«Amos OZ (1939-2018) romancier israélien des familles malheureuses, militant de la paix, pour deux Etats Israélien et Palestinien» par Amadou Bal BA –
Amos OZ est sans doute le grand écrivain Israélien de tous les temps ; il aurait pu décrocher le Prix Nobel n’eût été son engagement fortement marqué à gauche, et, en particulier, son combat pour deux Etats : Israël et la Palestine vivant en paix. La langue littéraire d’Amos OZ, rocailleuse et poétique, est celle d’un hébreu classique, avec une connaissance approfondie de la bible et du Talmud, ainsi qu’un sens aigu de l’humour. «Sa patrie, ce sont les mots d’une langue née au même siècle que lui – née ou plutôt ressuscitée, après dix-sept siècles de sommeil. Leur sonorité rude, presque râpeuse, la syntaxe compacte et riche en nuances qui les réunit dans le giron de l’hébreu, dont il est sans doute l’écrivain vivant le plus célèbre», écrit Raphaëlle REROLLE. Amos OZ disait qu’il avait deux stylos, l’un pour la littérature, l’autre pour son engagement au service de la paix.
Amos OZ né le 4 mai 1939 à Jérusalem. Ses parents sont des Juifs nés en Europe de l’Est. Son père, Yeruda Arich KLAUSNER (1910-1970), né à Odessa (Ukraine), est arrivé en 1933 en Palestine encore sous mandat britannique. Sa mère, Fania MUSSMAN (1913-1952), née à Rovno (Ukraine), diplômée de l’université de Prague, est fragile et sensible devant les graves difficultés des nouveaux immigrants juifs ; elle se suicide en janvier 1952. En 1954, et en raison de ce drame, il change son patronyme KLAUSNER, signifiant «les reclus», en nom d’écrivain : «OZ», ou «la force» en hébreu. «Après le suicide de ma mère, je me suis rebellé contre le monde des livres, cet univers de bibliothèques et de mots dans lequel je baignais. J’ai quitté la maison paternelle pour m’installer au kibboutz. J’ai choisi de travailler la terre» dit Amos OZ. En effet, la littérature sera, pour lui, une sorte de cathédrale érigée à la gloire et au souvenir de sa mère. Aussi, le thème principal de sa contribution littéraire est focalisé sur les familles malheureuses. Amos OZ, dont le père a émigré en Angleterre, prend la décision d’aller vivre dans un Kibboutz, à Houlda. Il se marie le 5 avril 1960 à Nily ZUCKERMAN née le 25 avril 1939 et qui lui donne trois enfants : Fania, née le 28 octobre 1960, professeure de littérature qui veille sur son héritage littéraire, Gallia, née le 8 juin 1964, prétendant avoir été battue par son père, et Daniel, né le 25 janvier 1978. De sa fenêtre, Amos OZ avait une connaissance fine et intime des familles vivant dans cet univers reclus, leurs joies comme leurs peines. En 1986, Amos OZ, professeur de littérature, et sa famille quittent Houlda, où il a enseigné pendant plus de 25 ans, pour s’installer à Arad, dans le seuil du désert du Néguev, dans le Sud du pays.
Sa contribution littéraire témoigne aussi de son engagement pour sa génération et son pays, en faveur de la paix et de la fraternité, une exigence d’humanisme et de justice. Il est en guerre contre la corruption de la langue par des manipulations politiques «Un écrivain, ce n’est pas un dentiste, pas non plus le directeur d’une compagnie d’aviation. Le seul rôle de l’écrivain, c’est de raconter des histoires. Très souvent, j’ai écrit des articles en réaction à ce qui me semblait être une perversion de la langue. Il y a cinquante, soixante ans, lorsque j’ai entendu des gens parler de « territoires libérés », j’ai immédiatement pris mon stylo pour écrire un article ; c’était pour dire que des territoires libérés cela n’existe pas. Le mot «libéré» n’existe que pour les humains. Quant à la libération de la terre, c’est juste un mythe. Un mythe dont on meurt. J’écris donc des articles politiques qui, pour la plupart, naissent d’une corruption, d’une manipulation de la langue», dit-il au journal «Le Point». En effet, Juif laïque et de gauche, sioniste, Amos OZ était aussi préoccupé du droit des Palestiniens à avoir une patrie à côté d’Israël, parce qu’ils vivent sur ce territoire bien avant l’émergence de l’Empire ottoman.
