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«A quoi rêve la jeunesse sénégalaise ?» par M. Amadou Bal BA –

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Le Sénégal, comme le reste du continent noir, se caractérise, essentiellement, par l’extrême jeunesse de sa population. Ainsi, en 2015, avec une population de 14 356 575 habitants, contre 3 400 000 en 1960 et 240 000 en 1848, pour 192 712 km2, la densité du Sénégal est de 82 habitants au km2. Dans cette progression importante de la population, la jeunesse occupe une part importante. 10 916 845 Sénégalais ont moins de 35 ans, soit 76,04% de la population. 42% de la population a moins de 15 ans, et les plus de 60 ans ne représentent que 6% des Sénégalais. C’est donc tout à fait symbolique outre les performances du gouvernement que les jeux olympiques de la jeunesse en 2022 se tiennent, pour la première fois au Sénégal.

«Les jeunes n’ont pas forcément une pleine conscience du monde dans lequel nous entrons» avait dit, avec une dose de sinistrose, M. Emmanuel MACRON. Nous rêvons de quitter notre dure condition pour l’améliorer, sans cesse ; cette utopie au cœur du désir de vivre : «Je dois ajouter que ce temps de rêves et de chimères fut le plus heureux de ma vie» écrit Alexandre DUMAS dans «Les mémoires d’une aveugle».

A quoi donc rêve la jeunesse sénégalaise ?

Les ambitions et les rêves de la jeunesse sénégalaise balancent entre l’instinct de survie, le désir de vivre, et l’appel pour une transformation profonde du monde.

I – La jeunesse sénégalaise, l’instinct de survie, la castration,

Mon esprit a été tourneboulé et torturé par ces jeunes africains qui traversent le désert, escaladent avec des échelles les barbelés à l’enclave espagnole de CEUTA et MELLILA, risquent d’être réduits en esclavage, affrontent la Méditerranée au péril de leur vie, et ne sont maintenant accueillis nulle part. Ceux qui ont pu échapper à ce parcours terriblement dangereux, sont enfermés dans des camps, parfois dignes d’une démarche génocidaire. Les immigrants qui ont été régularisés, au terme d’un long et chaotique chemin d’embûches et de tracasseries administratives, exécutent des tâches ingrates, mal rémunérées, avec toutes les brimades qui vont avec. Comble de la situation, ces migrants deviennent des esclaves de leurs familles restées au pays, à qui, chaque mois, il faut envoyer un mandat. Plus vous envoyez de l’argent, plus ils pensent que vous pouvez donner plus, la reconnaissance ne fait pas partie de nos traditions, c’est un devoir de venir en aide aux siens. Par ailleurs, les sollicitations d’autres personnes sont nombreuses et incessantes. Une fois revenus au pays, pour de courtes vacances, les économies de 2 ou 3 années sont dilapidées en quelques semaines au cours de cérémonies fastueuses.

Cette vie de chien et de misère du migrant n’est rien par rapport aux humiliations, au racisme et au lynchage et parfois au meurtre, en raison de la montée du populisme dans certains pays européens. Mais le plus grave, c’est le manque de réaction adéquate des gouvernements africains devant ces brimades et ces exodes de jeunes africains. L’Afrique, contrairement à une idée reçue, est riche de ses matières premières, de sa population jeune et dynamique, capable de traverser le désert et les océans.

A quoi donc rêve la jeunesse africaine en ce début du XXIème ?

Ce qui semble dominer, pour les jeunes de notre temps, ce sont ces revendications alimentaires, ces grèves estudiantines pour les bourses et les cantines, bref de ce besoin de se complaire dans le statut d’étudiant professionnel. On brûle et on saccage tout, à coup d’années blanches. Emile ZOLA (1840-1902), dans sa lettre à la jeunesse de 1897 interpellait ainsi ces comportements désincarnés : «Où allez-vous, jeunes gens, où allez-vous, étudiants, qui courez en bandes par les rues, manifestant au nom de vos colères et de vos enthousiasmes, éprouvant l’impérieux besoin de jeter publiquement le cri de vos consciences indignées ? Allez-vous protester contre quelque abus du pouvoir, a-t-on offensé le besoin de vérité et d’équité, brûlant encore dans vos âmes neuves, ignorantes des accommodements politiques et des lâchetés quotidiennes de la vie ?».

