Une grossesse non désirable, est une honte à Dabaly. La virginité au mariage, une obligation. Comme solution, le mariage précoce. Tout au moins, aux yeux des parents
A Dabaly-Kabakoto, l’enfance est scellée. Les jeunes filles brulent les étapes. De l’enfance, elles passent directement à femmes mures. Une exigence de la tradition, le poids sous lequel, elles s’écroulent impuissantes dans les bras de bourreaux appelés maris. Les cas sont nombreux, les histoires différentes. Dans presque toutes les situations, les filles acceptent l’autorité parentale dans cette commune du département de Nioro à quelques kilomètres de la frontière Gambienne. Sur la place publique de Kabacoto, Binta Wellé se promène. Le visage triste, la mine renfrognée, elle traine encore les douleurs d’une nuit de noce. Mais, avec fierté, car c’est la tradition. Elle est juste âgée de 15 ans et est l’épouse du chauffeur de « l’horaire » local. Un choix que lui a imposé un père soucieux de préserver la virginité de son enfant jusqu’au mariage. « Mon père m’a convoqué un jour pour m’annoncer la nouvelle de mon mariage, j’ai accepté sans broncher » explique-t-elle. Elle ajoute que ses parents ont pris cette décision parce qu’elle n’était pas très brillante à l’école. Mais, malgré tout, elle voulait au moins avoir un diplôme avant d’abandonner l’école. Aujourd’hui, elle est au foyer et y restera en tant que femme. Pourtant dans sa propre famille, son frère qui vit en Espagne est marié à Dieynaba Diallo. La taille fine, Cette jeune fille incarne une beauté sobre dans un physique de top model. Contrairement à Binta, Dieynaba poursuit ses études et, est en classe de 3éme secondaire. « J’ai la chance d’avoir un mari qui ne vit pas au Sénégal, je poursuis donc mes études en attendant qu’il revienne au pays. Souvent à leur retour les « Modou-modou »imposent l’abandon à leurs jeunes épouses, et ils choisissent les élèves en se mariant. Le cas Ouley Ware, 15ans, confirme son allégation. Cette jeune fille est aujourd’hui solitaire dans l’attente d’un mari émigré au Gabon qui a demandé qu’elle quitte l’école après son mariage. Elle avait l’âge de 14ans. Déjà lasse d’attendre, c’est avec difficulté qu’elle explique : « Je crois que je vais encore attendre parce qu’il avait dit qu’il lui fallait au moins trois ans pour avoir ses papiers et revenir ».
A Dabaly, même situation. Yacine Ly se souvient, elle aussi du jour où en pleine composition alors qu’elle était en classe de troisième, des inconnus sont venus l’arracher de force. Face à l’impuissance d’un professeur d’anglais, fonctionnaire de l’Etat sans pouvoir. C’est devant une forfaiture maquillée en pseudo-tradition. Son père venait de donner son accord. Le mari devrait l’enlever et le ramener après la consommation du mariage pour une cérémonie festive. « Je suis tombée la nuit même dans les bras d’un inconnu, alors que j’étais à deux doigts d’obtenir le brevet de fin d’études » raconte la jeune mère de deux enfants. Les faits remontent à 2006. Aujourd’hui elle regrette encore mais relativise : « C’est la tradition on fait avec. On a la malchance d’en faire partie ».Yacine garde tout de même espoir. « Je ne veux pas que mon enfant subisse le même sort et j’y veille. Comme toute histoire, la révolte se fera un jour pour une éradication définitive d’un tel fléau. Cela a même commencé au compte-gouttes, et le temps le propagera », optimise Yacine.
Mamadou Diouf ancien directeur de l’école souligne les conséquences qui se répercutent sur l’éducation scolaire. « Ce sont des abandons qui sont parfois sous la responsabilité des parents parce qu’un enfant qui, n’est pas bien surveillé, n’a pas tous les moyens pour réussir son école, n’est pas bien encadré, risque d’emprunter l’école de la rue. Les filles abandonnent très tôt pour aller vers autre chose » explique le directeur. Il ajoute le phénomène du mariage précoce qui est flagrant. « Beaucoup d’élèves ont des maris. Elles n’ont même pas 16 ans. C’est un mal qui est là et on n’y peut rien »explique le directeur. Il a fini par construire une maison à Kabacoto. Cependant s’adapte difficilement à cette tradition : « Ce que je ne peux pas accepter c’est de donner en mariage une fille qui n’a même pas 17 ans. A beau parler, on est obligé de se résigner. Je ne peux pas forcer le parent à ne pas donner sa fille en mariage. Mon devoir c’est de lui faire une mise au point ». Aussi le directeur Diouf ne peut digérer ce qui est arrivé à l’une de ses élèves. Il raconte que l’avenir de cette dernière a été compromis sans raison valable. « J’avais une élève peul. Egué Diallo, a réussi l’entrée en sixième et le certificat. Elle était la meilleure de l’établissement, à l’époque mais avec l’analphabétisme des parents, elle a été engrossée par un jeune du village. Elle avait 13 ans. Malgré cela, elle a résisté. Après son accouchement, elle est revenue pour reprendre sa classe. Ce qui encore fait très mal, c’est qu’elle a réussi son examen et est allée au collège, mais est tombée enceinte une deuxième fois. Cette fois l’abandon est définitif. Actuellement, elle s’est mariée ». L’ancien directeur a encore le cœur meurtri, surtout, dit-il, quand il croise dans la rue, dans des conditions difficiles cette jeune dame.A Dabaly, au nom de la virginité, des avenirs de jeunes filles sont compromis. Pourtant elles pouvaient connaitre un destin meilleur.
