A l’Institut du Monde Arabe, et dans le cadre de la carte blanche donnée au professeur Alain MABANCKOU, des intellectuels ont planché sur la question de la relation entre le monde arabe et l’Afrique noire :
– M. Bénaouda LEBDAI, professeur à l’université du Mans, spécialiste des littératures coloniales et postcoloniales ;
– M. Yahia BELASKRI, membre du comité de rédaction de la revue Apulée et auteur de nombreux ouvrages ;
– M. Kamel DAOUD, journaliste au Quotidien d’Oran et auteurs de plusieurs récits ;
– Mme Maboula SOUMAHORO, professeure de littérature au Bard College et à l’Université François Rabelais de Tours.
Tout au début l’objet de la rencontre était initialement d’ordre littéraire : comment les penseurs arabes, dans leur création artistique, voyaient les Noirs ?
Pour le professeur Bénaouda LEBDAI, l’image du Noir dans la littérature maghrébine est positive. Le Noir est perçu comme un dépositaire de la tradition et de la liberté. Le Noir, c’est le peuple qui a été abusé et trahi, il boîte, comme l’illustre le tirailleur sénégalais, un colonisé utilisé contre ses frères. Le Noir, c’est l’émigré en transit, symbolisant la détresse et le courage, mais suscitant aussi des peurs irrationnelles et le rejet.
En revanche, pour Yahia BELASRI l’image du Noir dans la littérature maghrébine est très négative, il est vu sous le prisme de l’esclavage et des préjugés. S’il y a solidarité elle est confessionnelle, on accepte le Noir s’il est musulman. On est en présence d’une conscience cloisonnée. C’est de la faute au colonisateur. On connaît peu le Noir et on en parle mal. Or, l’altérité c’est la reconnaissance de l’autre dans sa différence.
Kamel DAOUD qui partage le point de Yahia BELASRI, estime que la question devrait abordée sous l’angle de l’altérité. La littérature maghrébine est dans le double déni.
Subitement le débat a dérapé vers autre chose de plus polémique : les Arabes, compte tenu des migrants africaines massives, en transit, parfois durables, au Maghreb et des cas d’esclavage recensés en Libye, seraient-ils racistes à l’encontre des Noirs ?
Une intervenante, dans la salle, s’est évertuée à démontrer que l’Algérie est un pays bienveillant et accueillant, puisque son pays d’origine a été d’une solidarité, sans faille, avec les mouvements de libération nationale africains. Par ailleurs, tout récemment, dans le cadre de la crise franco-malienne, l’Algérie a interdit à la France le survol de son territoire aérien et a donné des facilités, à la junte malienne, pour utiliser son port. Comme le souligne, en 2019, Elaine MOKHTEFI Alger a bien été la «capitale de la Révolution».
Le professeur Alain MABANCKOU a relaté un incident à Alger, fort regrettable, des spectateurs mimaient le singe lors d’un concert de l’artiste franco-camerounais, Manu DIBANGO. «L’esclavagisme en Libye n’est que le prolongement de la négrophobie au Maghreb. Personne n’ignorait ce qui se passe sur cette partie septentrionale de l’Afrique. L’existence de marchés aux esclaves d’abus sexuels et de travaux forcés avait fait l’objet d’un rapport de l’Organisation internationale pour les migrations» écrit Hamidou ANNE. En janvier 2019, Khadija BENHAMOU, est élue Miss Algérie. Aussi, certaines personnes aux idées courtes, se déchaînent dans les réseaux sociaux, sa peau noire et ses cheveux crépus dérangent : la Miss Algérie est donc invitée à «passer à la machine à laver pour blanchir sa peau». Le 9 octobre 2018, la Tunisie est le premier du Maghreb à adopter une réprimant le racisme devenu le délit de racisme (propos et incitation à la haine raciale). L’Algérie n’adoptera une réglementation pénale contre le racisme que par la loi 20-05 du 28 avril 2020 relative à la prévention et à la lutte contre la discrimination et le discours de haine. Au Maroc, un projet de loi déposé au Parlement, de lutte contre le racisme, n’a pas à ce jour, été adopté.
Tout a failli partir en cacahuète pour une question aussi délicate et controversée que celle du racisme et de l’esclavage. En effet, dans l’histoire de l’Islam, le premier muezzin noir et esclave affranchi, Bilal Ben RABAH (580-640), fait figure de héros légendaire. En effet, Bilal Ben RABAH, un esclave noir originaire d’Abyssinie, qui ne voulait pas renoncer à l’Islam, dépouillé de ses vêtements, enchaîné et crucifié à la porte de la Mecque, sera racheté par Abou-Bakr. E En raison de ce procédé, l’Islam sortant de la clandestinité et de la confidentialité, donne du courage, aux autres personnes qui avaient peur de se convertir. Bilal tuera son ancien maître à la fameuse bataille de Badr (Voir mon article sur Mahomet).
