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«Fela KUTI (1938-1997), musicien de l’Afrobeat. Une exposition à la Philarmonie de la Musique, à Paris 19ème jusqu’au 11 juin 2023 : «Music is the Weapon» par Amadou Bal BA –

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Compositeur, chanteur, musicien, leader populaire nigérian, jouant presque nu vêtu seulement d’un simple caleçon, ses chansons et ses discours font de Fela KUTI un redoutable adversaire pour les autorités gouvernementales de son pays. Sulfureux, provocateur, iconoclaste, ironique, panafricaniste et transgressif, Fela, installant un scandale permanent, ne sépare pas son art de ses prises de positions politiques, il fustige la corruption, la brutalité des pouvoirs militaires et la pauvreté galopante ; chez lui, on danse, on échange ses partenaires sexuels et l’on fume du cannabis en toute liberté. Fela estime que la musique est une arme contre l’injustice, «une arme du futur» ou «Music is The Weapon». L’Afrobeat est une réflexion intemporelle sur la vie et la mort. «Fela compare symboliquement une institution à un parent qui continue à utiliser de l’eau après que son enfant s’est noyé. Quels que soient les revers, la communauté doit continuer à apporter des solutions à nos maux sociaux. Fela fait comprendre que les besoins vitaux ne sont pas négociables, quelles que soient les circonstances. La charge de soutenir les personnes vulnérables qui luttent contre les pandémies mondiales n’est pas négociable» dit John CARLIN, un journaliste et écrivain britannique.

Olufela Olusegun Oludotun Ransome-Kuti, dit Fela Kuti, ou Fela Anikulapo Kuti, ou simplement Fela, né le 15 octobre 1938, à Abeokuta (Etat d’Ogun) et mort le 2 août 1997 à Lagos, est un chanteur, saxophoniste, chef d’orchestre et homme politique nigérian. Il est l’inventeur génial de l’Afrobeat, un mélange des rythmes du Yoruba, du Jazz, de la Soul et du Funk. Fela est issu d’une classe moyenne de notables ayant une grande influence culturelle et sociale dans sa ville natale. Son père, Israel Oludotun RANSOME-KUTI (1891-1955), est un ecclésiastique, un protestant. Sa mère, Frances Abigail Olufunmilayo THOMAS (1900-1978), fille d’esclave et enseignante, une militante des droits de la femme, première femme à conduire une voiture au Nigéria est une communiste pionnière de la l’indépendance du Nigeria. Ses parents se marient le 20 janvier 1925 et ont eu quatre enfants : Dolupo, une fille (1922-2010), Olikoye, un garçon (1927-2003), Fela (1938-1997) et Bekololari, un garçon (1940-2006). Son grand-père, révérend Josiah Jesse RANSOME-KUTI (1855-1930), ordonné en 1897, est à la base de la consolidation de l’église anglicane au Nigéria. Il a traduit les hymnes anglicans en Yoruba, talentueux en musique, il a composé des chants religieux, des Gospels en Yoruba et a été le premier à les enregistrer en disque. Les autorités coloniales maltraitant le peuple Egba, son grand-père a fait preuve de compassion, d’équité et de justice, pour défendre leurs droits, et était réputé pour ses prêches anticolonialistes. Son père organise les enseignants à partir de 1926. Par conséquent, Fela grandit dans un environnement de grande rigueur morale, d’estime de soi et de goût de la musique. Cependant, le jeune Fela est déjà en révolte toute étroitesse d’esprit et le fanatisme ; quand il sera plus grand, il rejettera toutes les religions monothéistes, ayant, selon lui, asservi l’Homme africain, pour ne retenir l’animisme, la religion traditionnelle africaine.