I – Amos OZ, une littérature sur les familles malheureuses
A – Amos OZ et son roman, «une histoire d’amour et de ténèbres»
«Une histoire d’amour et de ténèbres», un pavé de 852 pages brasse plusieurs thèmes très intéressants, voire passionnants : de la construction de l’État d’Israël aux débats sur le sionisme, le conflit israélo-palestinien, la responsabilité des Britanniques dans l’échec du plan de partage de la Palestine à l’ONU en 1947, qui a provoqué une guerre interminable et de nombreuses victimes et même un diplomate assassiné, le comte suédois Bernadotte. Le roman, en partie autobiographique, est aussi un éloge de la littérature ; «J’étais un enfant des mots. Depuis ma tendre enfance, se souvient-il, j’étais en quelque sorte la victime d’un lavage de cerveau méthodique : le sanctuaire du livre de l’oncle Yosef, le cachot à livres de mon père, chez nous, à Kerem Avraham, les pages des livres où se réfugiait ma mère, les poèmes de grand-père Alexandre, les romans de notre voisin, M. Zarchi, les fiches et les jeux de mots de mon père, sans oublier les étreintes de Saül Tchernikhovsky et les raisins secs de M. Agnon, qui projetait plusieurs ombres à la fois», écrit-il. Enfant unique, très solitaire, le petit Amos baigna dans une atmosphère idéologique nourrie par le sionisme nationaliste de Vladimir JABOTINSKY (1880-1940) et de Menahem BEGIN (1913-1992). Elevé exclusivement en hébreu, alors même que son père parlait onze langues, Amos était un «petit chauvin déguisé en pacifiste. Un nationaliste hypocrite et doucereux, un « fanatique», écrit-il.
Le thème le plus poignant du roman est la quête sans fin d’Amos OZ pour comprendre sa mère, mélancolique et rêveuse, belle et fantaisiste et son geste irrémédiable. Amos a vu le jour à Jérusalem, dans le quartier populaire pauvre et a vécu dans la promiscuité, le multiculturalisme et les tensions sociales. «Je suis né et j’ai grandi dans un rez-de-chaussée exigu, bas de plafond, d’environ trente mètres carrés : mes parents dormaient sur un canapé qui, une fois ouvert pour la nuit, occupait presque entièrement l’espace, d’un mur à l’autre de la chambre. En vis-à-vis se trouvait ma chambre, un réduit glauque à moitié envahi par une armoire ventrue», écrit-il. Ses parents des immigrants juifs sépharades, d’Europe de l’Est n’ont pas au départ, été bien accueillis. Il évoque donc le désenchantement, la pauvreté et les rêves brisés de ses parents «Je porte le deuil de ce qui n’a jamais existé. De belles images que nous imaginions et qui se sont effacées», écrit-il. Son père avait voulu être universitaire, mais s’est retrouvé bibliothécaire, et sa mère, issue d’une famille aisée n’a pu donner que quelques leçons de littérature ou d’histoire ; ce qui constitue un déclassement.
B – Amos OZ, une littérature du Kibboutz
Amos OZ a grandi et s’est marié dans un Kibboutz, un lieu par excellence de l’identité juive. Ainsi, en 1966, dans «Ailleurs, peut-être», le récit prend place dans un kibboutz israélien, avec ses liens affectifs et familiaux complexes, mais aussi un voisinage sous la tension, la frontière jordanienne étant à kilomètres. Si la solidarité est la règle, elle n’empêche pas la médisance. Tout le monde est au courant de tout ce qui se passe chez les voisins, rien ne peut rester secret bien longtemps. C’est la vie de tous les jours avec ses petits drames, ses commérages et ses joies naïves noyées dans la fraternité d’une collectivité au travail pour une même cause. Reouven Harich, poète et instituteur, abandonné par sa femme, Eva, qui lui a préféré le luxe tapageur d’un Juif retourné en Allemagne, reporte toute son affection sur sa fille Noga et son fils Gaï. Et puis, il a une liaison avec la femme de Ezra Berger, Bronka. Noga, elle, a l’espièglerie de ses seize ans, et repousse les élans maladroits de son jeune amoureux pour se jeter dans les bras du rustre Ezra Berger. Et c’est de nouveau le drame, sordide.