Cependant, l’Islam comme d’ailleurs lors de la Révolution de 1776 de Thierno Sileymane BAL n’affranchissait que les esclaves convertis et n’avait donc pas interdit de façon absolue l’esclavage. «La théocratie n’est pas un régime politique d’émancipation et de liberté des personnes. La prétendue révolution Torodo a viré au désastre politique et social. (…). Le système Torodo, plus politique que religieux, incarnait l’instrumentalisation de l’Islam pour masquer ce qui le caractérisait profondément, c’est-à-dire la collaboration, la subordination et l’assujettissement aux systèmes arabo-berbères, musulman et judéo-chrétien» écrit Ibra Ciré N’DIAYE, dans son livre «Temporalités et mémoire collective au Fouta-Toro. Histoire d’une aliénation culturelle et juridique» paru en 2019. Les royaumes africains complices des colons et de l’esclavage, sans doute venu des pays Arabes, ont perpétué cet odieux commerce (voir mon article). Tidiane N’DIAYE un franco-sénégalais, a violemment dénoncé le silence complice et solidaire du monde musulman noir et arabe : «Il est donc difficile de ne pas qualifier cette traite de génocide des peuples noirs par massacre, razzias sanglantes puis castration massive. Chose curieuse pourtant, très nombreux sont ceux qui souhaiteraient la voir recouverte à jamais du voile de l’oubli, souvent au nom d’une certaine solidarité religieuse, voire idéologique. C’est en fait un pacte virtuel scellé entre les descendants des victimes et ceux des bourreaux qui aboutit à ce déni» écrit-il, en 2008, dans le «Génocide voilé».
De nos jours, un journal marocain, «MarocHebdo» dans son numéro n°998 du 2 au 8 novembre 2012, avait bien remué le couteau dans la plaie, en titrant : «Le péril noir». Suivant ce journal, des milliers de Subsahariens sont au Maroc. Ils vivent de mendicité, s’adonnent au trafic de drogue et de prostitution. Ils font l’objet de racisme et de xénophobie. Ils posent un problème humain et de sécurité au pays. «Le Maroc est un arbre dont les racines sont ancrées en Afrique mais dont les branches s’étendent en Europe» dit-on, à une époque où le royaume marocaine quémandait, sans succès, une adhésion à l’Union européenne. «En réalité, le Maroc s’est retrouvé sans branche et sans racines, puisque dans le même temps il avait claqué la porte de l’Organisation de l’Union africaine (OUA), devenue l’Union africaine (UA). Pas d’Europe et pas d’Afrique. Coupé de ses branches et de ses racines. Ni européen, ni africain» écrit le «Courrier international». Le journal «Le Point» parlera de «Cet Islam sans gêne».
De terre de transit, le Maroc est devenu, par la force des choses, terre d’exil. Sans y être le moins du monde préparé. L’étranger, l’autre, n’était plus seulement européen, donc “supérieur”, ou arabe, donc “frère”, mais aussi et de plus en plus africain, donc noir, donc “inférieur”. Aussi, parfois, on assiste à des ratonnades ou des meurtres, à caractère raciste, de Sénégalais. Ainsi, le 12 août 2013 Ibrahima FAYE, un immigré sénégalais de 30 ans, a été poignardé, à la suite d’une banale altercation avec un militaire marocain, à la gare de Rabat. Le 9 décembre 2020, Ika NIANG, un Sénégalais vivant au Maroc, a été sauvagement assassiné. En septembre 2019, Mohamed THIAM a été poignardé. Alassane SENE a été tué en février 2016 au Maroc. L’assassinat de Charles N’DOUR, un étudiant de 20 ans originaire de Fadiouth, égorgé dans le quartier de Boukhalef, à Tanger, en août 2014, avait suscité une vive émotion au Sénégal. En sens inverse, Mazine SHARI, un étudiant marocain, a été assassiné au Sénégal, le 25 février 2022. En 2014, trois migrants, un Camerounais et deux Guinéens sont assassinés à Tanger, dans le quartier de Boukhalef. En 2015, c’est le tour de deux Ivoiriens assassinés lors d’une opération massive d’expulsion de migrants.
