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«Brigitte GIRAUD, Prix Goncourt 2022, pour son roman, «Vivre vite» : une littérature intimiste dans l’universalité» par Amadou Bal BA –

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Succédant au Sénégalais, Mohamed M’Bougar SARR (Voir mes articles), Mme Brigitte GIRAUD est la treizième femme française, depuis 1903, à être primée au Goncourt. Souvenons-nous de Marie NDIAYE, la sœur de Pap N’DIAYE, Ministre de l’éducation nationale (Voir mon article), Prix Goncourt de 2009 pour son roman «Trois femmes puissantes». Prix Goncourt de la Nouvelle en 2007, pour son recueil, «L’Amour est surestimé», Prix Jean GIONO, pour «Une année étrangère», en 2009, Brigitte GIRAUD, a déjà à son actif 11 livres, des essais et des nouvelles. Ses livres sont traduits dans une vingtaine de pays.

Après Annie ERNAUX, Prix Nobel de littérature 2022 (Voir mon article), on peut dire que les Femmes ont la frite ; c’est le triomphe des romans intimistes. La tendance littéraire est de se raconter, s’exhiber et se mettre en scène, à la manière de Virginia WOOLF (1882-1941, voir mon article). Mais le drame personnel, l’introspection, la perception de soi, ne sont pas nécessairement de l’exhibitionnisme ou du voyeurisme ; ce style peut-être, en raison d’un talent littéraire, quelque chose d’universel, dans laquelle chacun d’entre nous, peut, parfois, s’y reconnaître.

Dans ce roman, une généalogie de l’amour et de l’existence de Brigitte GIRAUD, «Vivre vite», c’est un hommage à son mari Claude, disparu, tragiquement d’un accident, il y a de cela plus de 23 ans. «Quand un drame surgit, on veut comprendre comment on devient un chiffre dans des statistiques, une virgule dans le grand tout. Alors qu’on se croyait unique et immortel» écrit Brigitte GIRAUD. En effet, Claude, aimant le rock et la moto, , est mort d’un accident de la circulation le 22 juin 1999, à Lyon.

Par conséquent, cette création littéraire traite de la mémoire, du hasard, la coïncidence le destin, du Mektoub (c’est écrit en Arabe, fatalisme), du deuil et donc de la capacité des survivants après un désastre à survivre et vivre. «Après un accident, c’est plus qu’un accident, c’est qu’on en fait. C’est d’abord la trace qu’il laisse dans nos vies, ce qu’il dit de nous» dit-elle. Il va donc falloir affronter le désastre de la disparition et d’autres obligations familiales, un garçon à élever. «Vivre vite» est à la fois un récit intime, mais celui d’une époque : «J’avais vraiment envie que ce livre soit chargé de l’histoire des autres, de l’histoire collective. Parce que l’intime n’a de sens que parce qu’il résonne avec une époque, une société, avec un lieu, avec ce que vivent les autres avant vous et en même temps que vous. J’avais envie qu’on voie ce qu’étaient les années 90» dit-elle. Le titre du roman, s’inspire de Lou REED, «Vivre vite, mourir jeune». «Je n’ai jamais eu l’impression d’écrire des choses ni vraiment graves ni vraiment douloureuses. Douloureuses certes, mais pas plus que la douleur de vivre qui est égale au bonheur de vivre. La douleur n’est pas uniquement douloureuse ; c’est aussi une façon d’être pleinement en vie, d’être dans une lucidité très grande par rapport à un destin qui est là, qui accompagne les hommes, avec lequel il faut se débrouiller de la façon la plus vivante. La douleur va avec l’expérience de la vie la plus intense. Pour moi l’expérience de l’écriture est vraiment très précieuse, indispensable, au moins à double titre : c’est une possibilité de faire un détour, d’emprunter une voie parallèle et de se cogner à un réel, pas seulement pour le plaisir de s’y cogner pour y adhérer mais pour se bagarrer avec, pour le transformer, pour lui faire accoucher de quelque chose» disait-elle, en 2004, à Martine MOUHOT, du «Café littéraire».