«Au début de la fondation du kibboutz, nous formions une grande famille. Bien sûr, tout n’était pas rose, mais nous étions soudés. Le soir, on entonnait des mélodies entraînantes et des chansons nostalgiques jusque tard dans la nuit. On dormait dans des tentes et l’on entendait ceux qui parlaient pendant leur sommeil. Mais même dans une petite communauté très attachée aux principes idéologiques, les affaires de cœur prennent parfois toute la place» écrit Amos OZ dans «Entre amis». Le Kibboutz, ou assemblée en hébreu, est une forme primitive du communisme, concernant le partage, l’idéologie, la solidarité et la liberté. Cependant, Amos OZ scrute les passions et les faiblesses de l’être humain, fait surgir un monde englouti et nous offre surtout un grand livre mélancolique sur la solitude. La nature brutale de l’homme ne change pas. On ne réussit jamais à éradiquer définitivement l’envie, la mesquinerie ou la jalousie. Dans «Les terres du chacal», une réinterprétation de la légende biblique de Jephté, les personnages ont perdu leurs illusions. Ils sont amers, aigris ou tout simplement insensibles à la situation des autres, et ont ainsi perdu la voix de la raison, la modération ou le bon sens. L’atmosphère est sombre et crépusculaire, et les chacals symbolisent toutes ces peurs irrationnelles de la nuit, ainsi que la discorde, même au sein des familles que l’on croyait les plus unies. «Toucher l’eau, toucher le vent» relate le voyage d’Elisha Pomerantz, un mathématicien juif fuyant la persécution nazie à travers l’Europe de l’est pour atterrir en terre d’Israël, où l’attendent d’autres conflits. Stepha, la femme du héros, frappée par le désenchantement de vivre maintenant dans la Terre promise, un Kibboutz, où en fait partout règnent la bêtise et la mesquinerie.
II – Amos OZ, un militant de la paix et de la fraternité entre Juifs et Palestiniens
Après avoir pris part à la guerre des Six Jours en juin 1967, Amos OZ milite désormais dans le mouvement contre l’annexion des Territoires palestiniens. En 1978, dans la foulée des accords israélo-égyptiens de Camp David, qui conduiront à la signature d’un traité de paix, il est un des fondateurs de «La Paix maintenant», la première organisation israélienne opposée à la colonisation dans les Territoires palestiniens. Ses ennemis le qualifient de «Judas». Dans les années 1990, il quitte le parti travailliste pour rejoindre le Meretz, plus à gauche, dont la priorité est la paix avec les Palestiniens. «La paix n’est pas seulement possible, elle est inévitable, parce que nous n’avons nulle part ailleurs où aller et les Palestiniens non plus», disait-il en septembre 2016 lors de l’éloge funèbre de son ami Simon PERES (1923-2016), Prix Nobel de la Paix.
A – Amos OZ, un « traître », un Judas, à la cause du sionisme ?
Dans son roman, «Judas» il a déconstruit la Bible. En effet, le traître n’est pas toujours celui que l’on stigmatise : «J’ai lu l’histoire de Judas, les trente pièces d’argent, le baiser, la crucifixion, et ça m’a mis en colère, cette histoire ne tient pas debout. Qu’est-ce que représentent ces trente pièces d’argent ? 600 euros d’aujourd’hui. Judas n’était pas un pauvre pêcheur de Galilée, c’était un homme riche qui avait de la terre et des esclaves. Pourquoi aurait-il vendu son maître pour six cent euros ? » s’interroge Amos OZ, lui-même accusé par les Juifs fondamentalistes d’être un «Traître » à la cause du sionisme. C’est quoi être un traître quand on appelle à la paix entre Palestiniens et Juifs ? Abraham LINCOLN, du point de vue des Sudistes esclavagistes, était un traître et a été assassiné. Charles de GAULLE, pour les colonialistes et partisans de l’Algérie française, a failli perdre la vie lors de l’attentat du Petit Clamart. Anouar EL-SADATE, comme Menahim BEGUIN ou Yitzhak RABIN, ont été assassinés pour être avoir eu le courage et la lucidité de prendre le seul chemin qui vaille, celui de la négociation pour la paix. On ne fait pas la paix avec ses ennemis, mais non avec ses amis. Voilà depuis 75 ans que dure cette guerre entre Israéliens et Palestiniens avec de nombreux morts, blessés et déplacés, aucun camp n’ayant réussi à anéantir l’autre ; les faucons ne connaissent que le discours de la haine et de la violence ; ils réclament encore du sang et des larmes et demandent encore de foncer joyeusement dans le mur.