Il n’en reste pas moins que le Sénégal et le Maroc entretiennent d’excellentes relations depuis plusieurs siècles. En effet, de nombreux Marocains étaient venus, à la fin du XVIème siècle, s’installer au Sénégal, et ils ont tous fondu dans la population. On enregistre de nombreux mariages mixtes, dans les Yvelines, notamment aux Mureaux et Mantes, entre Sénégalais et Maghrébins.
Les recherches récentes menées, dans le domaine strictement littéraire, notamment par le belge Xavier LUFFIN, l’image des Noirs, imaginés, pensés, décrits, racontés, mis en scène dans leurs textes par les écrivains arabes, est gravement négative et empreinte de préjugés. Le Noir, souvent un domestique ou un objet sexuel est une figure étrangement chargée de stéréotypes, avec une vision esclavagiste.
A cette rencontre à l’institut du monde araba, un débat passionnant et passionné en présence de Jack LANG, ancien ministre de la culture de François MITTERRAND (1916-1996) et président de l’institut du monde arabe, qui s’est même poursuivi au café d’en face.
Le 17 juin 2017 coïncidait avec les résultats du 1er tour des élections présidentielles. Je suis allé à la Mutualité située à quelques centaines mètres de l’Institut du Monde Arabe. Je découvre avec contestation le désastreux résultat de Benoît HAMON de 6,36%, annonçant une crise et une descente aux enfers du Parti socialiste.
De nos jours, on observe des tensions artificielles, entre Algériens et Marocains, entre Africains et Antillais qui ont voté massivement au 2ème tour des présidentielles, pour le Rassemblement national. Face à l’avancé des forces du Chaos, une alliance des racisés aux législatives des 9 et 16 juin 2022, pour faire bien avancer la cause du bien-vivre ensemble ?
Références très sommaires
ANNE (Hamidou) «L’esclavagisme en Libye n’est que le prolongement de la négrophobie au Maghreb», Le Monde, 20 novembre 2017 ;
ATTIA (Syrine), «Loi contre le racisme : “tournant historique” en Tunisie, mais où en sont l’Algérie et le Maroc ?», Jeune Afrique, 11 octobre 2018 ;
BELMADANI, (Chattou), Les Sénégalais dans la société marocaine, Parcours, motivations et insertion sociale, Rapport, MIM-AMERM, 2014, 86 pages ;
CHEKKAT (Rafik) «Négrophobie, les damnés du Maghreb», OrientXXI, 11 août 2020 ;
El KHADIRI (Mohammad), Khadim Jihad Hassam, le passeur, Casablanca, Centre culturel du livre, 2020, 136 pages ;
EL MIRI (Mustapha), «Devenir noir sur les routes migratoires, Sociologie de la race et du racisme, 2018, Vol 50, n°2, pages 101-124 ;
JIHAD HASSAM (Khadim), Le roman arabe (1834-2004), Paris, Arles, Sindbad, Actes Sud, 2006, 400 pages ;
KODJO-GRANDVEAUX (Séverine), «La fracture raciale est réelle en Afrique, entretien avec Tidiane N’Diaye», Le Monde Afrique du 18 mai 2017 ;
LUFFIN (Xavier), Les fils d’Antara, représentation des Africains dans la fiction arabe contemporaine (1914-2011), Bruxelles, éditions Safran, 2011, 179 pages ;
MIQUEL (André), Langue et littérature arabes classiques, Paris, Collège de France, Leçon inaugurale du 3 décembre 1976, pages 4-28 ;
MOKHTEFI (Elaine), Alger, capitale de la Révolution. De Fanon aux Black Panthers, Paris, La Fabrique, 2019, 256 pages ;
MOUNA (Khalid), HARRAMI (Nourredine), MAGHRAOUI (Driss), L’immigration au Maroc : défi de l’intégration, Rabat, Université Moulay Ismaël, Rabat Social Studies Institute, 2017, 83 pages ;
NDIAYE (Tidiane), Génocide voilé : Enquête historique, Paris, Gallimard collection Folio n°6280, 2008 et Poche, 2017, 320 pages ;
SADAI (Célia) «Racisme antinoir au Maghreb, dévoilements d’un tabou», Hérodote, 18 février 2021, n°180, pages 131-148 ;
TRABELSI (Salah), «Comment le Maghreb en est-il venu à rejeter son africanité ?», Le Monde du 24 février 2019.
Paris le 18 juin 2017, actualisé le 28 mai 2022, par Amadou Bal BA – http://baamadou.over-blog.fr/