Le viol et l’inceste tuent l’avenir des femmes. Les cas suivis de grossesse sont encore plus douloureux. Elles passent de victimes à bourreaux. L’avortement passe pour la deuxième cause qui conduit des femmes en prison ( 16%) et l’infanticide ( 3%) selon la dernière étude de l’association des juristes sénégalaises ( AJS) . En 2012 plus de 51000 avortements ont été provoqués au Sénégal. L’étude de Guttmacher Institute sur la question a donné ces chiffres. 17600 femmes ont connu des complications. Des hémorragies aux infections en pensant par des poursuites judiciaires, la prédestination de plusieurs femmes demeure scellée. Cela, par la pratique clandestine, une réplique directe de l’interdiction.
« L’infanticide est un crime. Sa proportion est inquiétante. Souvent les femmes auteurs, sont victimes de viol et où d’inceste. Elles préfèrent tuer leur enfant au lieu de faire face aux ‘’valeurs’’ de la société. Malheureusement, elles finissent sous le coup de la loi » explique l’ex président des jeunes avocats du Sénégal (AJAS). Me Ousmane Thiam note que la loi risque d’être discriminatoire. « Les personnes qui ont les moyens pratiquent l’avortement dans le secret des cliniques, celles pauvres font recourt à des pratiques dangereuses parfois traditionnelles aux risques et périls de leur vie et liberté ». Un projet de loi est donc en gestation.
Le Sénégal a signé et ratifié des instruments juridiques sur l’avortement. Ce, au niveau international, régional et même au niveau sous-régional. Aujourd’hui encore la loi au niveau pays interdit la pratique. Une loi portant avortement médicalisé en cas de viol et d’inceste, demeure au stade de plaidoyer d’organisations de droits humains.
LA POLITIQUE PENALE FACE AU PROTOCOLE DE MAPUTO
Depuis 2013, le comité de plaidoyer pour l’avortement médicalisé en cas de viol et d’inceste au Sénégal est mis sur pieds. L’entité regroupe 22 organisations de la société civile. Elle a pour objet de mener des stratégies visant à sensibiliser les décideurs et les publics sur la nécessité de réformer la loi. Le plaidoyer vise à pousser les autorités à harmoniser l’article 14 du protocole de Maputo qui agrée l’avortement médicalisé. Amy Sakho, porte-parole de l’Association des juristes sénégalaises ( AJS)et coordonnatrice du comité note cependant que les articles 305 et 305 bis du code pénal sénégalais interdisent et condamnent l’avortement. Il n’ est autorisé que lorsque la grossesse met en danger la santé de la mère. Aujourd’hui, une proposition de projet de loi est encore sur la table du ministère de la justice. « Sidiki Kaba ( ancien ministre de la justice garde des sceaux de l’ère Macky Sall) l’avait reçu, depuis, on a connu deux autres ministres et l’essentiel est que le débat soit posé et que les gens en parlent. «Me Ousmane Thiam, avocat à la Cour et ancien président de l’Association des jeunes avocats du Sénégal ( AJAS), explique que les traités signés et ratifiés ont une valeur supranationale par rapport à la loi. Le protocole de Maputo devrait permettre l’avortement en cas de viol et d’inceste. C’est d’ailleurs ce protocole qui a agité le plaidoyer pour une loi en cas de viol et d’inceste. La politique pénale appartient aux Etats, c’est une question de souveraineté. Ce qu’il faudrait faire, c’est modifier l’article 305 pour se conformer aux normes internationales que le Sénégal a signé.
Amy Sakho et Me Ousmane Thiam reviennent sur les incohérences des textes dans cette vidéo.
Le Blocus des religions
La religion musulmane (93%) et celle chrétienne ( 5%) dominent au Sénégal. Elles sont garantes de certaines valeurs conformément aux enseignements de la bible et du Coran. La question de l’avortement est diversement interprétée chez les musulmans. Il existe quatre écoles (04) ou rites . L’Eglise elle, est catégorique. L’avortement sous quelques formes qu’il puisse être, attente à la vie humaine et est contraire aux recommandations de la Bible.
La nuance des 120 jours chez les écoles musulmanes..