Qui est donc le traître ?
On n’entend que les faucons, toujours assoiffés de sang, dans une démarche victimaire et hautement conflictuelle, réclamant sans cesse un soutien exclusif et inconditionnel, sans aucun examen de conscience. Chaque camp diabolise l’autre en le qualifiant de «terroriste» afin de pouvoir justifier la poursuite de cette logique meurtrière, de liquidation totale de l’adversaire. Curieusement, l’Arabie Saoudite et le Qatar, rangés dans le camp occidental, qui financent massivement le fondamentalisme musulman, ne sont pas considérés comme des pays «terroristes». L’Iran et la Syrie sont «les bêtes noires» des conservateurs. Entre «barbares» et «civilisés», la fin justifie les moyens : «Le fanatisme n’est pas l’apanage d’Al-Qaïda, de Daech, du Front al-Nosra, du Hamas, du Hezbollah, des néonazis, des antisémites, des partisans de la «suprématie blanche», des islamophobes, du Ku Klux Klan, des «voyous des collines», israéliens et autres adeptes de l’effusion de sang pour imposer leurs croyances. Ces fanatiques et consorts nous sont familiers. Ils sont visibles. On les voit chaque jour à la télévision, l’invective à la bouche, brandissant le poing devant les caméras en scandant des slogans tonitruants. Combattre les extrémistes ne veut pas dire les anéantir tous, mais plutôt contrôler le petit fanatique qui se cache en nous. En effet, le germe visible, ou latent, du fanatisme se cache souvent derrière diverses manifestations de dogmatisme intransigeant, d’insensibilité, voire d’hostilité envers des positions que l’on juge inacceptables. L’une des principales caractéristiques du fanatique est sa propension à vous modeler à son image. Il veut vous convertir sur-le-champ, vous persuader de quitter votre monde et d’adopter le sien» écrit Amos OZ, dans «Chers fanatiques». «La guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens. La guerre est soumise à la politique ; elle n’est pas un phénomène autonome» disait Carl Von CLAUSEWITZ (1780-1831). Par conséquent, le rôle d’un dirigeant politique n’est pas en permanence de faire vivre sa population en insécurité et en guerre, mais de rechercher son bien-être. «La haine aveugle gomme les différences entre les deux camps antagonistes», écrit Amos OZ.
Le mouvement, «La Paix maintenant» en hébreu «Chalom Akhshav», fondé en 1978 par Amos OZ (1939-2018), romancier et Amir PERETZ, ancien ministre de la défense, un Juif d’origine marocaine, et collaboration avec 300 officiers de réserve de l’armée israélienne, tout en se réclamant du sionisme, a pour objectif de convaincre l’opinion publique et le gouvernement israélien qu’il est possible et nécessaire d’aboutir par la négociation, d’abord, à «une paix juste et durable fondée sur le principe de deux peuples, deux États, une réconciliation entre Israël et le future État Palestinien et les autres pays arabes voisins». La solution, à deux Etats voisins, Israël et la Palestine vivant en paix, est la seule viable. C’est «la seule solution, selon nous [La France], qui permettra d’assurer durablement que les deux peuples vivent en paix et en sécurité», a déclaré Catherine COLONA, Ministre des affaires étrangères de la France. «Faisons en sorte qu’émerge une Autorité palestinienne qui soit représentative et capable de mener des négociations. De ce point de vue-là, Israël a une responsabilité, car il a tout fait pour diviser. En effet, avoir un Etat constitué à côté de soi vaut mieux que d’avoir un pullulement d’organisations terroristes, un chaudron mortifère qui vous menace à chaque instant», dit M. Dominique de VILLEPIN, ancien Ministre des affaires.
