«Birama DIOP, chercheur, politiste et son ouvrage : «Pouvoir et légitimité. L’État africain sur scène», par Amadou Bal BA
Dans son rapport entre pouvoir et légitimité, l’État africain se met en scène, à travers différentes sources de légitimité (La tradition, le religieux, le mysticisme, la mort, etc.) afin de rechercher l’obéissance de la population, ainsi que l’exercice démocratique du pouvoir.
Birama DIOP est un écrivain, un docteur en philosophie et en politique à l’université de Paris, un spécialiste en théorie sociale et politique. Birama DIOP a également mené des recherches au Laboratoire du changement social et politique à Paris. Il est aussi un enseignant, d’abord de philosophie au Sénégal, ensuite à Limoges et à Nantes.
J’avais déjà fait un compte rendu d’un précédent ouvrage de Birama DIOP (Voir mon article, Médiapart, 18 mai 2024) sur le génie politique d’Ousmane SONKO, premier du Sénégal, qui vient de gagner, massivement, les législatives anticipées du 17 novembre 2024 (Voir mon article, Médiapart, 18 novembre 2024).
«Ils dirent au cheval : «où vas-tu ? Il dit «seule la bride le sait», tel est un proverbe peul que cite à l’entame de l’ouvrage sur «Pouvoir et légitimité» de Birama DIOP. Quelles sont donc les sources de la légitimité, au niveau national qu’international, notamment à travers les croyances partagées, qu’elles soient modernes, traditionnelles, religieuses ou charismatiques «Se situant dans la tradition, coloniale ou postcoloniale, on discerne, dans ce travail, un parti pris qui affleure : celui que les sociétés postcoloniales trouvent, enfin, la paix, la prospérité et la concorde, par la légitimité de leurs institutions», écrit, dans la préface.
Birama DIOP, dans un souci pédagogique, prend soin d’emblée de définir le concept de légitimité, «la perception et la vision qu’un groupe a de l’autorité et de lui-même, un moment donné», écrit Birama DIOP. Il y a le paraître et l’être, une théâtralité ou une mise en scène des gouvernants afin de se faire accepter par la population, afin de conquérir ou conserver le pouvoir. Par conséquent, un pouvoir politique devrait être en phase avec les valeurs d’une société «Il n’y a pas de peuple sans croyances, plus qu’il n’y a de maison sans architecture et sans ciment», écrit Birama DIOP. Dans sa volonté de puissance, un politique, pour être légitime, pour avoir une assise sociale, un minimum d’acceptation ou de sympathie, devrait être en harmonie, avec les références culturelles de son peuple. «Le chef peut guider le groupe vers un idéal, assurer sa protection, veiller à son bien-être. En cela, il répond à un besoin social de coordination et de direction», écrit Birama DIOP.
L’ouvrage de Birama DIOP, tiré de sa thèse de doctorat, de très haute facture, est divisé en deux chapitres : d’une part sur la dimension symbolique du pouvoir (la tradition, la religion, l’ethnicité, le mysticisme, l’apothéose ou une nouvelle légitimité, les signes), et d’autre part, les instances légitimatrices du pouvoir (la reconnaissance extérieure, le griot, la chefferie traditionnelle, le religieux).
Dans la tradition africaine, le gouvernant s’identifie au père de la nation, un objet de légitimation, «pour gagner l’amour et la sympathie du peuple», écrit Birama DIOP. Le gouvernant est l’incarnation des Ancêtres. L’auteur cite deux exemples. C’est d’une part, Ahmed Sékou TOURE qui a rapatrié les restes de l’Almamy Samory TOURE (Voir mon article, Médiapart, 11 février 2020) et d’Alpha Yaya DIALLO (1830-1912) et d’autre part, le rôle que le président Léopold Sédar SENGHOR, a attribués à Boubacar Joseph N’DIAYE (1922-2009), à la maison des esclaves à Gorée. Par ailleurs, Modibo KEITA se disait descendant de Soundiata KEITA, le fondateur de l’empire du Mali. «Le passé reste toujours dans le présent. Il doit être constamment actualisé pour légitimer le pouvoir. (…) Immortaliser par l’imagerie politique, le héros est associé à la création de la société, à son combat pour la survie et son triomphe contre toutes les adversités», écrit Birama DIOP.
