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Entretien exclusif avec le Pr Serigne Mor Mbaye: « …si l’école était un enjeu, on saura que perdre une année… »

L’école sénégalaise vit une crise sans précédant avec la grève des syndicats d’enseignants qui, aujourd’hui se disent déterminés à aller jusqu’au bout de leur revendication après des années de yo-yo. En dehors de l’aspect politique et pédagogique que revêt cet arrêt prolongé et répétitif des cours, nous nous sommes intéressés à sa répercussion sur le mental des élèves et le psychologue Serigne Mor Mbaye nous en dit un peu plus en deux questions. 

Entretien…

-Quel est le rôle de l’école en dehors de donner du savoir, en d’autres termes, est-ce que l’école à un rôle dans la construction psychologique et comportementale de l’enfant ?

Nous conduisons nos enfants à l’école pour qu’ils deviennent savants, être savant c’est être pensant, pour penser ta vie, ton interaction avec ton environnement et pour penser il faut avoir des outils et la matière pour penser, c’est le tout. L’école contribue largement ou doit contribuer à la maturation du sujet en lui donnant les moyens intellectuels, moyens cognitifs pour pouvoir être capable de lire la vie, sa vie, de pouvoir s’adapter. C’est ça le rôle de l’école. C’est t’apprendre à t’adapter, te conduire à une maturation sur le plan intellectuel, sur le plan affectif. Ce n’est pas seulement la famille, il doit y avoir une continuité entre le projet familial et le projet-école et c’est là où il y a hiatus, aujourd’hui bon nombre de parents pensent que c’est l’école qui doit se charger de l’éducation des enfants. Cette école, malade depuis plus de deux décennies et qui ne vit que de grèves et qui n’est plus laïques, cette école là ne peut pas satisfaire aux besoins psycho-psychiques des enfants, c’est une évidence. Donc, je dis, l’école doit contribuer largement à la maturation du sujet, ce n’est pas seulement des éléments cognitifs, intellectuels, de la matière intellectuelle, mais c’est des ressources qui permettent à l’individu de pouvoir s’adapter, à créer une maturité, pouvoir acquérir ou renforcer une identité, c’est cela.

-Si on sait que l’adolescence est une période très sensible dans le développement psychologique de la personne, quels peuvent être les impacts psychologiques de cette crise sur les adolescents, sur leur éducation (socialisation) ?

Ils sont tous dans un sentiment de désespérance, c’est une dépression masquée qui envahit les jeunes, ils sont là dans l’errance et la souffre-errance. Donc un sentiment de désespérance, bon nombre de jeunes font des passages à l’acte, regarde l’agressivité des jeunes, regarde leur violence au sein des sectes ou en dehors, cela démontre qu’il y a une vacuité totale, il n’y a pas de projets, l’énergie est libre alors que c’est une énergie, quand on est jeune, qu’on a envie de capturer et de sédimenter vers quelque chose sinon c’est une énergie dispersée et à tonalité dépressive, c’est ça que je crois. L’adolescent se pose en s’opposant, si l’institution qui l’accueille est instable, cela ne favorise pas la maturation, ça ne favorise pas les acquis de l’adolescent. L’adolescent a besoin de sécurité, il a besoin de certitude, cette institution là n’amène pas de certitude, cette institution qu’est l’école sénégalaise, on ne sait même pas de quoi elle est faite. Elle est faite d’adultes qui sont dans un mal-être parce qu’ils sont peu payés, et dans des postures de revendication éternelles, permanentes et ces adultes là n’ont même pas le temps quelque part de s’occuper de ces adolescents parce qu’au-delà de distiller des connaissances, l’adulte doit être un modèle disponible à aider un enfant à fonctionner. L’Etat aussi n’offre aucune perspective, y a pas une autorité étatique à laquelle on peut se référer, qui a un projet de société. Donc le sentiment d’insécurité qui habite l’adolescent à cette période de la vie, par rapport à l’étape d’adulte, aucune institution n’est encore prête à l’accompagner de façon convenable, et c’est ça ce qui me désespère. A coté, l’espace psychique des adolescents est envahi par des loisirs qui n’apportent pas une culture ni de savoir, ni de savoir faire. Du point de vue de la matière intellectuelle, culturelle, y a rien de profond qui est disponible pour les adolescents.

 

Propos recueillis par mounamak