Aussi bien Israël que la Palestine ont un grand intérêt à une paix négociée. Israël, en raison de son savoir-faire, notamment dans les domaines de l’agriculture, du business, du renseignement et de la défense, aurait tout le monde arabe et africain, comme partenaires. Les Palestiniens, 5 millions d’habitants, sortiraient du territoire minuscule dans lequel ils sont enfermés, certains travaillaient en Israël, et pourraient mieux circuler à travers le monde entier. «Qui sont les bons ? Qui sont les méchants du film ? Pendant la guerre du Vietnam, c’était facile. Le peuple vietnamien était la victime, les Américains du mauvais côté. Avec l’Apartheid, pareil : l’Apartheid était un crime. Mais lorsqu’il s’agit du conflit israélo-palestinien, les choses se compliquent. Je ne résoudrais rien en désignant d’un côté les anges, de l’autre les démons. Ce n’est pas une lutte entre le Bien et le Mal. Mais plutôt une tragédie au sens ancien, un conflit entre deux causes justes. Les Palestiniens sont en Palestine, parce que la Palestine est la patrie, et la seule patrie, du peuple palestinien. Les Juifs sont en Israël, parce qu’il n’y a aucun autre pays au monde que les Juifs, en tant que peuple, peuvent appeler leur patrie. Les Palestiniens veulent le pays qu’ils appellent la Palestine. Les Israéliens veulent exactement le même pays, pour exactement les mêmes raisons. Cela donne lieu à une tragédie. Le mot compromis a mauvaise réputation. Pour moi, le mot compromis signifie la vie. Le contraire du compromis, pour moi, signifie le fanatisme et la mort. Un compromis signifie que le peuple palestinien, pas plus que le peuple juif israélien, ne sera écrasé et humilié» écrit Amos OZ dans «Aidez-nous à divorcer ! Israël-Palestine, deux Etats maintenant». Juif laïque de gauche, Amos OZ tout en faisant l’éloge du sionisme, reconnaît aussi le droit des Palestiniens, depuis l’Empire ottoman, à vivre dans leur propre pays.
Je partage pleinement le point de vue de l’écrivain et humaniste israélien, Amos OZ, qui est de bon sens. En effet, faire croire que seul le choix des armes, des colons ou du Hamas, peut assurer la sécurité de tous, est la plus grande escroquerie de notre temps. Depuis 75 ans, aucun camp n’a réussi à détruire l’autre. Habité par l’Espérance, Amos ZO ne se considérait pas comme un Messie, mais pour lui le chemin pour la paix est le seul qui vaille : «Les gens disent aussi que le Messie va arriver d’ici deux jours. Tout ce débat autour de l’État binational, ce n’est pas sérieux. Pourquoi ? Parce qu’il me paraît vraiment impossible, après cent vingt ans de sang, de haine, d’humiliation, de prendre les Israéliens et les Palestiniens pour les mettre dans le même lit et leur dire : «Faites l’amour pas la guerre !» ou bien : «Soyez une même et seule famille.» Non ! Commençons par faire deux États. Puis apprenons aux Israéliens et aux Palestiniens à se dire bonjour dans l’escalier, comme des voisins. À la suite de quoi, ils se recevront chez eux pour un café et peut-être finiront-ils par cuisiner ensemble. Après, qui sait, il sera temps de penser à une fédération ou à une autre formule» dit Amos OZ au journal «Le Point».
B – Amos OZ quel héritage ? Quelle postérité ?
