comme leur marche vers ce qu’on appellerait un progrès économique, social, spirituel…

Le modèle développementaliste occidental montre ses limites, notamment en termes d’empreinte écologique, de mise en danger de la biodiversité et du climat. Il est nécessaire de changer les modes de production et de consommation. Cette question nous engage tous, au Nord comme au Sud. Pourtant, on continue à vendre à l’Afrique un vieux schéma et à compter ses pauvres avec un critère monétaire fixé par des institutions internationales.

La lutte contre la pauvreté n’est-elle pas un combat universel ?

La pauvreté est inacceptable et il faut tout faire pour l’éradiquer. Mais cela énoncé, il est important de sortir des modèles standardisés qui n’appréhendent la pauvreté qu’à travers un seuil unique de quelques dollars par jour. Les enquêtes de terrain ont permis de montrer que des individus sans revenus stables mais disposant d’un capital social et d’une richesse relationnelle parvenaient à répondre à leurs besoins, voire à épargner.

Pourtant, l’Afrique occupe toujours le dernier rang dans les classements internationaux. C’est problématique, car cela renvoie une image de handicap. Je ne sais pas comment la jeunesse africaine va relever ses défis si elle se voit toujours occuper la place déficiente de l’humanité.

Les richesses du continent, plurielles et immenses, ne figurent dans aucun indicateur. Il faut complexifier cette image et ne pas accepter d’être réduits à des critères qui nous rabaissent. Un des défis du continent, c’est la confiance en soi, celle qui permet de dire non lorsque d’autres vous proposent des programmes pour vous sortir de vos difficultés et qu’ils ne sont pas adaptés.

Les politiques de lutte contre la pauvreté financées par l’aide internationale sont inadaptées ?

Je dis que c’est avant tout aux Africains de les définir et de prendre leur destin en main. Ce sont les gouvernements qui sont les plus à même de déterminer, à partir de critères endogènes, ce que sont les seuils de pauvreté ou d’inégalités qu’il est possible de tolérer. Je ne pense pas que les gens du FMI [Fonds monétaire international] ou des agences onusiennes soient davantage préoccupés du bien-être de ces pays que les populations elles-mêmes.

C’est une des conditions pour qu’elles s’approprient ces politiques et ne considèrent plus qu’elles sont parachutées de l’extérieur, enveloppées de sigles, OMD [Objectifs du millénaire], ODD [Objectifs de développement durable], qu’elles ne comprennent pas.

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