Birama DIOP estime que le respect de la parole donnée est un mode ancestral de gouvernance qui serait à réhabiliter. «La parole est conçue comme l’origine de toute création ; elle fait partie de la nature des êtres et des choses. Elle est action, elle circule pour relier et concilier», écrit-il. C’est Amadou Hampâté BA (Voir mon article, Médiapart, 15 mai 2021) qui a théorisé que l’Homme c’est sa parole, et la parole est l’Homme «L’Africain, qui n’a pas cessé d’être lui-même, aime mieux mourir que trahir la parole une parole donnée ou un engagement pris», dit Ahmadou Hampâté BA. On ne revient pas sur sa parole. On estime aussi bien maître Abdoulaye WADE que Macky SALL ont été sanctionnés par le peuple sénégalais, pour n’a pas honoré leur promesse de limitation du mandat présidentiel. Birama DIOP soulève ici une question majeure en politique. Les Occidentaux ont souvent accordé peu d’importance à la tradition orale africaine, estimant que l’écrit serait supérieur à la simple parole donnée. Or, on s’aperçoit qu’en France, les programmes électoraux qui sont écrits ont été peu respectés. Ainsi, Jacques CHIRAC avait théorisé «la fracture sociale», François HOLLANDE, «le changement, c’est maintenant», Emmanuel MACRON, son «Ni de droite, ni de gauche» et le Rassemblement national fait miroiter «une immigration zéro», dans une société mondialisée, interconnectée et une France déjà métissée. En Afrique en particulier, le respect de la parole donnée a été abîmé par d’une part, les régimes militaires, promettant à chaque fois une période transitoire, une remise du pouvoir aux civils ainsi que l’organisation d’élections démocratiques, et d’autre part, ce que j’appelle les régimes monarchiques et dynastiques, tripatouillant la Constitution, afin de se maintenir, durablement, au pouvoir.
Birama DIOP recense également l’irruption de l’irrationnel dans le processus de légitimation du pouvoir politique, à savoir le marabout et le sorcier, ainsi que l’ethnicité. Léopold Sédar SENGOR a considéré que l’Africain est profondément religieux et superstitieux. «Au centre du système, l’animant, comme le soleil notre monde, il y a l’existence, c’est-à-dire la vie. C’est le bien par excellence, et toute l’activité de l’homme ne tend qu’à l’accroissement et à l’expression de la force vitale», écrit, en 1956, dans un article, «l’esprit de la civilisation ou les lois de la culture négro-africaine». En fait, la donne nouvelle, c’est qu’aussi, au-delà de l’aspect superstitieux ou religieux de l’Africain, ces données sociologiques sont de nos jours une technique de partage du pouvoir. Les religieux, comme les groupes ethniques, se constituent de fortes clientèles politiques afin de les monnayer au pouvoir politique.
L’Occident, une culture de l’écrit, a toujours mis la littérature «au service du pouvoir, en cherchant à l’embellir et à le justifier par la manipulation ingénieuse des signes linguistiques», écrit Birama DIOP. En Afrique, l’oralité, et donc le griot, a toujours joué «un rôle prépondérant dans le processus de légitimation ou de validation du pouvoir politique», écrit Birama DIOP. El Hadji Omar TALL (Voir mon article, Médiapart, 28 mars 2019), dans sa conquête du Soudan, avait savamment fait recours aux griottes qui avaient chanté pour lui «Taara», un hymne qui nous est parvenu et repris par Baaba MAAL. Au Sénégal, on a connu des griots célèbres de gouvernants : Léopold Sédar SENGHOR avait sa griotte attitrée, Yandé Codou SENE (1932-2010), mais aussi le talentueux Laye M’BOUP (Voir mon article, Médiapart, 20 septembre 2021), Mansour M’BAYE sous la présidence d’Abdou DIOUF, et sous la présidence Macky SALL, Farba NGOM, devenu milliardaire, violent à l’égard du maire de Bokidiawé et arrogant face à l’opposition de l’époque, avait théorisé le concept de «titre foncier» au Fouta-Toro. L’élément sans nouveau, c’est que la politique a quitté le domaine de la culture orale, pour basculer dans le folklore de bas étage, pour des raisons mercantiles. L’argent a tout pourri dans les sociétés africaines, et en particulier au Sénégal. Tout s’achète. Mais cette légitimité folklorique est fragile, en ce sens qu’elle n’est pas authentique. D’autres formes de griotisme moderne sont apparues à travers les prétendus influenceurs.
Références bibliographiques
DIOP (Birama), Pouvoir et légitimité. L’État africain sur scène, préface de Fabrice Flipo, Paris, l’Harmattan, 2022, 257 pages ;
DIOP (Birama), Ousmane SONKO, le génie politique, Paris, l’Harmattan, 2023, 138 pages ;
BA (Amadou, Bal), «Le livre de Birama DIOP : «Ousmane SONKO, le génie politique». Quelles lecture et évaluation de cette biographie ? Génie ou populisme ? Dire n’est pas faire», Médiapart, 18 mai 2024 ;
BA (Amadou, Bal), ««Sénégal : législatives du 17 novembre 2024. Le PASTEF d’Ousmane SONKO remporte la majorité. Un véritable triomphe, mais pour quoi faire ? Quels rapports de forces au sein de l’opposition, l’avenir de l’APR et de Amadou BA ?»», Médiapart, 18 novembre 2024.
Paris, le 29 novembre 2024, par Amadou Bal BA