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«Abdoulaye Bara DIOP (1930-2020), sociologue, universitaire et ancien Directeur africain de l’IFAN» par Amadou Bal BA –

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Sociologue rigoureux, hommes de Lettres, ancien Directeur de l’IFAN, Abdoulaye Bara DIOP nous a quittés le lundi 4 janvier 2021. En effet, Abdoulaye Bara DIOP a été, pendant neuf (1986 à 1995), directeur de l’Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN), le deuxième Sénégalais à ce poste, après l’islamologue Amar SAMB (1971-1986).

Le professeur Abdoulaye Bara DIOP déplorait que l’on ne célèbre pas assez les femmes et les hommes de talent du Sénégal : «Nous attendons toujours que les autres nous récompensent et distinguent. Nous devons nous-mêmes apprendre et nous habituer à distinguer nos chercheurs, nos talents, célébrer nos héros parce que cette légitimation de l’intérieur est l’un des meilleurs moyens de se connaître et de cultiver, sans flagornerie aucune, une estime de soi pour avancer», disait-il en 2018.

Sociologue talentueux, le professeur Abdoulaye Bara DIOP déplorait que l’histoire du Sénégal était essentiellement écrite par le colonisateur, avec une vision déformée de la réalité. Les travaux de sociologie des Européens sur le Sénégal avant l’indépendance, sont souvent marqués par des considérations économiques ou politiques, et sont souvent superficiels ou pauvres. Il s’agit de données fragmentaires, contradictoires, mais si certains aspects ne manquent pas d’intérêt. Ainsi, Abdoulaye Bara DIOP, est un préfacier des «esquisses» de l’abbé David BOILAT (1814-1901), un métis assimilationniste qui s’est intéressé à la société wolof. La tradition orale n’est pas meilleure ; elle ne s’intéresse qu’aux événements historiques ayant trait aux luttes des souverains et des dynasties royales, l’histoire sociale y demeurant marginalisée.

S’inspirant des travaux de Georges BALANDIER (1920-2016) et de Pierre FOUGEYROLLAS (1922-2008), le professeur Abdoulaye Bara DIOP, éminent pionnier de la sociologie sénégalaise, a pu trouver sa voie originale, par sa grande capacité d’observation de notre société, et pour avoir mené des enquêtes de terrain, en vue d’une meilleure connaissance des dynamismes sociaux. Il a travaillé sur les zonez de Diourbel, Thiès Louga, le Cayor, le Baol, le Oualo et Saint-Louis. Son ouvrage majeur «La société wolof. Transitions et changements. Les systèmes d’inégalité et de domination» décrit, finement, la société traditionnelle wolof, ses castes et les ordres. C’est un système fondé sur la division du travail et des fonctions, se caractérisant par des rapports d’interdépendance. Les ordres, eux, se définissent par rapport au pouvoir politique et entretiennent des rapports de domination et d’exploitation. Le professeur DIOP a décrit, dans cet ouvrage, les structures sociales primaires (parenté, alliance, famille) et secondaires (castes, ordres politiques, religieux) ; ces observations pouvant être étendues aux autres, dans leur majorité, à d’autres groupes ethniques, comme chez les Peuls, à l’instar des travaux de Yaya WANE. Cette hiérarchisation ou cette répartition du travail n’excluait pas une recherche d’efficacité, de cohésion sociale ou de solidarité.

Dans son ouvrage, «la famille wolof», le professeur Abdoulaye Bara DIOP notait que l’entrée de la société wolof dans l’économie monétaire et le capitalisme, depuis la colonisation, avait considérablement bouleversé les rapports sociaux, les conditions traditionnelles de vie, et constitué un facteur déterminant de transformation des structures de parentalité et d’alliance ; et les liens de solidarité ont volé en éclat.