L’Imam El Hadji Omar Diène est catégorique. L’islam interdit l’avortement. « Ce n’est permis que dans la dynamique de sauver une vie. Par exemple quand le fœtus est malade ou quand la santé de la mère est menacée. Sinon la pratique heurte les préceptes de la religion musulmane ».
L’imam Diène apporte une nuance qui, à ses yeux est de taille. ‘’Quand l’islam parle d’avortement, il ne fait pas allusion aux femmes non mariées. A ces dernières, il est interdit de s’amuser avec le sexe parce que la pratique peut avoir de conséquences’’.
L’islam ne compte pas de jours selon l’imam Diène. Des que les chromosomes s’accrochent, il est interdit de faire des tractations pour nuire à la vie. Il est vrai, dit-il, que c’est à partir du 122iéme jour que le cœur de l’enfant commence à battre. Mais ce n’est pas le point de départ. La vie commence dès le rapport sexuel. Même les victimes de viol et d’inceste doivent garder leur enfant. Quid du projet de loi portant avortement médicalisé pour les cas de viol et d’inceste? La réponse d’imam Diène est catégorique. ‘‘Ça ne doit pas passer. Mieux, nous rappelons les députés à l’ordre. Il ne faut pas qu’un jour, ces gens votent la loi’’.
Imam Moussé Fall va à l’encontre de cette analyse. Selon lui, il existe plusieurs interprétations autour de l’avortement. Même si, le principe de base de l’avortement est l’interdiction, des exceptions sont à noter. Le président de l’association des imams en santé de la population et développement cite les cas de viol d’inceste et les situations où la vie de la femme est menacée. « La femme ne doit pas subir un préjudice à partir de ce qu’elle porte dans son ventre ( Baqarah, la vache, sourate 02). Il en est de même pour une femme qui contracte une grossesse des suites d’un viol et ou d’inceste. Il faut pratiquer l’avortement avant les 120 jours. Et là, l’on se réfère à la sourate Muminune entre les versets 12 et 14 qui définit les étapes de la grossesse.
…le niet catégorique de l’église
L’église ne saurait aller à l’encontre de la recommandation divine qui interdit l’avortement. C’est ce que déclare l’Abbé Alphonse Seck, prêtre de l’archidiocèse de Dakar et Secrétaire général de CARITAS/SENEGAL
Selon lui, la position de l’église part du principe que la vie humaine est sacrée. L’enfant dès sa conception a droit au respect de sa vie. L’écriture Sainte qui est la référence rappelle incessamment que la vie est l’affaire de Dieu. Il ne revient pas à l’humain d’en faire ce qu’il veut. Entre la vie (battement du cœur) et la conception ( il y a 120 jours), la religion chrétienne considère qu’ Il y a une vie humaine dés le moment de la conception. L’église dit non à l’avortement sauf pour les cas qui menacent la santé de la mère.
Abbé Alphonse Seck, Les imams El hadji Oumar Diène et Moussé Fall reviennent sur cette vidéo ….
L’ASSEMBLEE NATIONALE, UN PLAIDOYER SUR L’ANGLE MEDICAL
Docteur Mbayang Guèye Dionne fait partie de la douzième législature de l’assemblée nationale du Sénégal. Celle qui a été là, pendant que le sujet a été agité La parlementaire était la deuxième vice-présidente de la commission santé de la population, des affaires sociales et point focal de la santé de la reproduction ( SR). La député considère que le Sénégal est très en retard sur la question du fait de la tradition et des religions qui sont réfractaires. Pourtant, elle pense qu’il faut sensibiliser les religieux.
Ces derniers, dit-elle, ont besoin d’être informés sur les conséquences sanitaires de l’avortement clandestin. L’inceste et le viol ont un impact négatif sur toute la ligne. La victime est atteinte sur les plans psychologique, physiques, psychique. Les conséquences sont d’autant plus graves que ces forfaits sont suivis de grossesse.