C’est sa fille Fania OZ-SALZBERGER, universitaire et professeure de littérature, et assurant la promotion de son héritage littéraire, qui a annoncé que Amos OZ, est mort à Tel-Aviv le 28 décembre 2018 des suites d’un cancer, en remerciant «ceux qui l’ont aimé». Amos OZ a été enterré le 31 décembre 2018, au cimetière au Kibboutz Houlda, là où il avait grandi. Il a fait lui-même le bilan de sa vie face à la mort : «Au cours de ma vie j’ai reçu beaucoup de coups, dans le domaine privé comme dans le domaine public. Mais, durant les dizaines d’années de mon existence, j’ai reçu tant de cadeaux : l’amour, les livres, la musique, les lieux. Rien de tout cela ne m’était dû, personne n’a signé de contrat en ma faveur. Je suis éternellement reconnaissant. Je voudrais partir avec le sentiment de n’avoir délibérément blessé personne. J’aimerais croire, en quittant ce monde, que certaines de mes paroles ont pu réconforter des personnes, en déranger ou en ébranler d’autres. Si je sais qu’une petite partie des dizaines de milliers de mots que j’ai écrits a eu une influence sur la vie de quelques personnes, cela me suffit : j’aurai quelque chose à montrer, là-haut, à la porte d’entrée» dit-il au journal «Fek Israël».
Par conséquent, quelle postérité pour Amos OZ, que ses ennemis avaient affublé de l’étiquette de «traître» pour son combat inlassable en faveur de la paix et de l’amitié entre Juifs et Arabes ?
Le 31 décembre 2018, un hommage national, retransmis à la télévision a été rendu à Amos OZ. Il avait «la capacité de voir profondément les choses de l’intérieur, tout en gardant un pied à l’extérieur. Tu n’avais pas peur d’être appelé un traître. Au contraire, tu considérais cela comme un titre honorifique. Grâce à ton courage, ton regard, les plus intérieurs et extérieurs qui soient. Pour moi et pour beaucoup, tu as mis la lumière sur la réalité de nos vies ici. Parce que ton écriture était si personnelle et universelle à la fois, tu avais réussi à raconter notre histoire bien au-delà de notre petit Israël», dit Reuven RIVLIN, président israélien, ami d’enfance et voisin à Jérusalem, de l’écrivain. Mahmoud ABBAS a considéré qu’Amos OZ est «un défenseur des justes causes et un défenseur de la paix. C’est avec une grande tristesse que nous avons appris la nouvelle de la mort de l’excellent écrivain et penseur Amos Oz» dit le Président de l’Autorité palestinienne. Le monde de la littérature a également vanté sa «grandeur, ainsi que «sa générosité, sa chaleur et sa sagesse. Non seulement tu n’avais pas peur de faire partie d’une minorité et d’avoir un avis minoritaire, mais tu ne craignais pas non plus d’être qualifié de traître. Au contraire, pour toi, ce mot était un honneur» dit l’écrivain israélien, David GROSSMAN. Sa contribution littéraire est reconnue, même de la Droite israélienne : «Nous nous souviendrons toujours de sa contribution à la littérature hébraïque et à l’hébreu comme langage», a déclaré le Premier ministre, Benjamin NETANYAHU. Juif laïque, attaché à son pays et au sionisme, son patriotisme a été magnifié : «Il incarnait parfaitement le mythe d’un Israël qui aurait pu exister et qui n’a peut-être pas existé, mais j’adorais ce mythe. Si les sionistes existent vraiment, je pense qu’il en était un», dit Yona KRANZ.
Dans cet héritage en faveur de la paix, en 1999, Edward SAID (1935-2003), et le pianiste et chef d’orchestre Daniel BARENBOIM, ont réuni de jeunes musiciens palestiniens, israéliens et de pays arabes, autour du répertoire classique. Ils nommèrent cette initiative, le «West-Eastern Divan Orchestra». Selon Edward SAID : «L’humanisme est la seule – je dirais même la dernière – résistance que nous ayons contre les pratiques inhumaines et les injustices qui défigurent l’histoire de l’humanité. La séparation entre les peuples n’est une solution à aucun des problèmes qui divisent les peuples. Et il est certain que l’ignorance de l’autre n’apporte aucune aide», dit-il. «L’attaque du Hamas sur la population civile israélienne est un crime scandaleux que je condamne avec force l’ampleur de cette tragédie humaine dans les vies perdues, mais aussi dans les prises d’otages, les maisons détruites, les communautés dévastées», a dit Daniel BARENBOIM. Le chef d’orchestre a également condamné le «siège israélien sur Gaza, une punition collective qui est une violation des droits humains». Il exprime son «horreur et la plus grande des inquiétudes face à l’aggravation de la situation dans des proportions inimaginables». Daniel BARENBOIM avait dit auparavant «Je vais jouer à Ramallah pour prouver qu’il n’y a pas de solution militaire, ni du point de vue moral, ni du point de vue stratégique. Si l’on accepte l’idée qu’il y aura un jour un Etat palestinien et une solution au conflit, je ne vois pas pourquoi il faut attendre les hommes politiques pour développer des liens culturels», avait-il dit, le 6 mars 2002, au journal «L’Humanité».