Le professeur Abdoulaye Bara DIOP n’est pas seulement qu’un spécialiste de la société traditionnelle wolof, il a aussi collaboré à la traduction du «Florilège au jardin de l’histoire des Noirs»de Cheikh Moussa CAMARA (1864-1945), un grand spécialiste de l’histoire du Fouta-Toro. Il est aussi l’auteur d’un ouvrage « Société toucouleur et migration (enquête sur la migration toucouleur à Dakar)» paru en 1965. Cette étude fondée sur des enquêtes et les travaux de Yaya WANE est particulièrement riche. La société traditionnelle peule, une histoire ancienne marquée par la lutte de possession des terres et l’Islam depuis le XIème siècle, a été un haut lieu de grands brassages de populations au Fouta-Toro (Peuls, Ouolofs, Sérères, Soninkés et Maures). Cette diversité culturelle et ethnique a sans doute favorisé l’émergence d’une nation sénégalaise fondée sur le tolérance. Comme la société wolof, la société traditionnelle peule est fortement structurée et repose sur un système de parenté, de lignage (Légnol), une famille étendue est hiérarchisée. Les Peuls pratiquent l’endogamie avec des mariages entre cousins germains. Le droit d’aînesse (Maodo) est une sorte d’autorité morale veillant sur les intérêts du groupe. C’est donc une société stratifiée, fondée sur une division et donc une spécialisation du travail. Il y a deux sortes de castes : d’une part, les gens dits libres (Rimbés) que sont les Torodos (agriculteurs, clercs musulmans), les «Diawambé» ou conseillers du Roi, les «Sebbé» ou les guerriers, et d’autre part, les «Gnégbé» artisans ou griots (Tisserands, cordonniers, forgerons, « Laobé » ou artisans du bois, les griots, chanteurs, musiciens ou généalogistes). Naturellement, on y compte aussi les esclaves de case. Cette stratification sociale d’une société peule aristocratique, féodale et conservatrice, est maintenant considérablement bouleversée en raison de divers facteurs (émigration, divorce, modernité et ascension sociale, le phénomène de classe d’âge).

Homme discret, modeste et effacé, et président de la Commission scientifique des Assises nationales (Commission nationale de réforme des institutions) le professeur Abdoulaye Bara DIOP s’intéressait à la bonne gouvernance «Nous serons toujours aidés, mais si nous ne réglons pas le problème de la bonne gouvernance, nous ne nous développerons jamais» avait-il dit. Le professeur DIOP condamnait, en 2013, le sentiment d’impunité qui mine la société sénégalaise et appelait à une impérieuse nécessité de reddition des comptes. Attaché au discours de Vérité et d’authenticité, Abdoulaye Bara DIOP assignait, aux clercs (intellectuels) une posture d’impertinence et d’indépendance : «Les intellectuels doivent dire la vérité aux décideurs politiques, sinon on peut avancer sans se tromper qu’ils ont failli à leur mission», disait-il. En effet, Julien BENDA (1867-1956) reprochait aux clercs leur trahison ; ils seraient détournés des valeurs intellectuelles, c’est-à-dire la recherche du beau, du vrai, du juste.

En 2012, et de son vivant, le Laboratoire de recherche sur les transformations économiques et sociales avait donné le nom d’Abdoulaye Bara DIOP, immortalisant d’avance ce pionner de la sociologie sénégalaise.

Références bibliographiques

DIOP (Abdoulaye, Bara), La société Wolof, tradition et changement, les systèmes d’inégalités et de domination, Paris, Karthala, 2012, 355 pages ;

DIOP (Abdoulaye, Bara), Société toucouleur et migration (enquête sur l’immigration toucouleur à Dakar), Paris, Karthala, 2012, 232 pages, doc UCAD TH 23 ;

DIOP (Abdoulaye, Bara), La famille wolof, Paris, Karthala, 1985, 262 pages.

Paris, le 5 janvier 2021, par Amadou Bal BA – http://baamadou.over-blog.fr/

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