Un maire au rythme de la tradition
« Il faut donner les filles très tôt en mariage, sinon, elles se livrent aux hommes. Le libertinage est de rigueur. Quand un enfant va à l’école, on ne peut contrôler ses sorties ». Cette affirmation est sortie de la bouche de l’autorité locale. Oumar Ba, maire de la commune de Dabaly, signe des deux mains cette pratique, une tradition locale. Cela se répète comme le refrain d’une chanson populaire par les différents parents. C’est le mot d’ordre. On se l’est passé aussi à Kabacoto, l’autre grand village de la commune. On brule les étapes dans ces localités. De l’enfance, les jeunes filles passent directement au statut de jeunes mères. A Kabacoto et à Dabaly le mariage est scellé quand la fille a entre 12 et 13 ans. On n’y trouve pratiquement pas de jeunes filles. Celles qui ont 15 et 18 ans, ont déjà entre deux et trois enfants. Dans cette localité du département de Nioro, le mariage précoce est la règle. L’exception est donc, de voir une fille mature, instruite et épanouie sans époux. Même les autorités administratives approuvent.
Rebelles contre les abîmes d’une tradition
Dans la commune de Dabaly le poids de la tradition s’abat sans pitié sur les filles et hypothèque leur avenir. Cependant certaines jeunes filles refusent de se marier tôt. Elles comptent poursuivre leurs études. Elles ambitionnent de devenir médecin. Et parfois même… militaire.
C’est une « Djolfo », une Wolof, (l’ethnie majoritaire au Sénégal). Sileye Ware présente ainsi, sa fille Penda. Cela n’a rien d’élogieux. C’est que chez les wolofs les filles attendent d’être matures pour se marier. Ce n’est pas le cas chez les Peuls. Le père considère sa fille comme une rebelle qui se dresse contre les règles de sa société. Comme une enfant malpolie qui désobéit à ses parents et a le toupet de dire non face à une décision la concernant. Penda a juste 16 ans. Sa beauté attire sa taille svelte et séductrice ne tronquent point son état mineur. Cette rébellion est mal vécue dans une localité où la tradition donne la primauté aux hommes. A Dabaly les femmes sont soumises, les enfants aussi. Pour Penda Ware, le respect de ses parents ne signifie pas forcément de dire oui, à chaque fois. « Il faut savoir dire non dans le respect » c’est sa philosophie. « Toutes mes petites sœurs se sont mariées malgré elles. Moi j’ai refusé. Mon ambition est de réussir dans les études », explique-t-elle d’emblée le sourire aux lèvres. De petite taille, le teint noir les deux extrémités des yeux scarifiées, elle a tout d’une halpoular même si son père refuse de l’accepter comme telle. « L’année de ses douze ans, alors qu’elle devait faire le Cm2, elle s’est rendue à Dakar chez sa marraine pour grandes vacances, depuis, elle est revenu avec cette idée. Une véritable tête de mule. Elle ne se résigne jamais, même avec le temps. Elle campe sur sa position », témoigne Oumy Ly sa mère. Cette dernière ne veut pas passer pour celle qui l’influence aux yeux de son mari et de la société. Ce, même si la bonne dame n’approuve pas parce qu’ayant vécu une situation qu’elle ne souhaite point à son enfant « Avec son père on a fini de la laisser à elle-même. Promise plus de trois fois en mariage, à chaque fois elle renvoie les prétendants » révèle la mère. Penda n’est pas simplement la brebis galeuse de sa famille. Dans le village, il se murmure qu’elle va finir vieille fille parce qu’il y a des hommes qu’on ne repousse pas. « Il en existe même qui me le disent sur un ton ironique mais j’ai foi en Dieu et en ma personne », dit-elle. Awa BA sa meilleure amie, qui est du même âge qu’elle la soutient dans sa position : « j’ai essayé, mais cela n’a pas marché avec mon père. Aujourd’hui j’ai une fillette capable déjà de se rendre toute seule à la boutique se payer des bonbons, mais j’encourage Penda à rester sur cette dynamique ». Awa pense que quand on réussit sa vie on peut avoir le mari de son choix après.
En plus d’être rebelle, Penda est très ambitieuse. Elle s’entend très bien avec son professeur de mathématiques, sciences physiques. Elle tend ainsi à se renforcer dans les matières scientifiques. « Monsieur Bâ dit que je dois être bien dans ce domaine si je veux concrétiser mon rêves de devenir médecin » dit-elle. L’enseignant confie:« c’est toujours encourageant de trouver des filles comme ça dans des villages pareils. Aussi se fait-on le plaisir de les encadrer. Elles sont rares celles qui ont son ambition ici» Mieux le professeur montre cet élève en modèle pour la sensibiliser ses camardes. « Elle est tout le temps citée en exemple par les enseignants ici », dit-il. Plutard, elle compte mener le combat contre les mariages précoces dans sa localité. Aujourd’hui elle s’attache à ne pas commettre un faux pas sur ses études pour n’offrir aucun prétexte à son père qui ne manquerait pas de saisir la moindre occasion. Ses moyennes annuelles tournent depuis la sixième autour de 16/20. Elle n’est cependant pas la seule. A Kabacoto, Binta Ndao une autre jeune fille rêve de devenir militaire. Pour une adolescente d’une localité ancrée sur les traditions, ce choix est mal vu. Mais Binta 15 ans est soutenue par son frère qui est sous les drapeaux. «Il est mon idole, quand il a été informé de mon désir, il m’a demandé de ne pas me marier très tôt et de poursuivre mes études. Si je persévère sur ce chemin, il promet de m’aider à faire de mon rêve une réalité », dit-elle. Aujourd’hui le lot de ces jeunes filles grandit surtout quand après le BFEM. Certaines d’entre elles se rendent dans les villes pour poursuivre leurs études.
Yandé DIOP