On est frappé par la double castration de cette jeunesse africaine qui semble déserter le combat pour les hauts principes et valeurs d’une vie exigeante de liberté, de fraternité et de justice. Ce qui domine, à mon sens, ce sont les stratégies de survie, les revendications alimentaires, notamment pour le paiement des bourses en temps utile. Loin de mépriser ces réclamations nécessaires pour le succès des études, on a le sentiment qu’être étudiant au Sénégal, est devenu un métier qui procure une bourse, non pas pour étudier, mais uniquement pour vivre. L’avenir de l’éducation, et donc des jeunes, leur orientation, la qualité des enseignements, leur finalité ne sont plus des enjeux fondamentaux qui préoccupent la jeunesse sénégalaise. Faire des grèves, saccager les locaux et les archives et accepter d’être phagocytés par une opposition en panne de projet alternatif crédible, semblent satisfaire la jeunesse. Bref, c’est tout un système éducatif qui se délite, à coup de grèves répétitives et endémiques. Pourtant, l’éducation est un enjeu majeur pour l’avenir de cette jeunesse hédoniste, orientée, essentiellement, vers la consommation.

En réalité, les causes de cette démission de la jeunesse sont profondes ; l’anesthésie opère à deux niveaux. La première forme de castration de la jeunesse africaine, résulte d’un grand gâchis où les ressources humaines ne sont pas optimisées et exploitées de façon maximale pour le bien-être de la population. Les jeunes cadres, souvent bien formés à l’étranger, ne sont pas toujours employés au niveau de leurs compétences. Les diplômés, s’ils ne sont pas chômeurs, attendent de longues années pour la reconstitution de leur carrière et le rappel des échelons ou le paiement des heures supplémentaires ou des frais de déplacement. L’administration, principal employeur, manque de moyens matériels et humains ; ce qui n’est pas source de motivation. Ces facteurs créent en Afrique, une fuite massive des cerveaux vers l’Europe.

II – La jeunesse sénégalaise, l’ambition de conquérir et transformer le monde,

Il ne faut jamais cesser de rêver, «Fais de ta vie un rêve, et d’un rêve une réalité» disait Antoine de SAINT-EXUPERY. Ainsi, Amadou Hampâté BA invitait la jeunesse de la diaspora à cultiver la fraternité et à admirer la diversité du monde : «Qu’il s’agisse des individus, des nations, des races ou des cultures, nous sommes tous différents les uns des autres ; mais nous avons tous quelque chose de semblable aussi, et c’est cela qu’il faut chercher pour pouvoir se reconnaître en l’autre et dialoguer avec lui. Alors nos différences, au lieu de nous séparer, deviendront complémentarité et source d’enrichissement mutuel. De même que la beauté d’un tapis tient à la variété de ses couleurs, la diversité des hommes, des cultures et des civilisations fait la beauté et la richesse du monde». Ce grand sage africain, sans nier les différences, insistait sur la complémentarité : «À notre époque si grosse de menaces de toutes sortes, les hommes doivent mettre l’accent non plus sur ce qui les sépare, mais sur ce qu’ils ont de commun, dans le respect de l’identité de chacun. La rencontre et l’écoute de l’autre est toujours plus enrichissante, même pour l’épanouissement de sa propre identité, que les conflits ou les discussions stériles pour imposer son propre point de vue. L’interdépendance même des États impose une complémentarité indispensable des hommes et des cultures». Amadou Hampâté recommandait l’enracinement et l’ouverture «Soyez, jeunes gens, ce bon jardinier qui sait que, pour croître en hauteur et étendre ses branches dans toutes les directions de l’espace, un arbre a besoin de profondes et puissantes racines. Ainsi, bien enracinés en vous-mêmes, vous pourrez sans crainte et sans dommage vous ouvrir vers l’extérieur, à la fois pour donner et pour recevoir».

Des ambitions légitimes se manifestent, et on veut conquérir le monde : «Pensées d’amour et de jeunesse, éteignez-vous comme ces flambeaux, et laissez la place aux rêves d’ambition! », Michel ZEVACO dans «Les Pardaillan». Le rêve de gloire, de s’élever dans la hiérarchie sociale, est un sentiment noble que la jeunesse caresse, sans cesse. Il arrive parfois que c’est difficile, on veut renoncer et battre en retraite : «Il faudrait dire adieu à tous mes rêves de gloire, abdiquer l’avenir de mon nom, renoncer à l’art qui vit de liberté et de puissance», écrit Alexandre DUMAS dans «Ascanio». De mon temps, né dans une contrée particulièrement défavorisée, j’avais vu ma petite sœur mourir de la coqueluche. Aussi, initialement, je voulais être médecin, pour soigner tous les maux dont souffrait mon Fouta-Toro. Fasciné par le sacrifice et le dévouement de mes instituteurs, je rêvais de devenir enseignant pour combattre l’ombre et faire jaillir la lumière, favoriser plus d’égalité. Mes années d’étudiant en France m’ont révolté contre le sort des migrants ; c’est ainsi qu’est né cette posture de lutteur dans l’arène, pour un bien-vivre ensemble. Mes enfants ne rêvent que de tablettes, d’ordinateurs, de séries télévisées et de football. Le Paris Saint-Germain est partout dans la maison, et cela finit par devenir étouffant et agaçant.