Dans «Vivre vite», un roman du coup du sort, l’auteure en sociologue, en flic ou écrivaine, se pose différentes questions : «Et si ?». En effet, ce roman, en rétrospective, est construit sur une succession d’analyses, à coups de pourquoi, tentant de trouver une explication qui aurait pu éviter ce désastre. «Quand aucune catastrophe ne survient, on avance sans se retourner, on fixe la ligne d’horizon, droit devant Quand un drame surgit, on rebrousse chemin, on revient hanter les lieux, on procède à la reconstitution. On veut comprendre l’origine de chaque geste, chaque décision. On devient le spécialiste du «cause à effet». On traque, on dissèque, on autopsie. On rembobine cent fois. On veut tout savoir de la nature humaine, des ressorts intimes et collectifs de ce qui arrive» écrit Brigitte GIRAUD. Son mari, une Honda 900 CBR Fireblade réservée à l’exportation et interdite au Japon, en allant chercher, Théo leur petit garçon à l’école. Brigitte GIRAUD était à Paris pour la sortie de son deuxième roman, «Nico», paru chez Stock. Brigitte avait hérité au suicide de grand-père et le couple venait d’acheter une maison à rénover à Caluire-et-Cuire, jouxtant le 4ème arrondissement de Lyon, une ville où Jean MOULIN (1899-1943, voir mon article) avait été arrêté par la Gestapo. « J’ai été aimantée par cette double mission impossible. Acheter la maison et retrouver les armes cachées. C’était inespéré et je n’ai pas flairé l’engrenage qui allait faire basculer notre existence. Parce que la maison est au cœur de ce qui a provoqué l’accident », écrit-elle «Vivre vite» reste aussi et surtout un roman de la vie : «C’est un livre qui parle de la vie, qui dit que c’est pas la peine de faire la gueule quand l’autre n’a pas pris le pain parce que ce qui est intéressant c’est quand l’autre est là au moment où il est là, vous n’êtes pas conscient qu’il est là, vous êtes tellement heureux qu’il soit là, vous passez votre temps à chercher des petits grains de sable, vous flirtez avec le danger. C’est drôlement rassurant, c’est un luxe extraordinaire. C’est un livre qui parle aussi de cela, le prix d’être en vie et de se rendre compte à quel point on n’avait pas le temps d’attendre encore pour être bien parce qu’on était bien. Mais comme on est d’une exigence folle vis à vis de soi mais aussi des autres. C’est très grisant finalement de faire une scène parce que vous avez pris un P.V., parce que c’est la vie, faire des scènes s’engueuler c’est la vie. C’est magnifique de s’engueuler, de se bagarrer parce que les bagarres débouchent parfois sur quelque chose de tellement positif» dit-elle au «Café Littéraire».

Les romans de Brigitte GIRAUD, parfois écrits à la première personne, nous font entrer au plus profond de l’intime, de l’identité, de la construction de soi, avec pour toile de fond la peinture d’une société en convulsion. Née en Algérie le 1er novembre 1960 à Sidi-Bel-Abbès, Brigitte GIRAUD, son père était médecin à l’hôpital militaire. Des Français célèbres sont nés en Algérie comme Albert CAMUS (1913-1960), Prix Nobel de littéraire, Alain MIMOUN (1961-2013) champion olympique du marathon, ou Alain AFFLELOU, opticien. «1960, l’année de ma naissance, est l’année de la bascule, le moment où De Gaulle laisse entendre que le référendum sur l’autodétermination va avoir lieu. Le moment de crispation ultime avant l’escalade qui va suivre, le putsch des généraux, la création de l’OAS. C’est aussi le moment de bascule pour mes parents parce que justement, ils deviennent parents. il y a la prise de conscience que le danger est là. Surtout que le retour se fait début 61, juste avant le début des plasticages par l’OAS» dit-elle. Son roman, «un loup pour l’homme», en 2017, évoque la figure du père. Cette guerre d’Algérie, une tragédie innommable, est restée dans le non-dit, les instrumentalisations, les mensonges et les contradictions «Ce qui m’a toujours fait écrire, ce sont les paradoxes. J’essaie de rendre visible ce qui en principe est invisible et j’ai retrouvé cela dans le rapport à la guerre d’Algérie. à force de travailler le sujet, j’ai compris que cette grande manipulation d’État a été un tel gâchis humain qu’il fallait que le propos soit aussi politique et social» écrit Brigitte GIRAUD. En effet, «Dans la guerre, la première victime est la Vérité» disait Rudyard KIPLING (1865-1936). Le héros du roman, un jeune homme qui part alors en Algérie, va être confronté à des horreurs mais ça ne l’empêche pas d’écouter du rock’n’roll, d’être fou d’amour pour une femme, et de faire le con le soir dans la chambrée, tout en étant traversé par la trouille de tomber dans une embuscade.

