Ils écoutent de la musique, font des parties de jeux vidéo endiablées, envoient des messages via Snapchat ou Instagram, publient des storys, regardent des vidéos sur YouTube… Les ados sont accros à leurs téléphones, tablettes et consoles pour le meilleur, et parfois pour le pire. D’où un appel « à une vigilance raisonnée sur les technologies numériques » de l’Académie des sciences, l’Académie nationale de médecine et l’Académie des technologies, rendu public ce mardi. Et ce, pour attirer l’attention des parents et des pouvoirs publics sur cette question.
Pas question pour autant de diaboliser les écrans et de nier les apports du numérique. « Un nombre croissant de recherches suggèrent que le temps passé en ligne bénéficie à une majorité de jeunes qui en font bon usage », souligne l’appel. « Les réseaux sociaux apprennent par exemple aux adolescents à constituer un collectif. Ils offrent une nouvelle façon d’être en rapport avec les autres et permettent d’échapper à la solitude », souligne Serge Tisseron, psychiatre et membre de l’Académie des technologies. Les jeux vidéo sont aussi dépeints comme une « source de satisfactions positives et d’améliorations de certaines performances intellectuelles ».
« Certains adolescents s’enferment dans une bulle virtuelle »
Mais le texte pointe les dangers d’une surexposition des adolescents aux écrans. « Aujourd’hui, 89 % des 13-19 ans ont un smartphone et 60 % d’entre eux déclarent qu’il reste allumé tout le temps. Et les 13-19 ans déclarent passer plus de quinze heures hebdomadaires sur les écrans », explique Yvan Touitou, membre de l’Académie nationale de médecine. « La consommation devient problématique quand les adolescents zappent d’un écran à un autre et perdent le contrôle du temps passé dessus », indique Serge Tisseron.
« Certains adolescents s’enferment dans une bulle virtuelle », résume ainsi le psychiatre Jean Adès, membre de l’Académie nationale de médecine. « La désinsertion sociale intervient quand l’utilisation excessive des écrans plonge les jeunes dans un monde virtuel et retentit sur l’apprentissage concret de la vie, en gommant la confrontation à autrui et aux difficultés pratiques », complète le texte.
Une dette de sommeil chez certains ados
Et cette surconsommation d’écran peut avoir des effets sur la santé des adolescents. Notamment pour ceux qui consultent leurs écrans la nuit : « Si un adolescent est soumis à de la lumière bleue des écrans, celle-ci va accroître sa vigilance et inhiber sa sécrétion de mélatonine, hormone clé de l’endormissement. Les troubles du sommeil qui en résultent peuvent entraîner de la fatigue, des troubles de l’attention, une agressivité, et affecter les résultats scolaires du jeune », informe le chronobiologiste Yvan Touitou. Pour compenser cette dette de sommeil, les adolescents ont tendance à beaucoup dormir le week-end. Une mauvaise idée, selon Yvan Touitou : « Le fait de dormir beaucoup le week-end ne fait que conforter la désynchronisation de l’enfant ». Par ailleurs, « la diminution d’activité physique liée à la surconsommation des écrans entraîne souvent une prise de poids », ajoute le professeur Jean-François Bach, membre de l’Académie de médecine.
Les dangers véhiculés par les réseaux sociaux ne sont pas en reste, l’appel indiquant que « certains problèmes sont apparus avec le temps, tels que la place croissante de la violence, de la désinformation ou même du harcèlement et du prosélytisme ». « Et ceux qui n’ont pas été accompagnés dans l’usage des réseaux sociaux tombent dans le piège des fake news où se surexposent », insiste Serge Tisseron. Les likes étant le baromètre de leur popularité, certains ados ont une image parfois brouillée d’eux-mêmes. Les auteurs de l’appel soulignent aussi les dangers dus à la facilité d’accès sur Internet à des scènes violentes ou pornographiques.
Des vulnérabilités variables selon les individus
Les jeux vidéo ne sont pas non plus exempts de risques : « Les fabricants de jeux vidéo utilisent des stratégies pour retenir les adolescents. Le fait qu’un jeune investisse un peu d’argent dans un jeu vidéo fait qu’il sera plus accroché. Les éditeurs de jeux vidéo multiplient donc les promotions sur de nouvelles armes pour le jeu ou commercialisent des loot box (des boîtes à butins) qui donnent envie aux joueurs de les acheter, de les utiliser et donc de jouer plus longtemps », observe Serge Tisseron. « Avec le risque que l’adolescent glisse, une fois adulte, vers des jeux d’argent », indique-t-il.
Des risques auxquels tous les adolescents ne sont pas exposés de la même manière. « On sous-estime généralement le rôle des vulnérabilités sociales, qui interfèrent de façon majeure dans le rapport aux écrans », souligne ainsi le texte. « Les adolescents qui présentent des fragilités psychiques liées à des situations de maltraitance, à des deuils, à des séparations, sont susceptibles d’avoir un usage plus pathologique des écrans », constate Serge Tisseron. « La course au like est d’autant plus nocive que l’estime de soi est fragile », indique aussi le texte. Idem pour ceux qui sont issus de familles confrontées aux difficultés matérielles, d’autant qu’ils sont souvent moins bien accompagnés par leurs parents dans leur utilisation des outils numériques que des jeunes issus de milieux favorisés.
Ré impliquer les parents et l’école
Fort heureusement, il existe des solutions pour endiguer une partie de ces risques. « L’école a beaucoup à faire pour déjouer les usages du numérique », déclare tout de go Serge Tisseron. Avec les autres membres des académies, il appelle les pouvoirs publics à mettre en place des formations pour tous les intervenants auprès de la jeunesse, « afin de contribuer à réduire les conséquences des disparités sociales, notamment dans l’utilisation des réseaux sociaux ».
Tout en dispensant quelques conseils aux parents : « Il faut établir un consensus avec l’enfant : définir avec lui un temps d’écran, lui apprendre à laisser son téléphone en dehors de sa chambre le soir, à ne pas regarder d’écran pendant les repas, par exemple », déclare Yvan Touitou. Selon lui, il est aussi impératif que les parents restent attentifs aux symptômes de fatigue liés aux troubles du sommeil, aux signes d’isolement pouvant conduire à un repli sur soi et à un fléchissement des résultats scolaires. L’appel invite aussi les parents à avoir un usage raisonné de leurs propres outils numériques, car « l’excès chez l’adulte peut provoquer l’excès chez l’enfant ».