La philosophe Hannah ARENDT (1906-1975, voir mon article, Médiapart, 9-4-2017) partisane de la paix, mais considérée comme une paria, a toujours appelé à la lutte contre le Mal, sous toutes ses formes, et d’où qu’il vienne, sans aucun manichéisme. Le comte Folke BERNADOTTE (1895-1948), un émissaire des Nations Unies, est dans cette droite ligne pour faire reconnaître que « deux peuples différents cohabitent en Palestine et qu’il leur faudra bien finalement vivre en paix, et comment expliquer que les deux parties soient déterminées, avec encore plus d’obstination, à ignorer le point de vue de l’autre» dit ce diplomate. Le comte BERNADOTTE, un diplomate suédoise ayant négocié la libération de 15000 prisonniers des camps de concentration, a été assassiné, le 17 septembre 1948, par quatre assaillants extrémistes sionistes, dont Yitzhak SHAMIR (1915-2012, premier ministre de 1986 à 1992), du groupe Lehi, «Front de la patrie», dissident de l’Irgoun. Dès 1948, Hannah ARENDT souligne, avec grand regret, que le malheur de la situation au Proche-Orient, «le dénominateur commun, des deux communautés, est la ferme conviction que la force est seule, et non la Raison, trancherait leur conflit. Les sionistes ont perdu, pour longtemps, toute chance de pourparlers avec les Arabes. L’existence effective des Arabes les effleurerait même pas. Or, la seule réalité permanente, dans toute cette situation, étaient la permanence d’Arabes en Palestine. Les dirigeants sionistes, étaient si occupés par la pensée, que le peuple qui n’avait pas de terre, avait besoin d’une terre vierge de tout peuple, qu’ils en oublieraient tout simplement les populations locales» dit-elle. Hannah ARENDT l’attachement à la tolérance, à la justice et au respect de la diversité «La tendance constante de la tradition juive est étrangère au nationalisme et est fondée sur le désir de construire une nouvelle société. Il faut donc trouve un lieu de structure immuable de la réalité où les Juifs seraient à l’abri de la haine et de la persécution» dit la philosophe.
Indications bibliographiques
I – Contributions de Amos OZ
OZ (Amos), Aidez-nous à divorcer ! : Israël-Palestine, deux Etats maintenant, Paris, Gallimard, 2003, 39 pages ;
OZ (Amos), Chanter et autres nouvelles, traduction de Sylvie Cohen, Paris, Gallimard, 2014, 123 pages ;
OZ (Amos), Chers fanatiques. Trois réflexions, traduction de Sylvie Cohen, Paris, Gallimard, 2018, 128 pages ;
OZ (Amos), Comment guérir un fanatique ?, traduction de Sylvie Cohen, Paris, Gallimard, 2006, 77 pages ;
OZ (Amos), Connaître une femme, traduction de Sylvie Cohen, Paris, Gallimard, 2021, 368 pages ;
OZ (Amos), Entre amis, nouvelles, traduction de Sylvie Cohen, Versailles, Féryane, 2014, 265 pages ;
OZ (Amos), Israël-Palestine, and Peace, San Diego, New York, Londres, Harcourt Brace, 1994, 150 pages ;
OZ (Amos), Jésus et Judas, traduction de Sylvie Cohen, préface de Delphine Horvilleur, Paris, Bernard Grasset, 51 pages ;
OZ (Amos), Judas, traduction de Sylvie Cohen, Paris, Gallimard, 2018, 381 pages ;