Tout de même, précise docteur Guèye Dionne : ‘’On ne nous a pas présenté de texte de projet de loi portant légalisation de l’avortement médicalisé en cas d’inceste ou de viol. Nous avons simplement été sensibilisé sur la question, en attendant que le vote soit soumis à l’Assemblée nationale. La proposition de projet de loi est toujours au niveau du ministère de la justice », dit-elle. En sa qualité de membre de la commission santé de l’Assemblée nationale, elle affirme qu’il faut: « sensibiliser les députés sur l’angle de la santé, il faut plus miser sur la santé de nos compatriotes. Il s’agit de faire comprendre aux populations en générale, aux parlementaires qui doivent voter la loi en particulier, que la pratique sera encadrée. Ainsi ils vont se départir de l’idée selon laquelle, cela n’aboutirait qu’à engendrer la débauche’’
Juliette Paule Zinga est membre de la Commission santé de la 13iéme législature. A l’assemblée nationale, la loi était déjà présentée. Seulement du fait d’un blocus, le projet de loi avait été retourné. Selon elle, il faut encore beaucoup de sensibilisations, les parlementaires de même que le peuple qu’ils représentent ne sont pas suffisamment informés. La clé de Juliette Paule Zinga pour une loi portant avortement médicalisé en cas de viol et d’inceste, serait de faire comprendre à toutes les parties prenantes que ce n’est pas une question de vagabondage mais de survie. Elle va plus loin dans cette vidéo.
La volonté politique, face à la peur de l’appréciation de la masse
Certaines valeurs qui sont défendues au niveau international passent difficilement chez nous. La tradition des familles, les croyances sont réfractaires à certaines formes d’organisations. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’Etat doit faire très attention. Même l’usage des termes peut être agressif par rapport à notre entendement. On est une société de croyances et les religions n’adhérent pas à tout. Aussi, on ne peut suivre le monde occidental, selon le docteur Samba Cor Sarr, responsable de la recherche au niveau du ministère de la santé. Ecoutez….
Quand la clandestinité tue les femmes
Le Docteur Amadou Sow médecin, inscrit au DS de médecine légale explique que dans le code de déontologie médicale, il est permis au médecin à travers l’article 35 de pratiquer l’avortement. Cela, après avoir respecté un certain nombre de critères. Mais dans ce cadre, on parlera d’avortement médicalisé, voire thérapeutique. Il s’agit en effet, de sauver la vie de la mère. Il trouve les bases légales dans le fait que la non- assistance à une personne en danger est un délit et il faut donc sauver la mère. Dans un autre sens l’interruption volontaire de grossesse que se soit médicalisée ou pas, n’a pas de base légale et donc pas permise par le code de déontologie médicale.
Le docteur Sow explique la faisabilité dans cette vidéo
Adja Mariéme Fall, Sage-femme d’Etat, Conseiller technique en santé maternelle néonatale, Planification Familiale, hypertension artérielle, Présidente honoraire de l’association nationale des sage-femmes au Sénégal résume les conséquences de la pratique clandestine de l’avortement. Pour elle, l’acceptation de la planification familiale peut être l’alternative. Ainsi les mortalités liées à l’avortement peuvent être évitées. Pour des cas extrêmes, on devrait arriver à un niveau où l’avortement médicalisé soit permis. « On sauvera ainsi des vies de femmes si la loi venait de prendre naissance. Dans les pays où c’est légalisé, le taux d’avortement a baissé, il ne s’agit pas de libéraliser mais de structurer et d’encadrer pour éviter le dérapage. ‘’Elle donne plus de détail dans cette vidéo
La souffrance des enfants qui n’ont pas demandé à naître
« On interdit l’avortement à la femme et on le permet à l’homme ». Voilà la lecture que la coordonnatrice du comité de plaidoyer pour la loi de l’avortement clandestin fait de l’indication de paternité. « je l’explique souvent comme ça à nos étudiante au niveau de l’association des juristes sénégalaises » a notifié Amy Sakho. Il s’agit dit-elle en même temps d’un important nombre de droits qu’on prive à un enfant qui n’a pas demandé de naître. Me Ousmane Thiam, ajoute que : « l’Article 196 du code de la famille fait état de l’interdiction de l’action en indication de paternité. L’établissement de la paternité est interdit à tout enfant qui n’est pas présumé issu du mariage de sa mère ou n’a pas été volontairement reconnu par son père. « L’islam ne reconnait pas le père. Il est banni, et l’enfant est né enfant naturel. Du point de vue de sa filiation, il a une mère. Il n’a pas droit à l’héritage. On peut lui concéder une part. Cependant cela n’est pas obligatoire. On le fait d’un commun accord des membres de la famille à laquelle, il appartient. Il n’est même pas cité dans les textes islamiques « de l’avis de l’imam El Hadji Omar Diène président de l’association des imams et Oulémas.