La jeunesse africaine est traversée, depuis longtemps, par ce profond désir et ce rêve, pour agir sur le monde, le transformer, en vue de le rendre meilleur et plus juste. Jean JAURES, dans son fameux discours à la jeunesse, prononcé à Albi en 1903, disait que le courage, «c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ; c’est d’agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond, ni s’il lui réserve une récompense. Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques». C’est ainsi qu’au début du XXème siècle, la jeunesse africaine et la diaspora, en pleine colonisation, avait réclamé plus d’humanisme, fraternité et d’égalité. Ainsi, dans leur contribution littéraire pour l’émergence de la Négritude, Léopold Sédar SENGHOR et Aimé CESAIRE invitaient la jeunesse africaine à retrouver sa fierté et sa dignité d’homme. Les Tirailleurs sénégalais, sitôt sortis des tranchées de la Première guerre mondiale, ont posé, tout de suite, sur la scène politique, la revendication de la citoyenneté. Lamine SENGHOR, dans ses écrits, est le premier à dénoncer, avec une grande virulence, le système colonial. Bien avant eux, Thierno Souleymane BAL (1776-1890) et les Almamy du Fouta qui ont refusé l’esclavage, El Hadji Oumar TALL (1797-1864), Maba Diakhou BA (1809-1867), Cheikh Ahmadou Bamba BA (1853-1927) et Samory TOURE (1830-1900), dans leur contestation du système colonial qui se mettait en place progressivement, revendiquaient le droit des Africains de vivre souverains, dans leur propre pays.

Dans les années 50, les syndicats étudiants, en pleine guerres coloniales, ont rejeté la proposition d’autonomie interne, et ont posé, d’emblée, la question de l’indépendance. Le mouvement de Mai 68 au Sénégal, au-delà de la revendication des bourses, était une réaction politique, contre une société sénégalaise corsetée et verrouillée depuis que Mamadou DIA et ses amis ont été mis en prison, et que toute opposition était interdite ou réprimée. Le 23 juin 2011, le peuple sénégalais, la société civile et la jeunesse, en particulier, ont posé une ligne rouge à ne pas franchir dans la démocratie sénégalaise, à savoir l’interdiction absolue de toute tentation monarchique, et l’introduction dans la sphère publique, de principes et de valeurs visant à moraliser l’action de nos gouvernants, pour une «gouvernance sobre et vertueuse», tel que l’avait bien formulait Macky SALL.

En définitive, la jeunesse, le rêve et l’utopie sont des choses indissociables. En fait, c’est pendant notre jeunesse que nos espoirs, notre espérance et notre imagination sont sans limites. Nous rêvons d’amour et d’harmonie, de princes et de princesses : «La vie est un sommeil, l’amour en est le rêve, et vous aurez vécu si vous avez aimé» écrit Alfred de MUSSET dans «A quoi rêvent les jeunes filles ?». Le rêve est lui-même la vie qui doit s’accomplir : «Il n’y a que deux conduites avec la vie : Ou on la rêve ou on l’accomplit» disait René CHAR. Une bonne partie de la jeunesse rêve d’être bien formée et pouvoir vivre, décemment, au Sénégal, dans un pays uni, tolérant, prospère, avec un cadre de vie confortable et agréable, dans un environnement sain. «Je suis fier de notre jeunesse dynamique qui a de l’ambition pour notre pays. Le Plan Sénégal Emergent n’est plus une promesse, mais bien une réalité, investir dans l’avenir, voici ma priorité» déclare le président Macky SALL.

La grandeur de notre continent et de sa diaspora, c’est le combat de sa jeunesse pour la liberté, la souveraineté, la démocratie, un monde de paix, plus juste et plus fraternel, pour un bien-vivre ensemble. «Quelle excuse aurait la jeunesse, si les idées d’humanité et de justice se trouvaient obscurcies un instant en elle !» s’interroge Emile ZOLA.

Paris, le 12 avril 2019, par M. Amadou Bal BA, http://baamadou.over-blog.fr/

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