En 1961, Brigitte GIRAUD est venue, avec sa famille, s’installer à Rillieux-La-Pape, près de Lyon, la ville des Canuts. Après des études d’allemand, elle devient librairie, puis critique littéraire et a été l’animatrice de la fête du livre de Bron. De 2010 à 2016 Brigitte GIRAUD a dirigé la collection «La Forêt» aux éditions Stock. «J’ai été un peu libraire. J’ai travaillé comme journaliste, pigiste à Lyon Libération. Qu’est-ce que j’ai fait d’autre? Conseillère littéraire pour des festivals. J’ai été éditrice aussi à un moment. Et j’ai écrit une dizaine de livres: romans, essais, nouvelles» dit-elle.

Le premier livre de Brigitte GIRAUD, de 1997, «La Chambre des parents», a mis la cellule familiale au centre de sa contribution littéraire ; le quotidien, les choses ordinaires de la vie peuvent nous émouvoir, si elles sont bien racontées. Sur les petits riens de l’existence, elle a bâti des récits aux lignes sobres, où se mêlent l’intime et le social, voire l’histoire. Dans son deuxième roman, en 1999, «Nico», c’est avant tout l’histoire, en Normandie, à huis clos, d’une famille qui se délite. Un père violent qui prend un malin plaisir à s’attaquer au membre le plus faible de la famille, son fils, Nico. Une mère qui passe plus de temps à s’occuper de ses patients que de sa famille et qui fait mine de ne pas voir ce qui se passe sous son toit, qui s’éloigne chaque jour davantage de ses enfants. Face à cette adversité, Nico peut compter sur sa grande sœur, Laura. Un lien très fort les unit. Dans cette enfance compliquée, il y a des instants de bonheur : les vacances passées chez leurs grands-parents à la campagne, les moments de complicité, les secrets partagés… Mais en grandissant, les choses changent. Le héros du roman devient de plus en plus dur. Les punitions infligées par son père deviennent le moyen de montrer sa fierté et sa valeur. Ainsi, lorsque son père aura finalement quitté le foyer, Nico continuera à s’infliger des punitions. Nico en veut à tout le monde et notamment aux patients de sa mère. C’est à cause d’eux que sa mère est si fatiguée, fanée avant l’heure et qu’elle n’a pas de temps pour lui. Nico en veut au monde entier. Il se forge une carapace que même sa sœur n’arrive plus à percer. C’est avec horreur que Laura prend conscience de l’homme que son frère, le mal-aimé ne sachant pas aimer, est en train de devenir, un monstre, un fasciste, et va basculer dans l’intolérance, le racisme et la violence. Ce roman traite de la situation de toutes ces personnes concentrées dans des zones de relégation, dans la banlieue lyonnaise, ses drames et ses espérances : «Il y a beaucoup de choses que j’ai vécues enfant, dans ma banlieue. J’ai voulu parler de tous ces gens que j’ai connus alors, qui ont été jetés ensemble, qui n’ont pas choisi de quitter leur pays, mais qui ont été condamnés à se supporter parce que c’était le résultat de la politique française de l’époque. Se croisaient, comme dans mon livre, des exilés du Portugal, des immigrés d’Algérie et bien sûr des rapatriés, des Pieds-Noirs. Depuis quarante ans, tout cela génère de l’incompréhension, de l’intolérance, du racisme, mais aussi un mélange d’attirance et de répulsion qui est très particulier» dit-elle au journal «Le Progrès ».

Son roman, «Jour de courage» évoque les premiers autodafés nazis et met en lumière Magnus HIRSCHLELD (1868-1935), un médecin juif allemand, pionnier du combat pour les droits des homosexuels. Dans la banlieue de Lyon, Livio a choisi de faire un exposé sur lui en cours d’histoire, au lycée. Au risque de prendre de se dévoiler, un livre, sans doute marqué par un engagement politique. Il y est bien question d’adolescence, de la politique, de la musique du corps et du droit à la différence. Le narrateur en choisissant d’évoquer une minorité considérée comme des parias, celle des homosexuels, s’expose à de considérables. Les homosexuels, ces «parias» comme les appelaient Marcel PROUST (1871-1922, voir mon article), les femmes comme les racisés, sont soumis à la discrimination que personne ne veut reconnaître. Livio, «se rendit compte en le disant que L’homosexualité était la seule minorité qui ne trouve pas forcément de réconfort auprès des siens, la seule communauté qui se construit la plupart du temps hors de la famille. Tout le monde mesurait la violence d’être mise dehors, d’être classé, du devoir de se chasser soi-même» écrit Brigitte GIRAUD.