En 1958, quand, le jeune Fela arrive à Londres, sur injonction de ses poursuivre des études en médecine, mais il ne s’intéressait, à cette époque, qu’à la musique et aux filles. Il fréquente le Trinity College Music. «Londres lui a donné l’occasion, en dehors de l’éducation théorique et pratique de la composition musicale et de l’interprétation, de poursuivre sa curiosité pour le jazz. Fela voulait jouer de la musique jazz et pas seulement étudier la théorie musicale, et le Londres multiculturel du début des années 1960 était juste le cadre des interactions, des idées et des expériences interculturelles nécessaires pour nourrir le genre de musique musicale. L’expérimentation d’une nouvelle forme de musique germait, à l’esprit de Fela» écrivent Adeshina AFOLAYAN et Toyin FAYOLA, dans «Fela, Afrobeat, Revolution and Philosophie». A Londres, il commence à prendre conscience de sa culture et de son identité, ses groupes “Highlife Rakers” puis “Koola Lobitos”, sont un échec. Aussi, de 1958 à 1966, Fela était à la recherche de lui-même, de l’orientation à donner à sa musique. La Soul Music de James BROWN (1933-2006) et de Geraldo PINO (1939-2008), un musicien nigérien, d’origine sierra-léonaise, seront un déclic pour son inspiration. «Il a toujours voulu non seulement jouer de la musique africaine, mais aussi explorer les origines africaines du jazz. Highlife, pensait-il, avait le rythme, mais pas la profondeur ; Alors que le jazz avait de la profondeur mais pas de rythme. Ainsi, il a exploré le rythme et le rythme dans le highlife et avec, l’embellissement du jazz est venu avec une innovation qu’il appelé highlife-jazz» écrit Justin LABINJOH.

En 1969, Fela se rend aux Etats-Unis, une année après l’assassinat de Martin Luther KING, le 4 avril 1968, il découvre qu’en dépit de l’abolition de l’esclavage, ses frères afro-américains, qui avaient combattu à la Seconde guerre mondiale pour le «Monde libre», sont maintenus dans un régime strict de ségrégation raciale. «En Amérique, Fela a immédiatement connu le même genre de conscience culturelle qu’il avait rencontré à Londres. Le mouvement américain des droits civiques battait son plein, et les figures de Martin Luther King, Jr.; Malcolm X ; Kwame Ture, né Stokely Carmichael, Elijah Muhammed et la Nation de l’Islam, et le Black Panther Party étaient partout dans les nouvelles. Ils étaient tous au cœur frénétique de la conscience noire déjà consolidée autour du nationalisme noir, du pouvoir noir et du panafricanisme. Le voyage de Fela en Amérique est devenu son initiation ultime à la politique, à la conscience idéologique et à la réorientation culturelle» écrivent Adeshina AFOLAYAN et Toyin FAYOLA.

Par conséquent, son voyage en Amérique, c’est la consolidation de conscience et la révélation. En effet, Fela Kuti enregistre, à Los Angeles, la chanson au message pacifiste, à propos de la guerre au Biafra «Viva Nigeria» et chante : «La guerre n’est pas la solution, la guerre n’a jamais été la solution […] une Nation indivisible, longue vie au Nigéria, vive l’Afrique», entonne-t-il. La chanson marque les débuts de ses engagements politiques. En août 1969, Fela donne un concert en faveur des droits civiques à l’Ambassador Hotel de Los Angeles. Il y rencontre la militante du groupe des Black Panthers Sandra IZSADORE, une militante des Black Panthers. «Pour la première fois j’entendais certaines choses sur l’Afrique. Elle m’a beaucoup appris. Rien de ma vie ne serait complet sans elle», dira plus tard l’artiste. Fela découvre le courant d’idées panafricanistes, mené notamment par Malcolm X (voir mon article), dont il lit la biographie. Fela KUTI décide d’incorporer plus de musique africaine dans ses compositions, notamment avec le morceau «My Lady Frustration» et de rendre sa musique politique. C’est la naissance de l’Afrobeat.

En 1970, de retour dans son pays, le Nigeria, Fela réalise les ravages de la guerre du Biafra (1967-1970), celle du pétrole et du massacre du peuple Ogoni, lâché par la Françafrique, avec plus de 2 millions de morts. Indépendant depuis 1963, le Nigeria, l’Etat le plus peuplé d’Afrique, le 6ème producteur mondial de pétrole, est soumis à des dictatures militaires, à la corruption à haute dose, à l’insécurité, à des villes sans aménagements et à des violences policières, à la crasse, aux dégâts causés à l’environnement et maintenant à des fondamentalistes musulmans, Bokko Haram.