L’Abbé Alphonse Seck est catégorique sur la question: » il ne faut pas qu’ils subissent une double peine. Le contexte de leur naissance est particulier, ils ne doivent pas être stigmatisés, ils n’ont pas demandé à venir au monde c’est des circonstances qui ont fait qu’ils soient là »,dit-il. Et de poursuivre, « pour l’église, ces enfants n’ont aucune différence entre ceux nés d’une relation normale ». S’agissant de l’héritage des enfants sur la fortune du pater incestueux, l’église, contrairement à la religion musulmane, ne légifère pas. « On laisse la question à la société civile », conclut Abbé Alphonse Seck.
CONFIDENCE : QUAND LES VICTIMES DEVIENNENT LA RISEE DE LA SOCIETE
Tribunal des flagrants délits de Dakar, Zacharia Sèye, 34 ans fait face au juge. Il est poursuivi pour détournement de mineure, viol suivi de grossesse sur une élève de 17 ans. Sa supposée copine en plus de supporter une grossesse à son âge devra faire face au refus de paternité de son ‘’bourreau ». Le mis en cause encourt 5ans de prison ferme. Peine requise par le parquet.
Si dans ce cas, la mère de la victime à ester en justice, Awa ( Nom d’emprunt) elle, était abandonnée à son sort. Victime de viol et d’inceste, elle a porté sa grossesse et s’est retrouvée dans une situation à devoir protéger le père de son enfant. Celui là, n’est outre que le frère de son paternel. Son acte lui retombe dessus. Aujourd’hui encore, l’enfant incestueux n’est pas déclaré. Sa filiation pose problème. Le récit poignant de sa confidence revient en détail sur le calvaire qu’elle a vécu, toute seule…. ( En wolof)
PSYCHOLOGIE : perpétuelles séquelles du viol et de l’inceste
Une séance de consultation psychologique avec Khayra Thiam, Psychologue clinicienne, nous plonge dans l’intimité des victimes de viol et d’inceste. L’avortement médicalisé est une opportunité qu’on peut donner aux victimes. Il s’agit de leurs éviter de subir une double peine en vivant avec le fils incestueux. Mais, il y a besoin de prendre en considération l’avis de la personne concernée et comprendre ce qu’elle veut réellement.
Les conséquences liées au viol et l’inceste sont désastreuses, selon Mme Thiam. « Il n y a pas de comportements types de victimes de viol ou d’incestes. Il n’est pas justifié qu’elles doivent avoir tels ou tels symptômes. Cela varie d’une personne à une autre’’. A l’en croire, ces comportements sont sujets de leurs capacités psychiques, du groupe dans lequel elles évoluent. Il n y a pas de ‘’ elles doivent’’. Seule la réponse de l’environnement est déterminante. Chez les psychologues d’ailleurs on ne parle pas de viol et d’inceste mais de psycho-traumatismes
Les signes sont nombreux. Quid de ce qui sont victimes de viol suivi de grossesse, elles sont surprises et ne veulent pas comprendre ce qui leur arrive. Chez les victimes d’inceste, c’est plus long. Elles vivent avec les auteurs. Rien ne leurs permet de comprendre comment mettre au monde un ‘’frère-fils’’ un ‘’cousin-fils’’. C’est pour cette raison, qu’un problème psychique supplémentaire s’ajoute à leur traumatisme. La clinicienne démontre que l’environnement est très important. Le regard de la famille, de la société. Si, au niveau familial, le soutien faillit, elles subissent une double peine.
Pour ce qui est des enfants incestueux, l’affection n’est pas toujours au rendez-vous. De manière générale, la relation mère enfant n’est pas idéale. Le lien d’attachement varie d’une personne à une autre.
Khayra Thiam, Psychologue clinicienne, détaille les perpétuelles séquelles du viol et de l’inceste dans la vidéo…
Sur tous les plans les viols et incestes suivis de grossesse sont une calamité. Ils n’épargent personne. La mère et son enfant en patissent grandement. Aujoud’hui encore des couches de la société sont réfractaires à l’avortement médicalisé dans ces cas. Mais, il y a des acquis et le marathon se poursuit. Un plaidoyer pour que l’enfantement soit un désir.
Yandé Diop
Fara Mendy (images/montage)