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Des lingots d’or « pillés au Mali » ou « volés en RDC » : que montre cette vidéo ?

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Depuis mi-août, une mystérieuse vidéo montrant des caisses de lingots d’or dans un camion être ouvertes et inspectées par deux hommes blancs francophones intrigue les internautes. Plusieurs légendes ont été accolées à cette vidéo pour l’associer tantôt à une interception d’or « volé par la France au Mali », tantôt à un trafic d’argent impliquant des politiciens en RD Congo. Les Observateurs ont pu contacter l’un des hommes dans la vidéo, qui affirme qu’il s’agissait d’un contrôle de routine au Ghana pour un possible achat d’or, une transaction qui n’aurait finalement pas abouti selon lui. 

L’extrait d’environ 3 minutes montre plusieurs personnes s’affairer autour de caisses qui, une fois ouvertes, laissent découvrir plusieurs plaquettes d’or. Deux hommes blancs, échangeant à la fois en français et en anglais avec leurs interlocuteurs, semblent vérifier la marchandise. Ces derniers montrent face caméra plusieurs noms écrit sur un bout de papier avant de prendre plusieurs lingots et de parler face caméra. La vidéo s’arrête brusquement alors qu’un des hommes énumère la trouvaille.

L’une des légendes populaires autour de cette vidéo affirme qu’il s’agit du démantèlement par la douane malienne d’ “un trafic d’or effectué par des militaires français”, référence à l’idée régulièrement diffusée que l’armée française interviendrait au Mali pour voler de l’or dans la région. On retrouve trace de cette vidéo également sur Twitter : un tweet supprimé le 9 septembre (visible ci-dessous) avait atteint les 400 000 vues en moins de 24 heures.

Une autre version de la vidéo, publiée début août par la page Facebook Kati 24, adepte de diffusion de fausses informations, affirme de son côté que la vidéo montrerait une « interception au Niger [d’or] en provenance de Kidal », référence à l’idée régulièrement diffusée que l’armée française interviendrait au Mali pour voler l’or dans la région. Elle a été vue plus d’un million de fois en une semaine.

Ces images avaient déjà circulé auparavant dans d’autres contextes. Elles avaient ainsi été publiées dès le 18 août sur les réseaux sociaux par des internautes prétendant qu’elles montreraient  “l’or du Congo”, ou même « l’or de la famille Tshisekedi ».

Autre pays et autre contexte : la vidéo a également circulé sur les réseaux sociaux au Ghana aux alentours du 25 août. Cette fois, elle avait été utilisée pour illustrer une « saisie d’or de 2 400 kilos à l’aéroport d’Accra ».

Quels sont les indices visibles dans la vidéo ?

Deux éléments visibles dans les images ont mis la rédaction des Observateurs de France 24 sur la piste du véritable contexte de cette vidéo.

Le logo est celui du journal B&FT online, principalement distribué au Ghana. La une du journal « Yaa Boateng for Cannes’s SIBI Festival of Creativity » renvoie à une édition publiée le 10 juin 2019. On retrouve cet article sur le site Internet du journal :

Tout d’abord, dans la version longue de cette vidéo, un des hommes blancs tient dans sa main un journal. Un arrêt sur image permet de distinguer le logo du journal ainsi qu’un titre sur sa Une.

Deuxième indice : le nom d’une entreprise visible sur un carton tendu par un des protagonistes. On y voit le logo de « FarTrade », une entreprise qui affirme sur son site Internet « accompagner les société européennes souhaitant investir en Afrique ».

Contacté par France 24 dès la fin du mois d’août, l’entreprise FarTrade n’a jamais répondu à nos sollicitations. Mais ils ont répondu au compte Twitter Fake Investigation en leur proposant de contacter « maître René Verrecchia pour avoir plus d’informations sur cette affaire ».

“C’est un détournement grotesque d’une scène banale de contrôle dans le cadre d’achats de métaux”

René Verrecchia, présent sur la vidéo des lingots d’or, est un avocat italien et francophone. Notre rédaction l’a formellement identifié grâce à une autre vidéo, disponible sur Internet, dont nous publions ci-dessous une capture d’écran.


Cet homme a un cabinet éponyme à Rome. Il dit connaître la société Far Trade, mais précise qu’elle n’a rien à voir avec la scène des lingots d’or. 

Nous avons pu entrer en contact avec lui par téléphone. Il nous a confirmé être un des hommes visibles dans la vidéo, et il nous a donné l’explication suivante : 

Cette vidéo a été tournée il y a un peu plus de deux mois à Accra, alors que nous avions été mandatés moi et mon ami, également d’origine italienne, pour représenter de potentiels acquéreurs qui souhaitaient se positionner sur l’achat de métaux, comme de l’or. C’est un détournement grotesque d’une scène banale de contrôle dans le cadre d’achats de métaux.

Nous étions en train de procéder à une opération de contrôle pour vérifier la marchandise, les documents transmis… nous nous laissons filmer par un des intermédiaires qui souhaite envoyer à son client une preuve que sa marchandise est bien arrivée à destination et qu’elle est en cours de contrôle.

Les noms que je montre sont les potentiels acquéreurs dans cette opération. Ils n’étaient pas au courant de ce contrôle. Si le logo de FarTrade est visible sur la vidéo, c’est une coïncidence : je cherchais un papier pour écrire les noms des intermédiaires, et c’est le premier papier dont je disposais à ce moment.

À ma connaissance, l’opération n’a pas aboutie. À l’issue de ce contrôle, j’avais conseillé à mon client de ne pas se positionner, car les documents transmis sur la provenance de ces métaux et les différentes phases de la transaction proposée me semblaient douteuses.”

L’avocat n’a cependant pas souhaité divulguer le nom des clients qui l’avaient mandatés pour des raisons de « secrets professionnels ». Selon lui, les vendeurs qui l’avaient contacté n’ont donné aucune indication sur la provenance de cet or. 

Des zones d’ombre persistent autour de la vidéo

Beaucoup d’éléments restent à vérifier autour de cette scène, notamment l’origine de l’or et la question de ce qu’il est devenu. 

Interrogée par la rédaction des Observateurs de France 24, la douane ghanéenne a affirmé ne pas avoir connaissance de cette vidéo, ni d’une saisie d’or récente. Un douanier a expliqué que la vidéo ne pouvait pas correspondre à une saisie d’or par la douane car « si c’était le cas, un dispositif beaucoup plus important aurait été déployé », évoquant plutôt la piste d’une « opération individuelle » ou possiblement « d’un cas de corruption ».

Notre rédaction a également montré la vidéo à Gilles Labarthe, auteur du livre “L’or africain” qui s’est intéressé au trafic d’or sur le continent. Il n’avait pas eu connaissance de la vidéo auparavant, mais explique : 

C’est une scène normale de contrôle d’une cargaison. Ils prennent des lingots avec eux pour pouvoir les tester. La quantité d’or visible est cependant très importante et surprenante.

En revanche, ce qui est étrange c’est que les lingots ne portent pas de poinçon. Et qu’il n’y aucun nom, aucune marque sur les caisses. Il pourrait s’agir d’une entreprise minière qui vendrait de l’or en gros pour qu’il soit transformé, par exemple en Europe.

À ce jour, la rédaction des Observateurs de France 24 n’a pas pu confirmer comment la vidéo avait fuité sur les réseaux sociaux, mais continue d’enquêter sur ces questions. Si vous disposez d’informations sérieuses sur ce contenu, n’hésitez pas à nous contacter sur observateurs@france24.com




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