En 1974, Fela s’isole avec ses danseuses et ses musiciens dans sa résidence qu’il baptise «République de Kalakuta», une zone affranchie des lois et de la juridiction nigériane, ouverte à tous les Africains persécutés à travers le monde. En effet, en dénonçant la corruption, les dictatures, la mainmise des multinationales, Fela, le «Black President», a essuyé les foudres des dirigeants politiques successifs et de leurs juntes militaires. Régnant sur Kalakuta, un îlot que Fela considère comme étant sa République, sa musique est une arme, selon lui, et il faisait la guerre au gouvernement, à la colonisation. Le 18 février 1977, un millier de soldats font irruption dans la République de Kalakuta. Ils battent les hommes, violent les femmes et mettent le feu à la maison de Fela Kuti, dont la mère, présente sur les lieux, est blessée à la jambe. Humiliations, coups, emprisonnements, tortures ont ponctué le quotidien de ce guerrier rebelle de 1974 jusqu’à sa mort en 1997. «Jusque-là, ses morceaux portaient surtout sur des revendications sociales, comme Monday Morning in Lagos, mais là il était devenu un leader politique. Quand on arrivait chez lui, il y avait des gardes du corps en noir avec un style proche des Black Panthers. La fréquentation de la République de Kalakuta n’était plus la même. Il y avait des Noirs américains, quelques idéologues italiens de l’extrême gauche, des anarchistes et des trafiquants ou débrouillards revendant vrais et faux diamants. Au milieu de tout cela, Fela ressortait à la fois comme le boss, le patron et comme un leader politique qui aimait sa position mais ne voulait pas le pouvoir», dit Jean-Jacques MANDEL.

Artiste norme et excentrique, Fela a épousé ses 27 choristes et refuse d’être réduit au silence. «Outre la musique, les femmes ont joué un rôle central dans l’évolution du personnage complexe de Fela. Toute sa vie, Fela a été inséparable de l’influence des femmes qui l’entouraient et des questions de sexe et de sexualité. Les considérations de sa vie et de sa personnalité génèrent une «question de femme» compliquée et difficile à résoudre. La quête de liberté de Fela, d’Abeokuta aux États-Unis et de retour à Lagos, a été facilitée par une grande suite de femmes qui ont joué un rôle important. rôle ou autre dans l’éclairage de ce qu’est vraiment Fela et de ce qu’il recherchait» écrivent Adeshina AFOLAYAN et Toyin FAYOLA. Fela meurt du SIDA, le 2 août 1997, mais la Légende, ainsi que son message de Fraternité et de combat pour la Justice, sont plus que jamais vivants. Fela, c’est «Celui que la main de l’homme ne peut tuer» disent ses fans qui continuent à lui rendre hommage à la nouvelle Kalakuta.

Quel héritage de Fela KUTI ?

Fela a eu 7 enfants connus et reconnus : Femi Kuti, Yeni Kuti, Sola Kuti, Kunle Anikulapo Kuti, Omosalewa Anikulapo Kuti, Motunrayo Anikulapo Kuti et Seun Kuti. C’est pendant son séjour à Londres, que Fela rencontre en 1959, Remilekun TAYLOR, une métisse d’un père nigérian et d’une mère américaine, disparue en 2002 ; ils se marient en 1962 et elle lui donne trois de ses enfants (Yéni, née en 1961, Femi né en 1962, et Sola née en 1963). Un mariage qui durera jusqu’en 1986. Fela épousera aussi ses 27 choristes et danseuses, selon un rite vaudou.

Son fils aîné, Femi, visuellement et politiquement parlant, a repris le flambeau, en imposant sa marque, dans une plus grande retenue ; Femi a évité les controverses. Avec son groupe, Positive Force, il s’est associé à une grande variété de musiciens américains accomplis dans le monde entier, tels que le pianiste Randy WESTON, le rappeur Mos DEF et la chanteuse Macy GRAY. Fela ne s’est jamais coulé dans le moule en raison de ses compositions jugées peu commerciales, de sa nature controversée et de son caractère carrément rebelle. Mais personne ne mettait en doute son génie musical. À bien des égards, il est irrévocablement lié au modèle classique de l’Afrobeat en termes d’acuité lyrique, de conscience politique, de définition esthétique et de curiosité spirituelle.

Fela adore la France et la France le lui rend bien. En 1981, il avait déjà fait un concert à la Porte de Pantin et cette année 2023, une exposition lui est consacrée à Paris 19ème et dans c’est dans mon quartier !

Exposition sur Fela à la Philharmonie de Paris 19ème arrondissement, Porte de Pantin, «Fela Anikulapo-Kuti, rébellion Afrobeat» du 20 octobre 2022 au 11 juin 2023.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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Paris, le 29 mars 2023, par Amadou Bal BA – http://baamadou.over-blog.fr/

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