Diego Maradona, dieu vivant du football et héros de cinéma
Si en 2008, Diego Maradona avait fait le voyage au Festival de Cannes pour la présentation d’un film consacré à sa vie, El Pibe de Oro, d’Emir Kusturica, en mai 2019, Asif Kapadia n’avait pas monté les marches avec la légende du football qui vient de s’éteindre à l’âge de 60 ans. Une épaule douloureuse avait retenu la légende du football loin de la Croisette où était projeté son portrait intitulé «Diego Maradona», tout simplement. Parce que ce nom se suffit à lui-même.
«En octobre 2016, je m’étais rendu à Dubaï pour le rencontrer, se souvient Kapadia. Il y entraînait une équipe à ce moment-là. Je débarque avec mes deux producteurs et une équipe pour le filmer. Pendant cinq jours, il a passé son temps à annuler nos rendez-vous. J’ai finalement réussi à le voir, mais cinq minutes parce qu’il ne se sentait pas bien. Il m’a proposé de faire une photo, m’a serré la main et m’a dit : “Nous allons faire un film formidable.”»
« Parler football, aucun problème. Les femmes, la drogue et la mafia, c’était plus compliqué »
Kapadia repart bredouille mais commence à faire le film sans Maradona. Il fait des recherches de son côté, rencontre l’entourage du joueur. Un an plus tard, il décide de retourner à Dubaï pour retenter sa chance. «J’ai pour habitude de faire des entretiens filmés de cinq heures. Avec Maradona, c’était impossible. Il ne pouvait pas rester concentré plus d’une heure et demie. Il s’ennuyait très vite. Chaque minute comptait, il fallait en venir rapidement au fait. La seconde fois, je suis venu sans caméra. Seul avec un preneur de son. Je me suis assis par terre. Il a répondu à mes questions. Simplement, sans faire le show. J’ai compris que c’était la bonne méthode. Au fil des entretiens, je posais des questions de plus en plus gênantes. Il m’envoyait paître:“Il ne faut pas parler de ça!”Ou il répondait à côté. Parler football, aucun problème. Les femmes, la drogue et la mafia, c’était plus compliqué. Un jour, il m’a dit : “Tu as du cran pour oser me poser ces questions en face.” Il a marqué une longue pause avant d’ajouter:“Pour cela, je te respecte. Les autres parlent de moi dans mon dos.”»
Maradona avait la réputation de monnayer les entretiens qu’il donnait dans les médias. Qu’en est-il pour Kapadia ? «Je n’ai pas participé aux négociations. Il faudrait demander à mon producteur. Je sais que Maradona a beaucoup aimé mon film sur Senna et celui sur Amy Winehouse venait de remporter l’Oscar du meilleur film documentaire», répondait le réalisateur britannique quand nous l’avons rencontré. Le cinéphile Maradona avait mandaté ses avocats. Dans le deal, il y avait 500 heures d’images incroyables et inédites. En 1981, l’agent de Maradona avait en effet engagé deux cameramen pour coller au short du joueur argentin, sur et en dehors des terrains. L’idée était de tourner un film à la gloire du jeune prodige. «Le projet n’a jamais abouti, expliquait Kapadia. Je pense que les deux cameramen n’ont jamais été payés. Ils ont gardé la moitié des cassettes à Naples. L’autre moitié dormait dans un coffre chez l’ex-femme de Maradona, Claudia, à Buenos Aires.»
«Chiens galeux»
Naples, où tout commence, où tout finit pour Maradona. Kapadia tient son angle. En 1984, la ville la plus pauvre d’Europe recrute le joueur le plus cher du monde. L’Argentin, gamin des bidonvilles et star montante, vient d’échouer à Barcelone. Le Napoli est un club de losers. Dans les stades du nord de l’Italie, ses supporteurs sont accueillis par des banderoles humiliantes : «Lavez-vous», «Salut les chiens galeux» ! Cela va changer. Naples gagne le championnat pour la première fois de son histoire, en 1987, grâce à un Maradona étincelant, entre-temps champion du monde avec l’Argentine en 1986 au Mexique.
Nostalgie d’un football plein de panache et sans VAR. Sur un mur du cimetière, cette inscription : «On a raté quelque chose.» Même pour les morts, le joueur devient un dieu vivant. Le stade San Paolo se transforme en volcan en fusion. Mais à Naples, ville dangereuse, il est rattrapé par ses démons. Ses frasques extra-conjugales, son addiction à la cocaïne et ses liens avec la Camorra, la mafia napolitaine, causeront sa perte. Le clan Giuliano le couvre de cadeaux, le mène par le bout du nez, qu’il a plein de poudre.
Kapadia fait parler les archives et les témoins de l’époque pour raconter cette descente aux enfers. En voix off, Maradona, bouche pâteuse, nie tout : «Ce sont des mensonges.» En 1991, la chute est vertigineuse. Le club et les médias le lâchent. «La vie et la carrière de Maradona sont une succession de cycles», analyse Kapadia. Il est brillant, atteint les sommets avant de dégringoler. On le croit mort et il renaît. Il remonte pour mieux décevoir, et ainsi de suite. On trouve ces hauts et ces bas à Barcelone, en Argentine, à Naples, à Séville… Son dernier come-back a lieu au Mondial 1994. Il joue deux matchs avant d’être contrôlé positif.
Quand le film de Kapadia sort, Maradona a 58 ans. Il n’est plus que l’ombre du génie qu’il a été. Il peut alors citer George Best, l’attaquant mythique du Manchester United, mort à 59 ans : «J’ai dépensé beaucoup d’argent dans l’alcool, les filles et les voitures de sport. Le reste, je l’ai gaspillé.»
Diego Maradona, documentaire (2h10) d’Asif Kapadia, disponible sur toutes les plateformes VOD et en DVD (Blaq Out).
Le Figaro