OZ (Amos), Jusqu’à la mort, traduction de Rina Viers, Paris, Gallimard, 2020, 160 pages ;
OZ (Amos), L’histoire commence, traduction de Sylvie Cohen, Paris, Gallimard, 2022, 132 pages ;
OZ (Amos), La boîte noire, roman, traduction de Sylvie Cohen, Paris, Presses Pocket, 1989, 281 pages ;
OZ (Amos), La montagne du mauvais conseil, Jérusalem, World Sionist Organization, 1999, 63 pages ;
OZ (Amos), Les deux morts de ma grand-mère et autres essais, traduction de Flore Abergel et Ana Rabinovitch, Paris, Gallimard, 2004, 318 pages ;
OZ (Amos), Les terres du chacal, traduction de Jacques Pinto, Paris, Gallimard, 2022, 425 pages ;
OZ (Amos), Les voix d’Israël, traduction de Guy Séniak, Paris, Calmann-Lévy, 1983, 212 pages ;
OZ (Amos), Mon Michael, traduction de Rina Viers, Paris, Le livre de poche, 1978, 317 pages ;
OZ (Amos), Mon vélo et autres aventures, traduction de Jacques Pinto, Paris, Stock, 1983, 93 pages ;
OZ (Amos), Ne dis pas la nuit, traduction de Sylvie Cohen, Paris, Gallimard, 2021, 307 pages ;
OZ (Amos), OZ-SALZBERGER (Fania), Juif par les mots, traduction de Marie-France Paloméra, Paris, Gallimard, 2014, 271 pages ;
OZ (Amos), Rien n’est encore joué : la dernière conférence, traduction de Sylvie Cohen, Paris, Gallimard, 2020, 49 pages ;
OZ (Amos), Scènes de vies villageoises, traduction de Sylvie Cohen, Paris, Gallimard, 2011, 228 pages ;
OZ (Amos), Seule la mer, traduction de Sylvie Cohen, Paris, Gallimard, 2005, 258 pages ;
OZ (Amos), Soudain dans la forêt profonde, conte, traduction de Sylvie Cohen, Paris, Gallimard, 2006, 117 pages ;
OZ (Amos), Toucher l’eau, toucher le vent, traduction de Rina Viers, Paris, Gallimard, 1997, 255 pages ;
OZ (Amos), Troisième sphère, traduction de Sylvie Cohen, Paris, Gallimard, 2013, 427 pages ;
OZ (Amos), Un juste repos, traduction de Sylvie Cohen, Paris, Gallimard, 1996, 464 pages ;
OZ (Amos), Une histoire d’amour et de ténèbres, traduction de Sylvie Cohen, Paris, Gallimard, 2005, 852 pages ;
OZ (Amos), Une panthère dans la cave, traduction de Sylvie Cohen, Paris, Calmann-Lévy, 1997, 205 pages ;
OZ (Amos), Vie et mort entre quatre rimes, traduction de Sylvie Cohen, Paris, Gallimard, 2009, 156 pages.
II – Autres références
AFP, «Amos OZ, écrivain israélien et militant de la paix», repris par Le Point, 28 décembre 2018 ;
ALTER (Robert), Amos Oz, Writer and Activist, Icon (Jewish Lives), Yale University Press, 2023, 200 pages ;
AVRAN (Ziva), Le style d’Amos Oz : constantes et variations, thèse sous la direction de, Lille, Atelier national de reproduction des thèses, 1998, 105 et 108 pages ;
BENBACHIR (Simo), «Daniel Barenboïm, le musicien qui a joué pour la paix», Le Monde, 28 décembre 2021 ;
BENDELAC (Jacques), Israël-Palestine : demain deux Etats partenaires ?, Paris, Arman Colin, 2012, 272 pages ;
BOULOUQUE (Clémence), Imaginer l’autre, entretien avec Amos Oz, La Tour d’Aigues, éditions de l’Aube, Paris, France Culture, 2008, 102 pages ;
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Paris, le 22 octobre 2023, par Amadou Bal BA – http://baamadou.over-blog.fr/