Dans «Nous serons des héros», le décor du roman est le Lyon des années 1970. Deux gamins se lient d’amitié. Olivier et Ahmed. Pourquoi cette attirance de l’un pour l’autre ? Quel ressort souterrain anime la mécanique de l’attraction dans les cours de récréation ? Olivier c’est Olivio, petit portugais débarqué avec sa mère fuyant la dictature d’Antonio de OLIVEIRA SALAZAR (1889-1970), au Portugal. Ahmed est algérien, hanté par la guerre d’Algérie. Le père de l’un est mort, sous la torture des hommes de la Pide, la police politique de SALAZAR. Le père de l’autre, torturé lui par la soldatesque française, traîne un handicap qui l’empêche de travailler. De cela Olivio et Ahmed parlent peu. Ahmed est hanté, obsédé par la Guerre d’Algérie, au point d’imprégner leurs jeux d’une violence qui renvoie aux cruautés de ce conflit : «Nous déchargions la violence qui nous habitait» dit Olivio, « nous luttions mais nous ne savions pas contre quoi». Les dictatures, les tortures pendant les guerres coloniales, ce n’est pas seulement qu’au Tiers-monde. L’Europe a eu aussi ses démons. Dans ce roman, des membres d’une famille portugaise, fuyaient donc la dictature de SALAZAR. Le père d’Olivio avait été arrêté pour raison politique et était mort en prison. Toute la famille était surveillée. Veuve, sa mère ne voyait qu’une échappatoire : commencer une nouvelle vie ailleurs, se reconstruire. La mère et le fils arrivent dans une banlieue populaire lyonnaise au début des années soixante-dix, lieu où les grands ensembles poussent comme des champignons accueillant les immigrés algériens, espagnols, portugais, les rapatriés. Il leur faudra s’intégrer, s’adapter, apprendre la langue, aller vers les gens. Faire face au racisme, au rejet, à l’absence d’un mari et d’un père, prendre leurs marques, baliser un chemin, faire des projets.

Références bibliographiques très sélectives

GIRAUD (Brigitte), Vivre vite, Paris, Flammarion, 2022, 208 pages (Prix Goncourt, 3 novembre 2022) ;

GIRAUD (Brigitte), «Entretien» avec Martine MOUHOT, Café Littéraire, automne 2004 ;

GIRAUD (Brigitte), «Je suis venue à la littérature pour ce livre (Un loup pour l’homme)», Rue89Lyon, 27 septembre 2017 ;

GIRAUD (Brigitte), «La virilité impossible», entretien avec Françoise Monnet, Le Progrès, 17 août 2015 ;

GIRAUD (Brigitte), A Présent, Paris, Stock, 2001, 80 pages ;

GIRAUD (Brigitte), Avoir un corps, Paris, Stock, 2013, 240 pages ;

GIRAUD (Brigitte), J’apprends, Paris, Stock, 2005, 162 pages ;

GIRAUD (Brigitte), Jour de courage, Paris, Flammarion, 2019, 160 pages ;

GIRAUD (Brigitte), L’éternité, bien sûr, Paris, Montréal, L’Harmattan, 1999, 111 pages ;

GIRAUD (Brigitte), La chambre des parents, Paris, Fayard, 1997, 152 pages ;

GIRAUD (Brigitte), L’amour est très surestimé, Paris, J’ai Lu, 2008, 80 pages ;

GIRAUD (Brigitte), Marée noire, Paris, Stock, 2004, 140 pages ;

GIRAUD (Brigitte), Nico, Paris, Stock, 2014, 182 pages ;

GIRAUD (Brigitte), Nous serons des héros, Paris, J’ai Lu, 2016, 190 pages ;

GIRAUD (Brigitte), Pas d’inquiétude, Paris, J’ai Lu, 2013, 224 pages ;

GIRAUD (Brigitte), Porté disparu, Paris, L’école des Loisirs, 2022, 163 pages ;

GIRAUD (Brigitte), Un loup pour l’homme, Paris, Flammarion, 2017, 248 pages ;

GIRAUD (Brigitte), Une année étrangère, Paris, Stock, 2009, 207 pages.

Paris, le 15 novembre 2022, par Amadou Bal BA – http://baamadou.over-blog.fr/

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